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L’Albanie, pas si loin et pourtant très méconnue. Avec Il y a une jolie fleur non loin de Tirana, l’auteur Philippe Cuisset nous entraîne dans ce petit pays des Balkans aux traditions pas des moins surprenantes comme le code Kanun, sorte de loi du talion qui perdure encore de nos jours, surtout dans les montagnes albanaises qui vivent toujours sous les coutumes et les lois ancestrales.
Le roman s’ouvre avec une scène très violente. Une scène qui ne se joue pas seulement en Albanie quand on constate le nombre de féminicides qui existe chaque année en France. À la différence que le personnage principal de ce roman, Zilia, mariée trop jeune et qui subissait insultes et coups de la part de son mari toujours sous l’emprise de l’alcool, vient de passer à l’acte. En effet, dans un instinct de survie Zilia saisit l’arme qui ne quitte jamais Dardan son bourreau, pour décharger sur ce dernier une rafale de balles à travers une porte derrière laquelle elle a pris refuge pour se protéger des coups.
La mort de Dardan, la fuite de Zilia et la loi Kanu mettent en place le roman et c’est avec brio que l’auteur nous entraîne dans un lieu qui est pour le moins incongru aux yeux du lecteur, à moins de s’être intéressé à l’Albanie auparavant : l’Albanie, véritable dépôt de déchets pour l’Europe.
Mais, revenons à Zilia, car le lecteur se prend de passion pour cette jeune fille et comprend son geste. Malgré la violence de l’acte, le lecteur se place très vite du côté de la jeune fille et se demande à chaque page ce qu’il va advenir d’elle dans ce pays si traditionnel.
Elle fuit la maison – laissant derrière elle le carnage qu’elle-même a été surprise d’avoir commis – pour rejoindre son frère Hamza et le prévenir. Car, selon la loi du sang, il est le premier à figurer sur la liste de ceux à abattre pour venger la mort du bourreau Dardan.
Comment dissimuler Zilia pour qu’on ne la retrouve pas et comment sortir de ce pays pour éviter la mort deviennent les préoccupations de ces deux personnages. Un dilemme se pose alors à Hamza : comment se sauver lui, tout en sauvant sa sœur.
Philippe Cuisset réussit bien à retenir le lecteur et ce n’est que très tardivement que le lecteur comprend son objectif : nous parler de cette importante mafia qui sévit dans ce petit pays, une mafia qui gère d’importants déchets, une mafia connue de l’Europe mais sur laquelle certaines autorités des pays limitrophes ferment les yeux.
En nous conduisant au milieu de ces déchetteries, c’est au sein même de la misère que l’auteur nous emmène et nous permet d’ouvrir les yeux sur la condition de vie des Roms et des personnes comme Zilia qui n’ont pas d’autre choix que de se terrer au milieu de ces immondices. C’est avec une précision époustouflante que Philippe Cuisset nous fait vivre les activités de cette déchetterie et le procédé de recyclage. Car si justement des hommes et des femmes se jettent sur les sacs poubelles, c’est pour trouver de quoi vivre et ce « quoi faire vivre » passe par la récupération de certains matériaux qu’ils vendent pour un prix dérisoire lorsqu’on fait la conversion en euros. La misère est mise au jour dans ce roman mais avec une certaine pudeur et beaucoup de poésie. L’amour même y est présent sous forme de romances inavouées.
La misère ne va pas sans la mort, pourrait-on dire, et la mort on la côtoie en permanence. Dès le début du roman, c’est le cas avec le meurtre de Dardan. Mais, la mort rode en permanence avec l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de Zilia et de Hamza. La mort continue avec l’accident du jeune Ilir. La mort est tellement présente qu’on la palpe à chaque page en se demandant encore et encore ce qui va se passer, jusqu’au dénouement.
Il y a une jolie fleur non loin de Tirana est un roman dont je recommande vivement la lecture car au-delà de cette scène de femme battue, Philippe CUISSET essaie à travers ses personnages de nous sensibiliser aux problèmes de ce petit pays qu’est l’Albanie. Le problème des déchets nous concerne tous et c’est un roman qui, une fois sa lecture terminée, nous pousse à réfléchir à la nature humaine et à notre devenir.
Il y a une jolie fleur non loin de Tirana est publié par la maison d’édition Elyzad et est disponible dans toutes les librairies.
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Dominique LANCASTRE
Pluton-Magazine. Entre les lignes (abécédaire 2023)
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Philippe CUISSET
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Philippe Cuisset, né en 1961, vit à Reims. Professeur de lettres, il est l’auteur de trois romans et d’un texte poétique. Il est également bénévole dans des collectifs d’aide aux réfugiés.
En 2017, il participe à la création des « Vagabonds », orchestre amateur réunissant musiciens albanais et français autour de rythmes des Balkans, qui a donné une quarantaine de concerts solidaires. (Source Elyzad)