Par Philippe Estrade Auteur-conférencier.
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Les historiens ne parviennent toujours pas à s’entendre sur l’origine encore floue des Étrusques qui ont dominé le centre de l’Italie, notamment entre le 8e et le 5e siècle avant J.-C., où ils parvinrent à atteindre un surprenant rang dans le bassin méditerranéen. Au début de leur émergence, les Romains les ont appelés « Etrusci » ou « Tusci », ce qui a d’ailleurs donné son nom à la Toscane, région de la péninsule où les Étrusques se sont durablement épanouis, et celui de « Thyrrhenoi » ou Tyrrhéniens pour les Grecs. Métallurgistes et joailliers hors pair, ils ont offert une civilisation d’habiles artistes comme en témoignent les tombes, les fresques ou encore la décoration des vases de cette remarquable culture préromaine.
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UNE CIVILISATION FLORISSANTE ANTÉRIEURE AUX ROMAINS
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Ce peuple de navigateurs pour beaucoup se fixa entre la plaine du Pô, la Toscane et la partie nord du Latium pour l’essentiel, bien qu’ils se fussent également installés sur des zones côtières du bassin méditerranéen occidental, des côtes ibériques à la Gaule méridionale et la Corse. L’étruscologue Federica Saccheti explique cependant que « ce peuple n’a jamais constitué une nation en tant que telle, ni même une fédération ».
Mais d’où viennent-ils ?
Deux hypothèses majeures s’opposent, celle d’Hérodote, père grec de l’histoire et de la géographie, qui y voit des tribus qui ont migré d’Asie occidentale ou d’Asie Mineure et les partisans d’un peuple indo-européen qui aurait franchi les Alpes pour s’installer dans la péninsule italienne. Une autre hypothèse soutient que les Étrusques seraient issus de l’épopée villanovienne, mot issu de Villanova di Castinaso un site archéologique majeur situé près de Bologne en Italie, une culture de la fin de l’âge de fer aux origines de la civilisation étrusque émergente. En tout état de cause, alors que les Étrusques partageaient de nombreux points communs avec les peuples du Proche-Orient et de l’Asie Mineure, notamment par la langue, cette hypothèse d’une origine orientale semble contestée par beaucoup.
Des cités-États performantes
Occupant un territoire qui s’appela Étrurie, c’est entre Florence et Rome qu’abondent les sites majeurs et que s’est concentrée la puissance politique et économique de la société étrusque. Les fouilles conduites en Toscane attestent de la présence étrusque dès la fin du 10e siècle avant J.-C. Leur expansion s’est orientée au nord vers Mantoue, aux portes des populations vénètes et en direction du sud jusqu’en Campanie, vers Naples puis la Sicile. Toute proche de la mer Tyrrhénienne, Tarquinie fut la toute première ville créée par la pénétration étrusque, mais c’est au 7e siècle qu’ils connurent l’apogée de leur civilisation de cités-États indépendantes et particulièrement performantes qui pouvaient s’allier pour faire du commerce.
La concurrence avec les Grecs
Pas forcément belliqueux, les Étrusques ont toutefois imposé par les armes leur expansion dans le bassin tyrrhénien puis pour s’étendre des Apennins au Tibre et au grand Sud plus tard. Dotés d’une puissante flotte et remarquables marins, ils cherchèrent à se fixer en Méditerranée occidentale et devinrent immédiatement les rivaux des Grecs alors à leur apogée. Plus au sud, ils entrèrent en rivalité avec la brillante cité de Carthage avec laquelle ils s’associèrent toutefois pour contrer les ambitions grecques et s’emparer d’Alalia la Corse en 540 avant J.-C., alors sous domination grecque, les Carthaginois s’appropriant la Sicile et l’Ibérie. En Gaule, chez les Celtes, les Étrusques parvinrent aussi à se fixer à Lattara, pas très loin de Montpellier. Un désormais célèbre buste étrusque de la taille d’un homme y a été découvert, accompagné de vestiges de bonne qualité archéologique, de tombes et même d’un sanctuaire.
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UNE ORGANISATION POLITIQUE PARTICULIÈREMENT ÉLABORÉE
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Souvent regroupés en dodécapoles, c’est-à-dire douze cités-États, les Étrusques se liaient surtout pour des motivations religieuses tout en maintenant une rigoureuse indépendance politique, et c’est probablement cette absence de fusion civilisationnelle et militaire qui a permis à Rome de les soumettre totalement au 1er siècle avant J.-C. Les révoltes contre la nouvelle domination romaine furent systématiquement broyées La civilisation étrusque s’est alors noyée dans une assimilation sociale, politique et linguistique au profit du latin. Elle a cependant laissé un héritage considérable dont Rome s’est inspiré dans ses coutumes et son panthéon religieux, notamment les divinités étrusques Tinia et Uni, devenant Jupiter et Junon chez les romains.
La noblesse remplace les rois
Dotés d’un manteau pourpre, les rois des cités-États disposaient de tous les attributs du souverain respecté et reconnu, couronne et spectre en particulier, comme Tarquin l’Ancien. Cependant, la puissante noblesse appuyée par la bourgeoisie des affaires a fini par s’imposer au détriment des premiers rois pour administrer les cités-États dès le 4e siècle avant J.-C. Les chroniques précisent que les esclaves étaient nombreux et que de fréquentes révoltes ont marqué l’histoire de la société étrusque.
