L’AFRIQUE EST – ELLE RESPONSABLE DE SES MALHEURS ACTUELS ET PASSÉS ?

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Par Alain Alfred Moutapam

 » Depuis les résultats du colloque de l’Unesco de 1974 sur les peuplements de l’Égypte ancienne, et les denses et richissimes travaux du professeur Cheikh Anta Diop, les analyses ADN des différentes momies trouvées lors des fouilles archéologiques en Égypte et en Nubie, actuel Soudan, les écrits des savants grecs tels que Diodore de Sicile, Xénophane de Colophon, sans oublier l’un des plus célèbres d’entre eux, Hérodote, il est scientifiquement prouvé que l’Égypte pharaonique antique était une civilisation essentiellement noire. Elle l’était dans sa langue, son écriture, sa dénomination, ses populations, ses vestiges, ses pharaons, son sphinx, etc. Cette thèse qui ne devrait plus faire l’objet de quelque polémique au regard de sa scientificité, se trouve parfois remise en cause par certains idéologues occidentaux ou arabes, sans qu’ils soient capables d’apporter les preuves scientifiques et donc testables de leurs allégations. Ayant été vaincus sur le terrain de la scientificité ou de la preuve laborantine, lors du colloque du Caire en 1974, c’est finalement sur le terrain du mensonge, de l’idéologie, des préjugés raciaux de la présupposée infériorité du Noir, qu’ils prospèrent.  Le temps de gloire de l’Afrique a-t-il commencé et s’est-il arrêté au temps des pharaons ? N’a-t-on pas découvert l’os de Lebombo et d’Ishango et leurs célèbres formules mathématiques 77.000 et 22.000 ans avant l’ère chrétienne respectivement ?

Au Moyen Âge, et ce, avant leur déclin, les grands empires africains comme ceux du Mali, du Ghana, du Bénin, Songhaï, du Monomotapa, ne connurent-ils pas un grand essor en termes d’organisation politico-sociale, économique, culturelle et religieuse lorsque l’Occident et le reste du monde était encore plongés dans les ténèbres de l’ignorance et de la barbarie ? Le roi du Mali n’était-il pas en ces temps, l’un, voire le plus riche et le plus puissant homme du monde sur le plan matériel ?

Parmi les vestiges de ce passé glorieux, on peut encore apprécier aujourd’hui la rigueur, la profondeur, la justesse et l’universalité de la célèbre charte du mandé : l’un des premiers instruments juridiques de l’humanité sur les droits humains. Elle fut adoptée en 1222 au Mali, sous le règne de Soundiata Keita. C’est au demeurant, un texte qui a une valeur supra constitutionnelle, en ceci qu’il régit de nombreux aspects de la vie en société, et consacrait déjà en ces temps anciens,  l’égalité entre tous les humains, sans distinction de race ni de sexe. Dans le même ordre d’idées, l’empire du Mali offre au patrimoine commun de l’humanité les manuscrits de Tombouctou. Cette ville  était en ces temps une ville lumière  jouissant d’un grand bouillonnement intellectuel avec ses nombreux savants, ses écrits, ses maîtres en géomancie, en astronomie, en philologie, en chimie, en médecine, en chirurgie optique,  comme l‘attestent  les récits anciens et le contenu des manuscrits qui portent ce nom.

 Force est donc de constater que l’Afrique, Kama, de son vrai nom, et ses peuples ont connu comme c’est le cas de l’Occident depuis quelques siècles, un temps de grandeur  et de puissance. Malheureusement cette Afrique- là  est peu connue, voire méconnue par les Européens, les Américains, les Asiatiques mais aussi et surtout par les Africains eux-mêmes. Ceux du continent, comme ceux de la diaspora. Il y a donc comme une conspiration générale du silence, nourrie par les grands du monde, et entretenue par les élites africaines au pouvoir, sur ce passé glorieux du continent-mère. Et pourtant, aucun peuple, aucune nation ne saurait affronter les défis du présent et ceux à venir, sans une réappropriation réelle de son passé. Le poète Aimé Césaire ne dit-il pas que : « Le chemin le plus court vers l’avenir est celui qui passe par le passé ? » Les Africains du continent comme ceux de la diaspora ont l’obligation de connaître leur vraie histoire et de la transmettre aux générations futures. Cette omerta, précédée d’une falsification, d’une réification de l’histoire africaine, accompagnée des destructions des vestiges de ce passé, n’est rien d’autre qu’un crime contre le patrimoine commun de tous les humains.

