ENTRE LES LIGNES -G-: Entre deux gares de Lionel SEPPOLONI

Par Dominique LANCASTRE

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Il faut beaucoup aimer les gens, il faut beaucoup aimer la nature pour poser son regard sur tout ce qui nous entoure et lui donner vie à tout moment de la journée comme de la nuit. Lionel Seppoloni est à la fois un écrivain, un écrivain qui joue admirablement bien avec les mots, mais c’est aussi un peintre, il peint avec les mots et charme le lecteur grâce à la facilité déconcertante avec laquelle il fait vivre ses textes.

Entre deux gares s’inscrit dans le cadre de notes de voyage mais de voyages particuliers. Toutes les scènes se passent dans l’environnement ferroviaire ; gare ou train. Le premier texte date de 1989, le dernier de 2022. C’est dire que l’auteur nous convie à un très long voyage avec lui pendant lequel il nous fait revivre des moments inoubliables. Écriture fascinante par une ponctuation des plus remarquables où pudeur et réserves s’harmonisent avec l’humour.

Lionel S est friand de phrases longues parsemées de virgules et de points-virgules. Des phrases longues qui ne sont pas là pour rappeler Marcel Proust. Des phrases longues qu’admire le lecteur qui n’hésite pas à revenir sur des paragraphes entiers pour les relire et peut-être même s’adonner à la lecture à voix haute pour mieux saisir les sonorités du texte. Chaque mot, chaque phrase, chaque paragraphe a son importance dans cet ouvrage magnifique qui se distingue par sa construction et par la volonté de l’auteur de faire briller la langue française qui est utilisée avec dextérité pour non seulement charmer le lecteur mais lui faire apprécier cette langue à sa juste valeur.

Hors de ces trains qui se faufilent défile à l’extérieur toute la vie en plusieurs tableaux. Le beau et le laid se mélangent Le triste se mélange à la joie. On passe d’une fresque à une autre que Lionel S prend plaisir à nous conter avec son regard attachant. C’est un humaniste conscient de la valeur des choses qui nous entourent et de la beauté de cette planète que nous gâchons admirablement.

Le récit est composé de divers voyages auxquels l’auteur a donné des titres selon le regard qu’il porta ce jour-là. Regard de joie, regard fatigué ou simple curiosité. Il y a dans ces descriptions la volonté de faire un croquis de chaque personne ou chaque situation qui aurait attiré son attention, comme l’aurait fait un artiste de gravure. Ce qui frappe est cette connivence entre l’auteur et le lecteur car ce sont des voyages assez solitaires et si les textes sont captivants, l’auteur s’adresse peu aux voyageurs.

Le récit se découpe en deux parties ; d’une part nous avons tout ce qui se passe en dehors du train qui file à une allure vertigineuse, laissant peu de temps à l’auteur pour porter un regard insistant sur ce qui se passe, d’autre part les scènes les plus longues se passent à l’intérieur du train et ces deux scènes sont séparées par une vitre, la vitre du train où l’auteur pose souvent le front. La vitre du train qui renvoie son reflet. Cette vitre de séparation revient assez souvent dans le récit. La cadence de l’écriture est tout à fait différente lorsque le regard du narrateur se porte à l’extérieur. C’est une cadence très rapide qui dépeint merveilleusement bien les scènes en dehors du train et qui donne un certain rythme au texte.  

À l’intérieur, l’observation est plus posée, lui laissant le temps de peindre au couteau littéralement chaque détail. L’écriture se ressent. C’est en ces moments-là que la ponctuation prend tout son sens et que l’auteur excelle en composant de longues phrases. C’est une écriture qui frappe et nous invite, nous lecteurs, à revenir à chaque fois sur certains paragraphes pour apprécier la sonorité des mots, l’enchaînement des idées et visualiser les tableaux. Bien qu’il y ait des mois d’écart entre chaque déplacement, il y a une très grande fluidité dans le déroulement du récit et le lecteur ne ressent à aucun moment ces coupures. L’impression donnée est celle d’un train qui ne s’arrête jamais ou s’il s’arrête, c’est pour que l’auteur en change, une correspondance infernale et sans fin.

Entre deux gares est un récit qui nous invite au voyage mais pas seulement. Il y a la volonté de l’auteur de nous faire prendre conscience de notre espace. Une fois la lecture de l’ouvrage terminé, le voyage continue à l’intérieur de nous-mêmes. Le train de notre vie ne s’arrête jamais.

Entre deux gares est publié aux Éditions Chambre d’Échos, petite maison indépendante parisienne qui a l’avantage de nous présenter des ouvrages admirables, loin de tout tapage médiatique, mais qui valent le détour.

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Entre deux gares. Éditions Chambres d’Échos. ISBN 978-2-913904-80-4. Prix 16 euros.

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Extrait

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[…] Fournaise capitale.  » C’est l’été le plus chaud du siècle, le jour le plus chaud de l’été », écrivait Nicolas Bouvier à Kyoto en juin 1970 ; qu’écrirait-il aujourd’hui ? Une station météorologique annonce 42.6°. Les perruches vertes qui ont colonisé la ville semblent avoir précédé de peu le climat tropical qui leur convient : demain, Paris sera Cayenne, il y aura des palmiers place du Trocadéro. Au fond de la voiture surchauffée du métro, un vieux juif en costume noir, chapeau noir, barbe et chemise blanche, est assis à côté d’un jeune rasta tatoué en débardeur et bermuda de camouflage, qui se tient lui-même en coude-à-coude avec une trentenaire en chemise à carreaux, cheveux courts et barbe noire parfaitement taillée, tous trois s’ignorent, et ignorent surtout à quel point les rapprochent non seulement ces trois sièges serrés, mais aussi les smartphones qu’ils sont chacun occupés à consulter avec une extrême attention, si bien qu’on ne peut qu’être frappé par le spectacle involontairement cocasse de ces identités socio-vestimentaires si marquées, mais niées par la position parfaitement identique de leurs trois têtes inclinées du même coté, de leurs bustes légèrement penchés sur l’écran, de leurs mains pianotant sur les claviers (le vieil homme avec hésitation, le rasta avec décontraction, le geek, des deux pouces, avec aisance évidemment) et des cordons blancs qui, reliant leurs oreilles aux smartphones, les relient entre eux, tous emportés dans la même étude du même train.[…]

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Auteur

Lionel Seppoloni, né en 1975, a passé son enfance à Ferney-Voltaire puis à Chambéry. Enfant singulier, il trouve très tôt en la littérature un moyen de vivre. Agrégé de lettres, il enseigne un temps en Guyane avant de revenir habiter en Savoie. Ce n’est pas un moindre paradoxe que, rétif aux départs, il soit particulièrement inspiré par le déplacement, en voiture, en train, à pied. (Source La chambre d’échos)

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Dominique Lancastre. Pluton-Magazine Abécédaire. Entre Les Lignes. 2023.

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