LE GÉNÉRAL BONAPARTE, BRAS ARMÉ DE LA RÉVOLUTION ET DE LA RÉPUBLIQUE

.

Philippe Estrade Auteur-conférencier

.

Cet immense personnage de l’histoire française et européenne est particulièrement controversé, notamment concernant la période du 1er Empire. Aujourd’hui, portons notre regard sur le cycle révolutionnaire puis républicain de Napoléon Bonaparte, lorsque le jeune général de 23 ans devint le bras armé de la République naissante, en quelque sorte « l’assurance-vie » de la Convention et du Directoire républicain jusqu’à sa prise du pouvoir le 18 brumaire, instaurant le Consulat et plus tard le 1er Empire.

.

UNE CARRIÈRE D’OFFICIER POUR SERVIR LA RÉPUBLIQUE

.

Né en Corse tout juste devenue français depuis Louis XV, à Ajaccio, en 1769,  Napoléon Bonaparte appartenait à une famille d’origine italienne rattachée au conseil des Anciens d’Ajaccio, qui regroupait les notables de la ville. Si la famille Bonaparte n’était pas très riche, les récoltes et les échanges lui assuraient tout de même un niveau de vie acceptable. Plutôt agité et turbulent, Bonaparte fut un élève particulièrement doué, doté de grandes qualités en mathématiques selon les chroniques. C’est le comte de Marbeuf, gouverneur de l’île, qui a obtenu une bourse pour le jeune Bonaparte afin qu’il intègre la prestigieuse école militaire de Brienne-le-Château en Champagne. Auparavant, à l’école d’Autun, ce dernier aurait appris le français en trois mois. Nettement au-dessus de tous et remarquablement brillant, Bonaparte devint officier en 1785, à peine âgé de 16 ans, après avoir intégré la compagnie des cadets gentilhommes à Paris. Sous-Lieutenant en 1785, il fut nommé capitaine sept ans plus tard avant de devenir général à 23 ans, à l’issue de la prise de Toulon en 1792, son tout premier fait d’armes.

Bonaparte au service de la Révolution et de la République

Le jeune Bonaparte a grandi avec la révolution. Il avait juste vingt ans alors que le peuple de Paris grondait dans la rue à la révocation de Necker en juillet 1789, ce qui conduisit aux émeutes de la Bastille, et que les États-Généraux allaient s’engager vers une Assemblée Constituante. D’ailleurs, alors qu’il arrivait à la compagnie des cadets gentilshommes, il suggéra au directeur de l’école un règlement visant à interdire les démonstrations du privilège de la fortune. Le souci d’égalité animait déjà le caractère bien trempé de Bonaparte. Sensible aux idées révolutionnaires et de justice, il fut vite remarqué par l’appareil de la Convention et de la Terreur, et singulièrement par Robespierre dont la proximité l’avait conduit quelques mois en prison. Libéré et réhabilité par Barras et le Directoire naissant, Bonaparte devint alors le bras armé de la Révolution, en quelque sorte « l’assurance-vie » de la République fragilisée par la redoutable dictature révolutionnaire de la Terreur, les nombreux massacres du peuple dont le terrible génocide pratiqué en Vendée. C’est à coups de canon que le jeune général Bonaparte allait mater la rébellion monarchiste et ses tentatives de déstabilisation de la République.

Général à l’issue de la prise de Toulon

 En 1793, le port de Toulon était occupé par les royalistes et les forces anglaises et espagnoles en guerre contre la République. Peu écouté et même raillé par les généraux pourtant en échec sur place, le jeune capitaine Bonaparte obtint tout de même le commandement de l’artillerie et le grade de chef de bataillon. Après que le jeune Bonaparte eut soumis au nouvel état-major un plan d’attaque pertinent qui  laissa tout de même perplexe, la légende de son génie commença ici à Toulon, car il parvint avec une audace déroutante à défaire les autorités militaires britanniques, à capturer le général anglais O’Hara le 23 novembre et obtint même la prise définitive de Toulon aux forces françaises royalistes et aux forces britanniques le 18 décembre 1793. Le frère de Maximilien Robespierre, Augustin, protecteur de Bonaparte, aura cette formule « Bonaparte, un mérite transcendant et Corse » qui permettra à Bonaparte d’être reconnu puis apprécié par Maximilien Robespierre en personne. Le 22 décembre, grâce à ce fait d’armes à Toulon, il fut nommé général de brigade à seulement 24 ans.

.

LA LÉGENDE DU JEUNE GÉNÉRAL BONAPARTE SOUS LE DIRECTOIRE

.

Proche de Robespierre, Bonaparte fut emprisonné à la chute de la Convention et de la Terreur avant d’être réhabilité dès le début du Directoire par Barras qui avait bien compris l’intérêt de placer cet homme à la tête de l’armée intérieure pour mater à coups de canon toutes les rébellions monarchiques. Ses conquêtes militaires en Italie contre l’empire d’Autriche au nom de la République en 1796 et 1797 forgèrent sa réputation de général habile et redoutablement efficace.

