ENTRE LES LIGNES -F- : Pourvu que mes mains s’en souviennent de Quentin EBRARD.

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Par Dominique LANCASTRE.

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Un château, une colonie de vacances et des choses étranges qui s’y passent. Le roman commence par la fuite de Louise qui se fait rattraper par les moniteurs d’une colonie, les monos comme les appelle Louise. Dès le début du roman, le lecteur est projeté dans l’histoire et l’auteur le tient en haleine.

C’est un environnement étrange d’enfants, un environnement imaginaire que le lecteur n’arrive pas trop à saisir. Mais l’auteur excelle en adoptant un langage de jeune, et pourtant les personnages qu’il nous décrit sont-ils vraiment jeunes ? Ce n’est donc pas un roman jeunesse, loin de là. Il y a une intrigue qui se construit au fil des pages et que Quentin tisse au fur et à mesure en distillant des informations. Des informations qui nous mettent sur une certaine piste et qui apportent une très grande originalité à ce roman.

Nous savons que Louise a été enlevée, d’après ses dires, et tente à chaque fois de s’évader du château, pour retrouver son père, Jean Pujol, et Marie Pujol, sa mère.  Nous faisons la rencontre de Juliette et de Simon qui vont jouer un grand rôle dans la construction de l’intrigue. Les tentatives répétées de Louise pour s’échapper par voie terrestre et qui sont restées sans succès la poussent à échafauder un autre plan. Elle se lance, avec l’aide de Simon, dans la réfection d’un deltaplane acheté sur internet.

Quentin Ebrard embarque le lecteur dans ce plan d’évasion qui se trouve alors suspendu à cette idée que seul le dénouement contredira :

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 Je tente de lui décrire mon plan avec mes mots. Mais je les perds, ces mots. Un silence s’installe. J’oublie tout, dans cet endroit de malheur… La faute à la piqûre d’hier soir aussi, peut-être. J’essaie de lui expliquer mes évasions, si nombreuses que je ne me souviens pas de toutes mes tentatives. Les monos m’ont toujours rattrapée, sur la longue route qui mesure onze kilomètres. Ça, je m’en souviens ! Je n’ai jamais pu arriver au bout. Avec mon deltaplane, ce sera un jeu d’enfant. 

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Il y a chez Quentin Ebrard un air de William Golding. Un Golding qui fait irruption dans le roman comme par magie mais qui est simplement là pour faire diversion. Si le lecteur se passionne pour le plan d’évasion de Louise, qui se construit au fur et à mesure, il ne sait toujours pas pourquoi elle veut s’enfuir de cet endroit de malheur comme elle le dit si bien. Les autres « jeunes » ne semblent pas vouloir quitter la « colonie. » Louise nous informe au sujet de disparations étranges mais est-ce le fruit de son imagination ou se passe-t-il vraiment des choses curieuses dans ce château, comme elle le prétend ?

Quentin Ebrard joue avec le lecteur en utilisant un subterfuge et le lecteur y croit. Il joue avec la naïveté apparente de Louise. Mais, petit à petit, nous découvrons le caractère de Louise, personnage principal de ce récit.

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 J’aime l’expression désordonnée des corps, le contact brutal des autres contre ma peau, sortir le mal qui ronge mes tripes par la violence. En vérité, je me retiens de rire tant je jubile.

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Quentin E. nous entraîne dans son monde imaginaire, un peu à la manière des auteurs britanniques fantasmagoriques. Les références à Harry Potter ou Le Seigneur des anneaux ne sont pas anodines et servent à consolider son histoire pour brouiller les pistes et manipuler le lecteur. Une femme qui apparaît dans la nuit. Une visite inattendue d’une certaine Sylvie. Tout est fait pour rendre l’atmosphère mystérieuse et inciter le lecteur à découvrir un peu plus, page après page.

On peut dire que Quentin réussit son stratagème et le lecteur se laisse guider avec plaisir, jusqu’au dénouement extrêmement surprenant

Plus on avance dans la lecture du roman, plus on se rapproche d’une certaine manière de Sa majesté des Mouches de William Golding. Il y a dans le comportement de ces prétendus adolescents que dépeint Quentin E quelque chose de terrifiant.  Mais le sont-ils vraiment ?

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 Folie ou intelligence, quelle différence ? Il s’agit des deux faces d’une même déviance.

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En tout être humain sommeille un démon, surtout quand cet être humain se trouve acculé à une position. Louise, derrière ses airs naïfs, peut réagir de façon brutale. Mais ses réactions ont un sens que le lecteur ne peut s’imaginer. C’est en plongeant dans ce livre et en s’accaparant le personnage de Louise que le lecteur réalise toute la portée du travail de l’auteur

Pourvu que mes mains s’en souviennent s’inscrit dans le registre des romans très difficiles à cataloguer car Quentin Ebrard prétend nous entraîner dans son monde imaginaire alors qu’il n’en est rien et qu’il faut vraiment attendre de lire les dernières pages pour comprendre ce roman original d’un point de vue structurel mais aussi au regard de son inspiration.

L’auteur excelle en nous attirant dans une direction et nous ne pouvons à aucun moment deviner un tel dénouement. C’est le rôle du romancier de nous faire croire à ce qui n’existe pas et de nous emmener dans son imaginaire.

C’est un premier roman. Un premier roman dont la structure marque l’empreinte de l’auteur. Entre les lignes vous invite donc à découvrir ce roman dont l’éditeur souligne l’originalité en quatrième de couverture et qui est un roman dont on ne sort pas indemne.

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Editions Belfond ISBN 978-2-7144-9829-8 Prix 20 euros

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Auteur

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Né en 1991, Quentin Ebrard est d’origine cévenole. Après avoir été journaliste, il devient influenceur littéraire (plus de 10 000 abonnés). Il est aussi responsable éditorial sur des sujets environnementaux. Pourvu que mes mains s’en souviennent est son premier roman.

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Dominique Lancastre. Pluton-Magazine Abécédaire. Entre les lignes 2023.

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