Il incombe hic et nunc aux générations présentes et à venir de restaurer en toute objectivité ce pan de notre histoire commune, en ces temps de clash de civilisation comme le présageait déjà Samuel Huntington.

Dire aujourd’hui que le continent noir a perdu son rayonnement d’autrefois, et par conséquent, l’initiative historique, est un truisme. En effet, en 525 avant Jésus Christ, pour la première fois, Kama dut subir l’invasion perse, avec le roi CAMBYSE II. Elle fut suivie de l’invasion arabe au 7e siècle, puis de l’invasion gréco-romaine. Depuis lors, le continent a connu d’autres agressions et d’autres traumatismes : 4 siècles d’esclavage, près de 2 siècles de colonisation et de néocolonisation, de nombreuses guerres,  la famine,  la sécheresse,  l’immigration illégale, les plans d’ajustement structurel, les coups d’État, les biens mal acquis, des gouvernants corrompus à la solde de multinationales étrangères aux méthodes déshumanisantes, etc.

Nonobstant tous ces malheurs, l’Afrique reste debout et continue à susciter de nombreuses convoitises : non plus seulement de l’Occident, mais dorénavant de la Chine, de l’Inde, du Brésil, de la Russie, etc.  

Mais comment expliquer ces malheurs récurrents du continent-mère ?

L’Afrique a-t-elle les moyens de se sortir de cet embrigadement et de ce complot séculaire voire millénaire ?

Dans nos développements, nous identifierons les causes  des agressions  successives et des défaites de Kama dans le passé, dans le présent, pour in fine, cibler, indiquer, proposer les voies ou les chemins à prendre, dans la perspective d’une renaissance basée sur la réappropriation des valeurs spirituelles ancestrales, socle d’une refondation de l’organisation politique, sociale, et culturelle endogènes.

L’une des principales causes des agressions et des défaites subies par le continent africain depuis l’invasion perse jusqu’à nos jours, réside dans la conception que les Africains avaient du monde et de la vie. Cette vision du monde autrement nommée paradigme, est comme partout ailleurs influencée par l’environnement direct des Africains, leur vie quotidienne sous le soleil, avec des fleuves, des terres fertiles, une faune et flore riches, etc.

Qui plus est, pour l’Africain d’autrefois, la spiritualité telle qu’héritée de nos ancêtres jouait un rôle primordial dans la vie quotidienne. Cette spiritualité n’est rien d’autre que le  rapport que chaque individu entretient avec l’invisible, la force créatrice, celle qui donne vie à toute chose. Dans cette spiritualité originelle et originale, Dieu est considéré comme étant le tout et l’homme, une petite parcelle, mieux, une étincelle de ce tout. Dans ce paradigme-là, qui lui-même a évolué, tant il est vrai que rien en ce bas-monde n’est statique, en tout cas, pas l’histoire des peuples, encore moins celle des premiers homo sapiens-sapiens que sont les Africains, on ne porte pas atteinte à la vie de quelque nature fût-elle, sans une raison solide, car toute vie est sacrée. Au demeurant, les Africains avaient la pleine conscience d’être l’émanation des premiers guides de l’humanité dans la voie de la vérité, de la justice, de la rectitude et de la solidarité (Maât). Ils savaient être dépositaires d’une mission divine  et  ils se devaient de se conformer aux valeurs cardinales de la Maât.

