Entre les lignes (36) : Le cerf-volant de Laetitia Colombani.

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Par Dominique LANCASTRE

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Pour rompre avec la monotonie de la vie et échapper à un malheureux événement, Léna décide sur un coup de tête de se rendre en Inde, à Chennai.  Les premiers jours, elle reste dans sa chambre pour éviter de parler ou de rencontrer du monde et ne sort qu’à l’aube pour se rendre à la plage et se baigner. Dans le calme de l’aube, elle aperçoit une enfant avec un cerf-volant. À la suite d’un accident où elle manque perdre la vie, elle se retrouve à hôpital.  En effet, elle a failli se noyer et doit la vie à cette enfant au cerf-volant qui a prévenu une brigade de filles, les Red Brigades, que dirige Preeti, une jeune fille au caractère bien trempé. De retour à son hôtel, Lena essaie de retrouver cette brigade pour remercier ses sauveuses. Elle pense à leur donner de l’argent mais elle ne s’attend pas à se heurter à un refus.  La cheffe de la brigade lui jette à la figure que c’est la gamine qu’il faut remercier car c’est elle qui est venue les chercher pour la sauver de la noyade. Décontenancée, Lena se lance à la recherche de la jeune enfant qui a environ 7-10 ans mais travaille dans le restaurant délabré de son oncle.  Léna se trouve confrontée à la réalité de l’Inde, l’Inde et ses paradoxes.  Laetitia Colombani, à partir de ce moment-là, capture l’attention du lecteur

Lena est enseignante, professeur d’anglais, et comprend très vite que cette enfant de 10 ans a des capacités et est trop jeune pour travailler. Elle tente de communiquer avec l’enfant, se heurte au refus de l’oncle et de la tante concernant la scolarité et se retourne vers la cheffe de la Red Brigades pour avoir de l’aide. En faisant cela, elle comprend les réalités du pays, un pays où les filles ont du mal à s’affirmer et où surtout les viols sont légion presque tous les jours. La cheffe de Red Brigades Preeti essaie de former les filles au self-défense mais elle-même sait que se battre avec les poings et les pieds ne sera pas suffisant pour faire changer les mentalités.

Laetitia Colombani choisit un sujet très compliqué qui existe effectivement en Inde, et captive le lecteur avec son personnage de Lena, témoin d’une société violente envers les filles. Dès lors, le roman est axé sur ce sujet et le lecteur se demande si Lena va réussir à tirer d’affaire cette jeune enfant.  Sa passion pour l’enseignement l’entraîne automatiquement à vouloir aider Holy, cette petite au cerf-volant qui n’a rien. Elle decide alors de lui apprendre à écrire. On finit par apprendre que Holy s’appelle en réalité Lalita. Le désir d’enseigner crée la connexion avec Lalita mais aussi avec le lecteur qui se prend de passion pour elles deux.

Mais Lena est une touriste avec un visa qui expire et le rêve d’aider Lalita et Preeti s’envole bientôt lorsqu’elle doit regagner la France. C’est alors que le lecteur découvre que celle qui veut jouer à la bonne samaritaine en sauvant une petite fille de ses conditions de vie précaires en Inde et en voulant être la bonne amie d’une combattante de la cause féminine, porte en elle une affreuse tristesse. Cette dualité interpelle le lecteur qui est impatient de découvrir à chaque page ce qui se cache dans Lena et dans ses intentions.

De retour en France, Lena ne se reconnaît pas et ne cesse de penser à Lalita qu’elle a laissée là-bas dans la misère. C’est alors que lui vient l’idée de créer une école.  La volonté d’aider la ramène en Inde pour lancer son projet d’école. Créer une école en Inde n’est pas chose facile avec toutes les tracasseries administratives que cela peut engendrer et les corruptions qui sont légion en ce pays.

Laetitia Colombani tient son lecteur à nouveau en haleine avec ce projet en y glissant des détails qui n’échappent pas à la curiosité, comme l’arrivée du charmeur de serpents lors du déblayage du vieux garage où la Red Brigades tient meeting. Garage qui doit servir à monter cette école. L’auteure distille des informations sur Lena et le lecteur comprend peu à peu ce qui a ramené Lena en Inde.

En se servant de l’histoire de Lena, et en focalisant notre attention sur la petite Lalita, Laetitia Colombani nous emmène au cœur de l’Inde avec ses coutumes, son mode de fonctionnement, ses croyances mais aussi une éducation défaillante dont les jeunes filles mariées très jeunes subissent les conséquences. La bataille que mène Lena pour monter cette école est une bataille pour les filles mais c’est aussi pour Lena l’opportunité de donner un sens à sa vie, qu’elle essaie de reconstruire après un terrible événement. On dit souvent que l’on ne revient pas indemne de l’Inde, Laetitia Colombani nous le fait sentir dans Le cerf-volant, un magnifique livre à découvrir.

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EXTRAIT-1

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[…] Holy. Un joli nom pour un ange gardien, songe Léna. En anglais, le mot signifie sacré. Quelle troublante ironie.

Elle ne sait ce qui la touche le plus : le silence de l’enfant ou ce deuil impossible à porter, étrange écho au sien. La gosse a perdu tout ce qui la rattachait au passé : son père, sa mère, son village, sa maison, jusqu’à sa religion et son prénom. Le seul souvenir de sa vie antérieure est cette poupée dont elle ne se sépare jamais e dont Léna apprendra plus tard qu’elle représente Phoolan Devi, connue en Inde comme la Reine des bandits. Un cadeau de ses parents, qu’elle a dû trainer durant le voyage et garde comme un trésor, un vestige d’une civilisation disparue engloutie. […]

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EXTRAIT-2

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[…] Les élèves les dévisagent tous les trois, sans un bruit. La plupart ont l’air effrayés. Le plus jeune du groupe, Sedhu, paraît absolument terrifié. Il s’est installé près de la porte et se met à trembler quand Léna tente de la refermer. On dirait qu’il redoute quelque menace invisible prête à s’abattre sur lui et veut pouvoir fuir à tout moment. Compréhensive, Léna décide de laisser la porte ouverte, au moins pour la journée. Aucun de ces enfants n’a jamais été à l’école, pas plus que leurs parents. Elle ignore ce qu’ils ont entendu, ce qu’on leur a raconté. Elle sait qu’en Inde, les écoliers sont souvent frappés par leurs maîtres- surtout lorsqu’ils sont de basse extraction. Pour les rassurer, elle leur explique qu’ici, ils ne seront pas battus. Les enfants l’écoutent, mi-incrédules, mi-étonnés. [… ]

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L’AUTEURE

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Photo Facebook Page auteur

Cinéaste, scénariste, comédienne et romancière, Laetitia Colombani s’apprête à réaliser au cinéma le film tiré de son premier roman La Tresse (Grasset, 2017), co-production internationale dont la sortie est prévue en 2022.

Elle est également l’auteure des Victorieuses, best-seller en cours d’adaptation en série. L’album jeunesse Les Victorieuses ou le palais de Blanche est également publié chez Grasset en juin 2021. (Source Éditions Grasset).

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Par Dominique LANCASTRE (CEO Pluton-Magazine)

Pluton-Magazine/ 2021/ Paris16.

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