.

.

Arcole, le début de la légende

C’est à Arcole en novembre 1796 que la légende de Bonaparte naîtra sur ce théâtre de guerre contre les Autrichiens, depuis le début en lutte contre la Révolution française. Le fameux pont d’Arcole sur le piémont vénitien n’est en effet pas une légende. Défendu par les forces autrichiennes car il ouvrait un couloir sur la Vénétie et Vienne, le pont d’Arcole constituait un passage obligatoire vers l’Autriche. Alors que Massena s’enlisait dans les marais voisins et que l’artillerie était soumise à un feu nourri lors de la traversée de l’Alpone, Augereau se saisit d’un drapeau pour galvaniser ses troupes et s’élança sur le pont sans pour autant être suivi par ses hommes. Alors, Bonaparte s’empara lui aussi d’un drapeau et courut sur le pont pour l’y planter. Son aide de camp, Jean-Baptiste Muiron, courut le protéger de son corps et le sauva de la mitraille ennemie avant de s’effondrer mortellement blessé.

À Rivoli, les Autrichiens à nouveau battus

Bonaparte fit preuve d’un véritable génie militaire sans précédent dans l’histoire européenne. Grand stratège, il parvint constamment à tromper l’adversaire et à le surprendre, écrasant les armées sardes et autrichiennes avec des moyens humains bien plus limités que ceux de l’ennemi. Nommé commandant de l’armée intérieure puis de l’armée d’Italie, il infligea des défaites aux monarchies européennes. À Rivoli, en 1797, dans le Piémont lombard et italo-alpin, les Français s’imposeront en affaiblissant définitivement le prestige autrichien lors du traité de paix de Campoformio.

.

.

Bonaparte éloigné en Égypte

Les victoires du jeune général Bonaparte et son immense prestige en France poussèrent le Directoire à l’éloigner en lui confiant l’armée d’Orient. Les hommes du Directoire commençaient à s’inquiéter de ses éventuelles ambitions politiques. En Égypte, en 1798 et en 1799, et malgré la destruction de la flotte française par les Anglais à Aboukir, Bonaparte parvint à soumettre l’Égypte et la Syrie et à limiter les ambitions britanniques en Orient, après avoir combattu les Turcs, les Arabes et les Anglais. Il s’agissait aussi de barrer la route des Indes aux britanniques puisque la Grande Bretagne maintenait les hostilités contre la France révolutionnaire. Mais cette opération militaire fut doublée d’une prestigieuse expédition scientifique qui permit aux savants français, des botanistes, des historiens, des dessinateurs, de découvrir et de travailler sur les richesses de l’Égypte antique.

Le Directoire en état de faillite économique et politique

Tandis que la « Terreur directoriale » tentait d’éliminer les monarchistes les plus radicaux et les plus hostiles à la République, la situation économique du pays s’aggrava avec la banqueroute de 1797. Deux nouveaux coups d’État déstabilisèrent le Directoire en 1798 et en 1799, un régime considéré par le peuple, à juste titre, comme corrompu et totalement inefficace pour conduire les affaires du pays. D’ailleurs, le peuple n’en pouvait plus et ne mangeait pas à sa faim. Il aspirait à un retour de l’autorité et à la fin du désordre. Dans le même état d’esprit, certains responsables républicains du Directoire souhaitèrent alors l’arrivée d’un homme fort…

Bonaparte s’empare du pouvoir

Averti des difficultés du Directoire, du désarroi du pays et de sa situation à nouveau explosive, Bonaparte décida de rentrer en France, jouissant alors du soutien de l’armée. Ambitieux et populaire, il renversa un Directoire très affaibli le 18 Brumaire (9 et 10 novembre 1799) avec l’aide de Sieyès, soucieux de trouver un homme fort pour contrôler à nouveau la situation et sauver les acquis de la Révolution. L’armée,  bien sûr, était derrière Bonaparte, le général Murat et des politiciens comme les incontournables Talleyrand et Fouché. Bonaparte devint  er Consul aux côtés de Cambacérès et Lebrun d’un régime finalement inspiré des Romains, le Consulat. Une grande partie des républicains approuva ce nouveau régime fort car il s’appuyait sur les acquis de la République, et le retour de l’autorité inspira également une partie des monarchistes qui le soutinrent activement.

.

.

LE CONSULAT SIGNE LE GLAS DE LA RÉPUBLIQUE

.