Cette conception du monde, bien que vertueuse et lustrale, a totalement desservi les Africains dès que d’autres peuples  se sont intéressés  au continent noir. 

En effet, l’Afrique n’était pas prête à affronter des peuples ayant un ADN de conquérants, de guerriers, des peuples qui avaient un paradigme autre, c’est-à-dire les peuples naturellement influencés par un environnement hostile, un climat rude, une tradition religieuse faite de siècles d’inquisition, de croisades et de conversion au christianisme ou à l’islam, par la force et le sang, au nom de « Dieu ». Ces différences de vision du monde expliquent en grande partie les échecs du continent africain d’hier mais aussi ceux d’aujourd’hui. Même lorsque les Africains étaient les maîtres du monde, leurs projets ont rarement été la colonisation d’autres peuples, la conquête de leurs territoires, la confiscation de leurs objets d’art les plus précieux, leur domination politico-militaire,  leur assujettissement, voire leur esclavagisation au sens leucodermique.

À la vérité, depuis l’Égypte antique, le roi ou toute personne appelée à diriger le peuple, devait être initié et habité par les plus hautes valeurs maâtiques. Cette vision de la vie et du monde est donc antithétique aux agressions, aux guerres, en somme, à toute violation de la vie et de la dignité humaines.

Au surplus, la notion d’esclave ne revêtait pas autrefois le même contenu qu’en Occident. L’esclave en Afrique était  un serviteur à la solde du maître, un captif, à la suite d’une confrontation entre 2 groupes sociaux donnés.  Bien que sous l’autorité de son maître, il conservait sa dignité d’homme, pouvait se marier et posséder des biens. Très souvent, il finissait par recouvrer sa liberté, ou alors,  intégrait plus tard la famille de son maître, par le biais d’une cérémonie traditionnelle qui lui donnait  le droit de porter le nom de la famille qu’il avait servie.  Il n’était pas soumis aux tortures ni aux humiliations quotidiennes publiques tel que cela ressort du Code noir de Gustave Colbert, qui régissait la vie de l’esclave africain en Occident.

C’est donc probablement ce paradigme-là, qui, au contact des peuples étrangers qui avaient une autre vision du monde, une conscience aiguë de l’importance des rapports de force, a perdu l’Afrique dès les origines. C’est ce qu’on a vu avec les Perses, après leurs conquêtes de Kama en 525 avant J.-C. Ils massacrèrent de nombreuses populations non préparées à la guerre et  brûlèrent les vastes bibliothèques des prêtres savants, dans lesquelles, s’instruisirent pourtant de nombreux  étudiants et  futurs savants grecs. C’est ce même paradigme d’accaparement, de contrôle de tout et du tout, du capitalisme brutal et inhumain, qui se manifeste aujourd’hui encore, dans les rapports entre de nombreuses multinationales étrangères et les pays africains, qui sont manifestement leurs réservoirs de matières premières stratégiques.

Nonobstant ces expériences d’agressions répétées, les peuples africains, du fait de leur vision du monde où tous les humains sont frères, observable encore aujourd’hui dans l’hospitalité réservée à tout étranger dans la quasi-totalité des villages africains, n’ont toujours pas adapté leur paradigme à celui de leurs agresseurs successifs. L’Afrique était, est, et continuera d’être vulnérable si rien n’est fait pour tout au moins se  protéger.

Aujourd’hui encore, l’Afrique reste sujette à de nombreuses agressions, notamment :  celles orchestrées par les dirigeants  qui lui sont imposés, et qui appliquent des projets qui ont fait la preuve de leur inefficacité : plans d’ajustement structurel, dettes à long terme des institutions de Brettons Wood, système politique, économique et culturel déconnecté des réalités sociologiques du continent, et une monnaie asservissante.  Pis encore, les dirigeants comme les peuples africains, sont victimes de l’imposition culturelle qui entraîne l’aliénation culturelle. Celle-ci sous-tend  que :  tout ce qui est étranger, occidental est nécessairement meilleur que ce qui est endogène : c’est l’hypothèse des religions importées, des systèmes de gouvernance et des politiques économiques usités, des modes  vestimentaires, alimentaires et éducationnels appliqués.

