.
Par Dominique LANCASTRE
.
.
Gabriele est professeur de piano, vit seul dans son appartement et ne veut être dérangé par personne. Il pensait continuer cette vie-là pendant longtemps. Mais l’arrivée de Ciro, le jeune fils d’une voisine qui s’est glissé dans son appartement derrière un canapé et lui demande de le cacher va tout bouleverser. Pris au dépourvu dans une situation étrange qui lui échappe, il essaie de trouver une réponse à ce qu’il lui arrive. Il connaît Ciro, l’enfant derrière le canapé, pour l’avoir croisé quelquefois mais de là à l’avoir dans son appartement, il est décontenancé. Il pense alors à son frère magistrat avec lequel il ne semble pas avoir de très bonnes relations, pour des raisons familiales. Il utilise un subterfuge en prétextant vouloir des conseils pour un ami. Magistrat, perspicace et connaissant Gabriele, Renato lui fait vite comprendre qu’il sait qu’il ne parlait pas d’un ami mais de lui.
« À quatre heures, en proie à une tension nerveuse insoutenable. Gabriele appela à contrecœur son magistrat de frère et sollicita un rendez-vous pour lui parler d’un cas bizarre dans lequel était impliqué l’un de ses amis. »
L’entretien avec son frère ne se passa pas comme il le voulait et Gabriele regretta même de lui avoir fait part de son problème. Il lui sapa le moral plus qu’autre chose en lui conseillant d’aller voir la police et de lui remettre Ciro. Gabriele y pensa un moment et allait même partir au commissariat puis se ravisa. Alors que l’histoire se développe, le lecteur se prend d’amitié pour le maestro et pour l’enfant. S’’établit alors une forme de connivence entre le maestro, l’enfant et le lecteur. Le lecteur regarde évoluer Gabrielle le maestro et attend à chaque page la décision qu’il va prendre. Bien entendu, des considérations pratiques surgissent comme acheter des vêtements pour Ciro. Ce qui nous indique d’une certaine façon que Gabriele n’a pas l’intention de remettre l’enfant. Pour quelqu’un qui aspirait au silence et à la tranquillité en déclamant de la poésie par cœur en se rasant le matin, sa vie se trouve vraiment bouleversée par cet enfant qui lui tombe dessus mais pour lequel il éprouve au fil des jours une véritable sympathie.
Ciro et un ami ont fait une très grosse bêtise qui a entraîné la mort d’une personne importante de la Camorra (organisation criminelle). Gabriele qui a toujours souhaité s’enfermer dans son appartement, excepté lorsqu’il donne des cours au conservatoire, se trouve projeté dans une situation inextricable qui titille sa conscience. Il est pour lui impensable de remettre cet enfant de 10 ans aux mains de ces gens.
Caché dans l’appartement, Ciro observe tous les gens qui rendent visite au maestro, de la fille qui vient prendre des cours de piano à son ancien élève Diego qui semble être mêlé jusqu’au cou à une affaire qu’il n’ose pas raconter au maestro. Il y a aussi Baggio, un ami très particulier du maestro.
Dès lors, toutes ces incidences finissent par perturber la paix intérieure de notre cher Gabriele qui se retrouve malgré lui à jouer les détectives et à glaner des informations sur ce qui est dit ou fait aux alentours. Gabriele devient alors un maestro-détective décuplant son ingéniosité pour protéger son nouvel occupant Ciro et cherchant à savoir ce qui se trame dans son quartier concernant la disparition du garçon.