Cette fois-ci, la Révolution était bien finie. En homme d’ordre et d’autorité, Bonaparte jouira d’un pouvoir absolu et fera entrer la France dans la modernisation grâce à des institutions qui perdurent encore de nos jours. Le plébiscite de 1800 lui donna les pleins pouvoirs pour une période de dix ans, en étant rééligible sans durée de mandat.  Napoléon contrôla tout, la politique intérieure et la sécurité, fixa le dessein de la politique extérieure, nomma les fonctionnaires et proposa les lois aux assemblées, Assemblée législative, Tribunat et Sénat. Le Consulat s’est en fait décliné en deux partis, le Consulat avec deux autres hommes au pouvoir sous la houlette de Bonaparte entre 1799 et 1802, et le Consulat à vie de Bonaparte, unique Consul, de 1802 à 1804 ouvrant l’aventure chaotique du 1er Empire.

Une modernisation sans précédent dans l’histoire

Le régime du Consulat se détacha des pratiques républicaines habituelles. Réorganisé et centralisé, le nouveau régime offrit aux préfets un pouvoir majeur dans la politique intérieure. L’autoritarisme s’imposa alors avec la police dirigée par Fouché qui établit une censure renforcée. Soucieux d’instaurer un climat de stabilité pour impulser l’économie, Napoléon Bonaparte régla les conflits avec l’Église par le Concordat de 1801, et la paix avec l’Angleterre en 1802 permit aussi un répit qui allait favoriser le redressement du pays. Le Consulat mit alors en place des institutions qui alimentèrent le modernisme du pays en Europe et qui perdurent de nos jours, Banque de France, préfets, Conseil d’état, Code civil, Code du commerce, Code pénal, création des lycées, baccalauréat, décorations diverses comme la légion d’honneur… Mais l’esclavage à nouveau autorisé que Napoléon Bonaparte abolira finalement en 1815 lors de la conquête des Cent Jours pour répondre à la demande des Britanniques (qui l’avait aboli en 1807), et l’interdiction du droit de grève avec l’institution d’un livret ouvrier imprimèrent alors les méfaits du régime et l’abandon de certains principes d’humanisme et de respect de la valeur humaine, certes déjà constatés sous la Terreur et la dictature républicaine de Robespierre.

« Des masses de granit »

C’est lors d’un discours devant le Conseil d’État en 1800 que Napoléon Bonaparte a exprimé sa volonté de fixer de solides bases dans la société française jugée éclatée et sans centralisme réel. Selon ses mots, il évoqua « des masses de granit à jeter sur la France » pour renforcer la cohésion sociale et maintenir l’autorité et l’ordre, en quelque sorte en finir avec le climat d’insurrection et de guerre civile permanent depuis une dizaine d’années. Les préfets avaient pour mission de ramener l’ordre et d’apaiser les haines issues des tumultes de la Révolution.

.

Admiré ou détesté, ce personnage est incontournable dans l’histoire française et européenne. Lors du coup d’État du 18 Brumaire en 1799, Bonaparte mit un terme au chaos du Directoire par un nouveau recul de la démocratie bien qu’il conservât les acquis révolutionnaires en n’abolissant pas la République. En servant de rempart au retour de la monarchie, il fit l’union autour de lui et de son régime en n’hésitant pas à faire exécuter à Vincennes l’éventuel héritier au trône de France, le duc d’Enghien. Le redressement du pays a été jugé saisissant par les historiens et la France domina à nouveau le continent européen. L’épopée tumultueuse et guerrière des conquêtes du 1er Empire qui suivra le Consulat, bien qu’elles eussent été aussi la conséquence des coalitions européennes toujours en lutte contre la France depuis la Révolution, conduira au chaos et sonnera le glas du régime en permettant aux Bourbons, soutenus par les monarchies européennes, de reprendre en main le destin de la France.

.

Philippe Estrade

Philippe Estrade Auteur-conférencier

Photos ©Pluton-Magazine

Pluton-Magazine/Paris 16eme/2022

.

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est 39965750_872728546251709_2146598433765457920_o-683x1024.jpg.

Journaliste en début de carrière, Philippe Estrade a vite troqué sa plume pour un ordinateur et une trajectoire dans le privé et le milieu des entreprises où il exerça dans la prestation de service. Directeur Général de longues années, il acheva son parcours dans le milieu de l’handicap et des entreprises adaptées. Ses nombreux engagements à servir le conduisirent tout naturellement à la mairie de La Brède, la ville où naquit Montesquieu aux portes de Bordeaux. Auteur de « 21 Merveilles au 21ème siècle » et de « Un dimanche, une église » il est un fin gourmet du voyage culturel et de l’art architectural conjugués à l’histoire des nations. Les anciennes civilisations et les cultures du monde constituent bien la ligne éditoriale de vie de ce conférencier « pèlerin de la connaissance et de l’ouverture aux autres » comme il se définit lui-même. Ce fin connaisseur des grands monuments issus du poids de l’histoire a posé son sac sur tous les continents.

Laisser un commentaire

*