À l’extérieur, tous les regards sont posés sur l’Afrique, tout y est étudié, car l’Afrique reste dans bien des domaines, le grenier et le réservoir du monde. Mais elle donne des signes d’un potentiel réveil général.  Sa jeunesse, plus instruite et cultivée qu’hier, revendique dorénavant une gouvernance qui soit le produit de la volonté du peuple ; une monnaie propre et autonome, une juste répartition des richesses, et surtout la non- ingérence des puissances étrangères dans la gestion politique et économique des affaires du continent. Sa population croît à un rythme exponentiel, et elle devient une menace non seulement pour l’Afrique elle-même, car il faudra trouver des ressources de toute nature pour faire face aux besoins de cette population, mais aussi un danger pour les puissances capitalistes,  car à ce rythme, les Africains deviendront les plus nombreux au monde, l’équilibre des forces  s’en trouvera ipso facto renversé, par le poids du nombre.  

De ce qui précède, force est de constater que le continent africain du fait de ses croyances spirituelles et de sa vision d’un monde où règnent la fraternité, l’amour entre tous les humains, n’était pas préparé au choc des civilisations. Le constat qui découle de cette fragilité de l’Afrique, qui de tout temps la rend vulnérable face aux attaques extérieures,  c’est l’incapacité de faire front, de s’unir aux fins d’affronter  l’ennemi en bloc uni, et  non disparate. C’est donc un manquement, une faiblesse, imputables aux Africains eux-mêmes. C’est donc  aussi l’une  des causes endogènes de leurs défaites successives. Tant que les Africains ne feront pas de l’union de leurs terres et de leurs Hommes, leur credo ; ne combattront pas avec la plus grande fermeté la corruption qui gangrène tous les secteurs de la vie sociale, il sera impossible à l’Afrique, de relever les défis du monde qui vient.

Depuis la fin de la traite négrière et de la colonisation (cinq siècles au total), le continent noir, qui vit aujourd’hui sous le joug de la néocolonisation, ne s’est pas encore totalement relevé de ces temps de traumatisme profond, qui ont touché et marqué substantiellement le cœur même de son être. Peut-on se relever d’une longue nuit traumatique sans des séquelles ? Par quel miracle peut–on sortir indemne des agressions successives, les unes  aussi violentes et insidieuses  que les autres ? Le mal est là, l’Afrique reste encore étranglée, elle est captive. Son malheur est perceptible au cœur du continent comme dans sa diaspora. En effet, le constat majeur qui découle de l’observation des différents pays africains, est leur totale désorganisation sociétale. Elle s’observe sur le plan spirituel, politique, économique et culturel. Cette désorganisation et ce qu’on pourrait appeler de façon holistique, sous-développement, s’expliquent  comme nous l’avons relevé, par les attaques incessantes que le continent noir continue de subir, sous des formes plus ou moins voilées. Pour l’illustrer, on notera par exemple, qu’à l’intérieur du continent, tous ceux des leaders charismatiques qui avaient une vision et un projet sérieux pour leur pays et pour le continent, ont été et continuent d’être systématiquement assassinés depuis les indépendances  jusqu’à nos jours. (Lumumba, Sankara, Um Nyobe, Sylnanus Olympio, Khadafi, etc.)

Les budgets des différents États sont financés à hauteur de plus de 80 % par les recettes fiscales des multinationales étrangères, le tissu économique repose essentiellement sur l’importation des produits manufacturés.  C’est donc dire que la balance commerciale dans la plupart des pays africains est déficitaire ; ce qui les met dans une situation de précarité bouleversante.