Une armée de conquête
Bien que nous ne disposions que de peu d’éléments pour comprendre l’organisation militaire étrusque, l’armée, qui dans un premier temps s’impliquait dans les conflits locaux et territoriaux, a très vite pris la mesure de la rigueur et de l’équipement pour conduire des opérations de conquêtes extérieures, et disposait d’ailleurs d’une cavalerie. Nous savons aussi que les combattants du premier rang qui disposaient d’un armement proche de celui des Grecs opéraient en phalange, protégés par leurs casques, jambières, grands boucliers circulaires et épées, suivis d’un second et d’un troisième rang d’hommes affectés au harcèlement.
Religion et mythologie
La journée d’un Étrusque était fortement soumise aux protocoles religieux. D’ailleurs, Tite Live a précisé « qu’ils tenaient, plus que toute autre nation, à l’observation des rites religieux ». Divination et consécration des sanctuaires des cités-États animaient la mythologie étrusque née de la révélation de la nymphe Bégoé et de Tagès le génie. Le panthéon des divinités étrusques était particulièrement riche, Turan la déesse de l’amour devint Vénus en latin, Nethuns le dieu de la mer appelé Neptune en latin, Tums le dieu du commerce et encore Menrva, la déesse Minerve chez les Romains.
Un alphabet d’origine grecque
L’écriture étrusque qui se lit de droite à gauche offre un alphabet d’origine grecque. Peu de textes sont finalement venus jusqu’à nous, outre des bandelettes de momies et des inscriptions funéraires. Les fameuses tablettes de Pyrgi présentent une quarantaine de mots et sont datées du 5e siècle avant J.-C., l’âge d’or étrusque. Visible à Rome, au Museo Nazionale di Villa Guilia, elles sont gravées dans de l’or fin, et destinées à la déesse Unie, la reine des dieux, Junon chez les Romains.
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L’ART ET LES SCIENCES, UNE SOCIÉTÉ AVANCÉE
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Aucune trace de maisons, de palais ou de temples édifiés en brique ou en bois n’est parvenue jusqu’à nous. Les rares traces de structures indiquent tout de même que les temples étaient érigés avec des toits en tuile, à pignons, comme les temples grecs. Le temple étrusque possédait un porche à quatre colonnes et un toit recouvert de statues colorées. D’ailleurs, les Romains plus tard ont bâti leurs temples sur les modèles étrusques. Remarquables artisans du bronze, les Étrusques ont également laissé des sculptures exceptionnelles en terre cuite. La Grèce a fortement marqué la culture étrusque, la peinture et la richesse des arts décoratifs rappellent les motifs de style grec comme notamment les vases.
La célèbre louve du musée du Capitole à Rome
Déjà décrite par Cicéron, c’est bien sûr l’incontournable célébrité du Capitole, le principal musée de Rome, une sculpture qui n’est pas romaine mais étrusque, réalisée en bronze et datée du 5e siècle avant J.-C., bien que la datation précise soit controversée désormais. Selon les nouveaux modèles de datation comme le carbone 14, Il semble admis aujourd’hui que cette délicieuse œuvre aurait pu être réalisée au 11e ou 12e siècle. En tout état de cause, la Louve était bien le symbole étrusque et a influencé Rome dans sa création mythologique. Rémus et Romulus, allaités par la Louve, ont été rajoutés à la Renaissance, probablement par l’artiste Antonio Pollaiuolo. Cependant, les plus nombreuses œuvres étrusques ont été réalisées en terre cuite, en particulier sur les revêtements de sarcophages.
Fresques et arts décoratifs, autre savoir-faire des Étrusques
Important la poterie grecque, les Étrusques ont pu s’en inspirer pour réaliser des œuvres magnifiques rivalisant avec l’art grec, utilisant la céramique brillante, souvent de couleur noire. La confection de bijoux en or, ivoire ou argent fut un savoir-faire reconnu dans le monde méditerranéen, tout comme les chariots, la vaisselle ou les chandeliers moulés dans le bronze. On a par ailleurs retrouvé des fresques délicieusement colorées dans les tombes en particulier. Certaines s’inspirent de la mythologie ou de la littérature grecque comme la vie d’Achille mais également des scènes de vie, des danses, banquets ou jeux divers.
Un legs énorme pour les Romains
En se romanisant par la force des armes romaines, les Étrusques ont apporté à Rome un legs considérable. Notons pour l’essentiel : le manteau violet de celui qui s’impose et triomphe, la couronne d’or et le spectre, symboles du pouvoir, mais aussi les tactiques militaires comme la stratégie hoplitique, c’est-à-dire le combat à pied conduit par des soldats lourdement armés, une stratégie ramenée de Grèce, et même la musique militaire. Sur le plan architectural, maisons et temples romains sont de style étrusque et les fastes religieux romains, dont la divination, sont également d’origine étrusque. Même le théâtre de Rome et les divers jeux s’inspirèrent là-encore de la civilisation étrusque.
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L’empereur Claude au 1er siècle avant J.-C. admirait la culture étrusque et parlait même la langue étrusque. De nos jours, spécialistes et étruscologues soulignent cette civilisation raffinée, épicurienne et délicieusement attachante. L’Étrurie fut une civilisation d’inspiration grecque installée dans le centre de l’Italie. Tive Live l’a bien écrit « Grande était la puissance de l’Étrurie dont la glorieuse renommée envahissait les terres et la mer aussi sur toute l’étendue de l’Italie, des Alpes au détroit de Sicile ». Cette civilisation que Rome a copiée somme toute, c’était en quelque sorte Rome, cinq siècles avant Rome !
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Philippe Estrade.
Pluton-Magazine/ Paris 16/ 2023
