ENTRE LES LIGNES – O- : Ce pays qu’on appelle vivre d’Ariane Bois

Par Dominique LANCASTRE

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En cette rentrée littéraire où tout se bouscule, je me suis arrêté sur un roman qui se distingue par la qualité des recherches effectuées et le retour sur des événements connus mais dans un autre contexte. Ce pays qu’on appelle vivre est loin d’être « encore » un roman sur les juifs pendant la Seconde Guerre mondiale et si vous vous attendiez à lire des histoires de résistance, d’appartements qui sautent ou de voitures qui explosent, vous avez tout faux.

Nous sommes au début de la guerre, la France est coupée en deux. Dans la zone libre les choses vont un peu mieux et l’espoir d’un revirement de la situation est dans la tête de tout un chacun, surtout lorsqu’on est juif.

Leonard et Margot sont des personnages fictifs mais Ariane Bois les dépeint avec une telle minutie qu’ils pourraient avoir été des personnages réels. Arrêté et emprisonné aux Milles dans le Sud de la France pour ses positions politiques de gauche, Léonard connaît la descente aux enfers.

En lisant ce roman, on ne peut empêcher de faire le rapport avec le parcours de l’auteure, de formation journalistique, et c’est comme si elle avait remonté le temps et se positionnait comme reporter de guerre. Il y a cette volonté de nous expliquer en détail la situation au fur et à mesure que les positions politiques changent en France, que la France tombe sous le régime de Vichy alors que personne ne veut y croire. L’auteure ne joue en aucun cas la prof d’histoire mais elle s’est bien documentée et nous livre un récit d’une cohérence et d’une consistance historique époustouflantes.

Ce pays qu’on appelle vivre, roman de mémoire, est un hymne au courage, un hymne à l’amour. Car en dépit de tout le chaos qui existe autour des personnages, Ariane Bois explique comment ces prisonniers, dont certains seront déportés, ont créé une forme de résistance, non pas physique mais véritablement mentale, en se servant de l’art et de la culture.

Que reste-t-il quand tout se désintègre autour de vous, qu’on vous dépossède de tout et que même la personne que vous aimez vous lâche ?  Il reste la dignité et cette dignité vous pousse à tenir bon et à échafauder des plans pour vous en sortir. C’est ce qui se passe avec Léonard, dessinateur. L’art, le dessin, le théâtre, dans un camp où tout n’est que laideur, deviennent une échappatoire.

Bien entendu, Léonard Stein essaie de s’enfuir mais est rattrapé, et le cœur du lecteur bat à chaque page en espérant qu’il va y réussir, qu’il va parvenir à trouver une solution pour fuir loin de ce camp avant que la France tombe complètement aux mains des Nazis.

Ariane Bois nous raconte une histoire que l’on connaît car personne n’ignore les déportations des juifs à moins d’être révisionniste et de se voiler la face. Mais ce qui est très intéressant c’est ce qu’elle a fait de ses personnages. Dans le chaos qui sévit, dans l’incertitude de rester en vie, dans l’espoir de retrouver ceux et toutes celles dont ils ont été séparés, il y a la ferme intention de s’accrocher à la vie. C’est un roman en effet très positif. Il y a la volonté de l’auteure de nous raconter autrement ce qui se passe aux Milles (camp français d’internement et de déportation). Elle nous passe en revue les trois grandes périodes aux Milles. Au début, seuls les hommes sont internés (cela commence en 1939), puis on voit arriver les opposants, les indésirables et finalement en 1942, femmes et enfants sont internés puis déportés vers Auschwitz.

Ces trois périodes sont très bien dépeintes dans Ce Pays qu’on appelle vivre et le lecteur, en suivant le parcours de Léonard qui a fait la connaissance de Margot, se trouve projeté dans cette période. Certaines descriptions nous donnent froid dans le dos mais c’est la très grande réussite du roman car il s’agit de faire ressentir aux lecteurs les conditions dans lesquelles ces personnes qui du jour au lendemain ont été dépossédées de leur bien ont été traitées comme des moins que rien.

On ne sort pas indemne de cette lecture passionnante car beaucoup d’intellectuels ont été internés dans ce camp et c’est un coup très dur porté contre le monde de l’intellect. Il est très important de revenir sur ce genre de contexte historique car dans cette chasse à l’homme, on note la volonté de faire disparaître tous ceux et toutes celles qui pensent.

Ce pays qu’on appelle vivre est un roman à lire pour qu’on se souvienne et que plus jamais une telle situation ne se reproduise.

 Ce pays qu’on appelle vivre est publié aux Éditions Plon.

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Auteure

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Ariane Bois est romancière, grand reporter et critique littéraire. Elle est notamment l’auteure, récompensée par de nombreux prix littéraires, du Gardien de nos frères (Belfond, 2015), Dakota Song (Belfond, 2017), L’Île aux enfants (Belfond, 2019), finaliste du prix Maison de la presse, et L’Amour au temps des éléphants (Belfond, 2021). Éteindre le soleil ( Plon 2022 )

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Dans l’univers d’Ariane Blois

https://www.lisez.com/auteur/ariane-bois/110001

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ISBN 9-78-2-25931-151 Éditions Plon Prix 20.90 euros

Dominique LANCASTRE

Pluton-Magazine Entre les lignes abécédaire

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