« Gabriele se réfugia dans son bureau, conscient de sa dépendance embarrassante. Oui, il était devenu, à tous égards, dépendant de Ciro. L’intrus qui s’était introduit par hasard un matin dans son appartement occupait désormais le cœur de ses pensées : la musique, la lecture, concentration, ces déesses qui avaient jusque-là présidé à sa vie d’homme solitaire avaient été balayées, cédant la place à un dieu-enfant »
À chaque page, dans L’Enfant caché, nous assistons à un rebondissement tel que dans un roman policier mais L’enfant caché n’est pas un roman policier. Roberto Ando utilise le même procédé à la différence près que la police n’est pas au centre de l’affaire. Nous sommes en Sicile, à Naples, avec la Camorra et une ville sous contrôle de l’organisation du crime. Le lecteur est tenu en haleine à travers les péripéties du maestro et se prend de compassion pour le maestro et son petit protégé qui sait maintenant beaucoup de choses sur sa vie, bien plus que les voisins de l’immeuble qui croisent le maestro régulièrement. Ciro est un gamin de dix ans mais qui vit déjà dans un milieu violent où la mort est quasiment quotidienne.
Roberto Andò se sert de cette histoire pour mettre en évidence l’organisation du crime qui ne recule devant rien même pas devant les gamins. Cette organisation peut exécuter froidement et le fait sans hésitation. Il y a plusieurs messages dans ce roman empreint d’une très grande humanité. Roberto Ando réussit à faire passer le message. Un roman poignant dont la fin peut nous surprendre mais le résultat est là : 200 pages de suspense comme l’indique la maison d’édition Liana Levi. Ce roman paru il y a quelque temps en Italie est traduit de l’italien par Jean-Luc Defromont. Il n’est pas toujours facile de bien traduire mais le lecteur est porté par le suspense bien rendu par le traducteur qui a certainement gardé tout l’esprit du roman original malgré la finesse de la langue italienne. D’une langue à une autre le texte de l’auteur perd toujours un peu de son originalité mais cela ne change absolument rien à la qualité de l’écriture de l’auteur. L’enfant caché, un roman à lire sans hésitation.
Editions Liana Lévi
L’Enfant caché traduit de l’italien par Jean-Luc Defromont : ISBN : 9791034903955 Prix 18,00 euros
.
.
EXTRAIT
.
[…] Parmi les compagnons habituels de ses journées, le seul à résister était Cavafis. Ce poète de bougies, de fenêtres d’ombres, de débauches mélancoliques, continuait à lui mettre du baume au cœur.
Cette passion née par hasard dans sa jeunesse, lorsqu’un ami lui avait fait don d’un petit livre du poète, il l’avait par la suite cultivée avec ferveur, presque avec dévouement. Il avait approfondi sa biographie, reconstituant le déroulement ordinaire de sa vie alexandrine, ainsi que ses itinéraires à travers la ville – en passant par la rue Chérif Pacha, devant la Bourse, sur la place des Consuls, aujourd’hui connue sous le nom de place Mohammed Ali – et que ses errances dans la partie musulmane, où se trouvaient le cimetière et la colonne de Pompée, ou encore le quartier de Moharem Bey, les gares de Sidi Gaber et Bulkeley, sur la ligne pour Ramleh et Aboukir. Il connaissait désormais les moindres détails de son existence, à toutes les époques : la période mondaine, les années difficiles de son emploi au ministère de l’ Irrigation, les mois cruciaux où il en vint à se définir comme un raté […]
.
L’AUTEUR
Roberto Andò (né en 1959) est un réalisateur et auteur italien. D’abord assistant de Francesco Rosi et de Federico Fellini, puis de Michael Cimino et de Francis Ford Coppola, il alterne, à partir de 1980, théâtre et cinéma. Parmi ses films les plus remarqués : Le Manuscrit du prince, consacré aux dernières années de Tomasi di Lampedusa, et Viva la libertà. Proche de Leonardo Sciascia, il signe un premier roman, Il trono vuoto, couronné par le prix Campiello Opera Prima. En 2020, il termine l’adaptation au cinéma de L’Enfant caché tout en dirigeant le Théâtre national de Naples. ( Document Liana Levi)
.
Dominique LANCASTRE (Ceo Pluton–Magazine)
Pluton-Magazine/ Paris 16/2021