PAR PHILIPPE ESTRADE
Figure majeure de la Commune qui bouleversa Paris et le pays au tout début de la 3e République, elle fut appelée la « Vierge rouge » par ses opposants qui ainsi la discréditèrent sur ses engagements féministes et sa lutte révolutionnaire. Finalement peu connue du grand public, outre les caricatures tenaces, Louise Michel fut un immense personnage de cette période troublée qui s’acheva par un bain de sang. Institutrice devenue militante anarchiste lors de sa détention, écrivaine, femme de lettres, poète, féministe, par ailleurs franc-maçonne, elle a incarné une lutte farouche contre toutes les formes de misères humaines.
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L’ENVIRONNEMENT D’UNE 3e RÉPUBLIQUE AUTORITAIRE
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Après que se fut écroulé le régime impérial de Napoléon III dans le désastre de la guerre éclair de 1870 contre la Prusse et les états confédérés allemands, une insurrection se mit en place à Paris et dans d’autres grandes villes de France, dans lesquelles elle fut cependant beaucoup plus brève. Cette révolte refusa la reconnaissance du nouveau gouvernement de la 3e République naissante conduit par Adolphe Thiers et ébaucha un système fondé sur une démocratie directe avec le soutien du peuple, des ouvriers, des artisans et d’une partie de la bourgeoisie d’affaires.
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Le régime absolutiste d’Adolphe Thiers
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Guère républicain mais plutôt toujours sensible à l’ordre monarchique, Adolphe Thiers qui a servi tous les régimes, est très vite rejeté par le peuple et une certaine bourgeoisie. La volonté de Thiers de vouloir désarmer la Garde nationale, proche du peuple depuis la Révolution, pour réquisitionner les canons stockés à Montmartre le 18 mars 1871 mit le feu aux poudres. La Garde nationale et le peuple de Paris se sont alors unis pour refuser qu’armes et munitions soient saisies, et dès les premières heures de la lutte, apparut Louise Michel à la tête des femmes en révolte. Mais déjà, dès le mois de janvier, membre du Comité de vigilance de Montmartre, elle s’engagea en habit de la Garde nationale dans le combat contre la République autocratique de Thiers et signa ses premiers faits d’armes en faisant feu sur l’Hôtel de Ville, lors d’une grande manifestation réprimée dans le sang.
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L’insurrectionnelle Commune de Paris
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Elle aura duré 72 jours, du 18 mars 1871 à la Semaine sanglante entre le 21 mai et le 28 mai 1871 alors que Thiers décidait de broyer l’insurrection par les canons et le sang. La Commune refusa de reconnaître l’autorité politique naissante du nouveau gouvernement de Thiers et s’orienta vers une démocratie directe fondée sur la liberté du peuple mais aussi sur le rejet de la capitulation face aux intérêts de Bismarck.
L’élan républicain de la Commune s’est également appuyé sur la misère humaine et les conditions de vie déplorables du monde ouvrier.
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LOUISE MICHEL, BAIGNÉE PAR LES LUMIÈRES
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Institutrice, femme de lettres, militante féministe et anarchiste plus tard, la jeune Louise est née le 29 mai 1830, l’année de la révolution qui mit un terme au régime de Charles X, au château de Vroncourt dans la Haute-Marne. Fille de la servante du château et probablement du fils du chatelain dont elle portera le nom de Demahis jusqu’à l’âge de 20 ans, Louise Michel, pour laquelle l’amour pour l’égalité était un fil rouge de vie, fut baignée par les Lumières. Elle reçut une éducation de qualité et raffinée, et s’émerveilla à la lecture des géants du siècle, Voltaire, Rousseau, Diderot ou Montesquieu.
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Enjolras et l’institutrice
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En 1850, sa qualité d’enfant illégitime la rattrapa et la contraignit à quitter le château avec sa mère à la disparition des anciens propriétaires. Ce fut la fin de son milieu social aisé, et Louise dut alors abandonner le nom de Demahis pour prendre celui de sa mère et devenir Louise Michel. Poursuivant ses études, Louise obtint en 1851 un brevet de capacité de « sous-maîtresse », l’équivalent d’une institutrice de nos jours. Hélas pour la jeune femme, exercer la profession d’institutrice nécessitait de prêter serment à l’empereur Napoléon III, ce qu’elle refusa en 1852. Dès lors, Louise Michel exerça la passion de son métier en créant une première école libre à Audeloncourt dans la Haute-Marne puis en ouvrit deux autres entre 1854 et 1855 pour garçons et filles, convaincue que c’est par l’éducation que vaincrait l’égalité. Si sa carrière d’enseignante la passionnait et lui donnait foi en la jeunesse éduquée, Louise Michel caressait tout de même le rêve de devenir écrivaine. D’ailleurs, elle publiera des poèmes et de nombreux textes sous le nom d’Enjolras, un personnage des Misérables de Victor Hugo, le grand auteur républicain de référence que tout le monde respectait. Il prit d’ailleurs sa défense lors de l’épisode tragique de la Commune, et entre 1850 et 1879 une abondante correspondance liera Louise Michel à Victor Hugo.
