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Par Dominique Lancastre
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Qu’est-ce que la mort ? Qu’est-ce que la vie ? Les morts sont-ils vraiment morts ? Telles sont les questions qu’Ernest Pépin nous amène à nous poser et que nous nous posons parfois, en nous entraînant dans cette merveilleuse et attachante histoire de La veuve aux milles rivières.
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Denise a perdu son Henry. Je pourrais dire simplement son mari mais ce ne serait pas assez et trop impersonnel car c’est vraiment son Henry, son soleil, son étoile, sa colonne vertébrale. Et cette colonne vertébrale s’est littéralement brisée et Denise ne peut plus tenir debout mentalement. Ce choc est trop difficile pour elle et elle refuse d’admettre la disparition de cet être cher qu’elle voit, perçoit, sent, hume à chaque instant.
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« Bonheur d’aimer. Félicité d’être aimée. Chaque jour était un onguent. Henry était un médicament. Il me guérissait de tout et pour une fois, je me sentais utile sur terre. Utile à sa délicatesse de prince charmant, utile à ses aux émerveillés, utile à son afro, utile à son humour créole. Les caresses m’avivaient. Les baisers n’enivraient. Sa musique m’enfollait. Il me semblait n’être venu au monde que pour l’aimer, l’encourager, le soutenir. Pour ne rien cacher, je marchais sur nuage rose. Je grimpais des pentes inaccessibles « c’est cela, aimer », me disais-je tout bas, et de sa voix douce, il me répondait : « C’est cela même ». Même. Je reprenais « même-même » et nous riions aux éclats».
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Inspirée d’une histoire vraie, car Denise a vraiment existé, l’auteur s’est accaparé cette souffrance au point qu’on se demande si Ernest Pépin ne devient pas un moment Denise. Il a sûrement eu besoin de ressentir cette douleur comme Denise la ressentait et de la transmettre. Cette transmission se ressent dans la structure du roman qui apparaît comme une longue prière, si je puis dire, mais pas au sens religieux du terme. C’est une transcendance, une longue méditation pendant laquelle le lecteur s’attache à cette femme comme l’auteur est attaché à l’histoire de Denise.
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Nous avons des passages qui rappellent l’écriture des auteurs du 19e siècle mais la poésie d’Ernest Pépin est toujours là. Cette combination confère au roman une atmosphère particulière. Quand on n’a plus de mots pour décrire l’indescriptible, la poésie est le seul recours. En somme, peu de gens auraient pu écrire cette histoire car comme nous le savons, l’auteur est poète. En prenant cet angle-là, Ernest Pépin nous permet d’aborder la souffrance d’une autre manière.
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« Je m’enfonce à petits pas de veuve dans la nuit des morts même si je ne dors pas beaucoup. Il n’y a pas de lever de soleil ni d’horizon. Je m’accroche à tout ce que je peux. Un morceau du passé, un lambeau de mémoire. Une miette de vie. Tout s’épaissit sous son corps. Même l’image d’Henry pèse lourd, si lourd. Personne n’a idée de ce poids qui m’encombre. Moi seule connais cette épreuve. Moi seule contemple cette déchirure. Pour tant il n’est pas le premier défunt de la terre même si pour moi il est le commencement. Les ombres s’entrecroisent dans mes pensées. Elles me donnent des nouvelles de l’au-delà, mais je n’en veux pas. Ce que je demande c’est Henry vivant, chatoyant. C’est ce que je réclame à tue-tête par-delà les ténèbres. C’est ce que j’exige. Mes pieds s’enfoncent dans le brouillard. Ils colportent mon chagrin. Ils trébuchent sur des tessons brûlants »
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La mort est toujours présente dans ce roman puisqu’il s’agit de la disparition d’un être cher mais elle est occultée par l’amour. Cet amour si fort que rien ne peut lui résister, même pas la mort. Denise, en refusant d’accepter cette disparition, ne tombe pas dans une folie comme on pourrait le croire. C’est une folie d’amour, un cri. Denise cherche une porte de sortie dans le labyrinthe de la souffrance où elle est prisonnière.
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Mais il n’y a pas que Denise qui est dans ce labyrinthe, le lecteur se trouve confronté à de nombreuses problématiques. Des problématiques que nous nous sommes tous posées un jour mais que les vicissitudes de la vie nous obligent à mettre de côté, jusqu’au moment où la mort frappe à la porte et nous ramène à la réalité de ce qu’est la vie et pourquoi tout à coup la personne que nous aimons le plus, la personne qui nous soutient, la personne qui est notre oxygène disparaît. Alors nous ne respirons plus, comme Denise nous nous étiolions, comme Denise nous sommes au bord de l’asphyxie.
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Tel est le but de ce roman qui est très différent de ce à quoi l’auteur de L’homme au bâton nous a habitués. Car il s’agit non seulement d’une femme mais d’une amie et une amie qu’il connaît bien. Cette information est capitale et explique toute l’ingéniosité de l’auteur à nous livrer un roman dont nous ne sortons pas indemnes car il touche à notre sensibilité la plus profonde.
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L’ Auteur
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Par Dominique LANCASTRE (CEO Pluton-Magazine)
Pluton-Magazine/ 2021/ Paris16.