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Engagée dès le début de la Commune
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Très tôt engagée dans le combat républicain, la jeune femme écrivait dans des journaux d’opposition avec une plume fougueuse et enflammée. Sa vie fut marquée par sa rencontre avec Jules Vallès, écrivain engagé dans la Commune mais surtout avec Théophile Ferré qu’elle aima avec passion. Dès 1870, Louise Michel alors devenue présidente du Comité de vigilance des femmes citoyennes du 18e arrondissement de Paris, sera sur tous les terrains. Ambulancière, elle a secouru les blessés pendant les assauts des Versaillais, l’armée régulière du gouvernement Thiers installée désormais à Versailles depuis l’instauration de la Commune de Paris. Louise Michel et son compagnon Théophile Ferré appartenaient à la frange révolutionnaire la plus radicale et voulaient en finir avec Thiers en faisant tomber son gouvernement. Ce fut dans la nuit du 17 au 18 mars que le général Vinoy reçut l’ordre de reprendre les canons aux parisiens. Louise Michel était toujours là, et c’est encore avec Théophile Ferré qu’elle monta à l’assaut de la butte Montmartre, puis la foule fraternisa alors avec les soldats. Les généraux sur place, dont Clément Thomas qui avait écrasé les insurgés en 1848, ne furent pas obéis par la troupe. Ils ont été fusillés rue des Rosiers par les Communards. La rupture définitive avec les Versaillais était désormais consommée.
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Louise Michel, jusqu’au bout les armes à la main
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Les deux mois de la Commune sont marqués par des dispositions libres et d’autogestion comme des pensions versées aux blessés et aux veuves ou encore la suspension des poursuites concernant les loyers impayés des plus misérables. Armes à la main, Louise Michel participa aux combats à Clignancourt, Issy-les-Moulineaux et Neuilly. Inépuisable, elle se déploya sur tous les fronts contre l’armée des Versaillais qui finalement parvint à sonner le glas des Communards dans la semaine sanglante du 21 au 28 mai 1871. Terrible bilan qui fait état de plus de 20 000 morts probablement, peut-être 30 000 et des milliers d’arrestations mais le bilan fait toujours débat dans ce terrible affrontement entre Versaillais et Communards. Louise Michel échappa aux massacres et aux arrestations de masse lors de cette semaine sanglante mais se rendit pour faire libérer sa mère qui venait être emprisonnée et assista à l’exécution de ses compagnons dont Théophile Ferré, l’homme qu’elle avait tant aimé et qui partageait sa foi et ses combats.
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La déportation en Nouvelle-Calédonie
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Échappant à la peine de mort en tant que femme et condamnée à la déportation le 16 décembre 1871, Louise Michel réclamera même la mort au tribunal pour retrouver tous ses compagnons de lutte pour la liberté et l’égalité. Elle dira « « Ce que je réclame de vous, c’est le poteau de Satory où, déjà, sont tombés nos frères ; il faut me retrancher de la société. On vous dit de le faire. Eh bien, on a raison. Puisqu’il semble que tout cœur qui bat pour la liberté n’a droit aujourd’hui qu’à un peu de plomb, j’en réclame ma part, moi ! » Envoyée en Nouvelle Calédonie dès 1873, Louise Michel fit des rencontres pendant son voyage, Henri Rochefort, un polémiste bien connu, et Nathalie Lemel, une militante féministe et anarchiste au contact de laquelle elle deviendra anarchiste. Toujours passionnée, Louise Michel s’est liée avec les Kanaks et a soutenu leur émancipation contre les colons. Puis elle a appris leur langue, publié des contes en langue kanake et les a défendus à l’issue de leur révolte de 1878. Enfin autorisée à s’installer à Nouméa en 1879, elle redevint institutrice et bénéficia d’une mesure de remise du reste de sa peine.
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À nouveau militante à Paris et dans le reste de l’Europe
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Son retour à Paris en 1880 après son bannissement est triomphal. C’est une foule qui l’a alors accueillie avec ferveur aux cris de « Vive Louise Michel, vive la Commune ! ». Plus que jamais active dans la lutte sociale, elle reprit une activité militante, donna des conférences, défendit les ouvriers et les chômeurs, lutta contre le colonialisme et soutint l’abolition de la peine de mort. Figure internationale désormais du combat pour le mouvement ouvrier, Louise Michel fit déplacer les foules en France, en Belgique, en
Angleterre ou aux Pays-Bas. Lors des manifestations à Paris de 1883, elle fut à nouveau arrêtée et transforma le banc des accusés en tribune politique contre ce qu’elle qualifia « d’état bourgeois ». Épuisée par les calomnies tenaces et lassée par le manque de liberté d’expression de la 3e République, elle décida de s’installer à Londres en 1890 et y fonda une école libertaire. Rentrée en France en 1895 à la demande de Sébastien Faure, propagandiste anarchiste avec lequel elle fondit le journal Le libertaire, elle a poursuivi sa lutte et fut même à nouveau emprisonnée trois années avant de retrouver la liberté sur l’intervention de Georges Clémenceau. Inépuisable et toujours volontaire, Louis Michel fit une tournée de conférences en Algérie en 1804 puis s’éteignit à 74 ans le 9 janvier 1905 à Marseille d’une pneumonie sévère.
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Comme pour Victor Hugo, la foule à ses obsèques
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Ses funérailles ont donné lieu à une manifestation immense où plus de 120 000 personnes se pressaient autour du convoi funèbre jusqu’au cimetière de Levallois-Perret où repose cette icône démesurée du combat social de cette fin du 19e siècle. D’ailleurs, jusqu’en 1916, un cortège se rendra sur sa tombe afin d’honorer son engagement militant obstiné et intraitable.
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Ce personnage de notre histoire récente est tout simplement immense et monumental. Louise Michel a acquis très vite une dimension de mythe, et à ce jour, 190 établissements scolaires lui ont donné son nom juste derrière d’autres icônes comme Jules Ferry, Jean Moulin, ou encore Notre Dame. Brillante, inclassable et malgré tout encore contemporaine, cette figure symbolique du mouvement anarchiste et ouvrier mais aussi du féminisme fut l’une des rares à adopter comme Georges Sand le costume masculin dans certaines périodes de ses combats. Entêtée, passionnée, intransigeante, rebelle, sa « folie » fut précisément de se battre pour ses convictions jusqu’au bout avec les mots, avec les armes.
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Par Philippe Estrade.