Outre ces ingérences et nuisances extérieures constantes, l’Afrique doit aussi faire face à ses propres démons intérieurs, c’est-à-dire, à sa classe dirigeante actuelle. (Chefs d’État, hauts fonctionnaires, députés, sénateurs, maires, juges, douaniers, inspecteurs d’impôts, médecins, policiers, gendarmes, etc.)  En effet, non seulement elle manque de vision dans l’organisation et la projection de la vie des populations, mais elle est essentiellement vorace, égoïste et nombriliste.  Cette classe de dirigeants africains actuels est parfois considérée comme plus dangereuse pour l’Afrique que les impérialistes. Constituée de diplômés pour la plupart non culturellement situés, cette « élite » possède très souvent des résidences cossues à l’étranger, se soigne à l’étranger, envoie ses enfants dans les universités étrangères et importe tout de l’étranger. Elle pille systématiquement les caisses de l’État, s’arroge les crédits et les aides extérieurs, désorganise le tissu social, galvaude la démocratie, terrorise les populations, interdit toute contestation. Hélas, c’est entre les mains de ces pires ennemis de l’Afrique que repose le pouvoir politique dans la plupart des États en Afrique aujourd’hui. Cette élite africaine cause  au moins autant de mal à l’Afrique que les capitalistes étrangers.

Il va sans dire que trouver une dynamique, une impulsion, une voie pour une renaissance de l’Afrique ne peut être aisée dans les conditions actuelles. Pis encore, le peuple dans sa grande majorité souffre aussi profondément sans en être conscient, de l’aliénation culturelle. Qu’est-ce-à-dire ? Si ce n’est le refus de soi, et l’imitation servile de ce qui n’est pas soi. L’aliénation se manifeste dans les 3 piliers essentiels de l’identité d’un homme et d’un peuple : le nom, la langue, les us et coutumes.

Les peuples d’Afrique portent très souvent les noms et les prénoms venus d’ailleurs, parlent les langues des autres, et préfèrent en majorité les valeurs civilisationnelles des colons d’hier. Ils se nourrissent, s’habillent, et se divertissent exactement comme cela se fait ailleurs.  C’est sur le terrain de la domination culturelle et religieuse, que l’Occident a achevé de vaincre le continent noir. Et c’est singulièrement sur ce même terrain culturel que reposent les armes de la reconquête et de la victoire de l’Afrique de demain.

Le défi majeur ici est : comment  sortir de l’aliénation, comment procéder à la désaliénation ? 

C‘est d’abord dans la réappropriation de cet héritage spirituel et cultuel que se trouvent les fondements  de la renaissance africaine autour d’un projet civilisationnel ambitieux. Les Africains ne peuvent pas être les seuls au monde à croire aux religions des autres, à adopter l’organisation politico-sociale des autres, les théories économiques des autres, l’architecture des autres, les langues des autres, l’art de manger, de boire, de se vêtir, de se soigner des autres, et en même temps, vouloir les concurrencer sur ce terrain-là. Faut-il le rappeler, dans tous ces domaines, l’Afrique est mal à l’aise, car elle opère avec des schémas qui lui sont étrangers.

Il est donc plus qu’urgent pour les Africains en ce début du 21e siècle, de se poser les questions essentielles sur ce que doit être leur projet civilisationnel. Dans quel monde veulent-ils  continuer de vivre et comment veulent-ils y vivre ? Vont-ils continuer à singer l’Occident ? Encore mieux, sont-ils condamnés à être de vils copistes des théories politiques, économiques, philosophiques venues d’ailleurs? Comment retourner à soi, tout en restant ouvert au souffle positif du monde ?

L’urgence pour les Africains est de bâtir des modèles novateurs  à partir  de leur héritage ancestral. Il ne s’agit pas ici de reproduire servilement les modèles anciens. Mais plutôt d’adapter les modèles organisationnels politiques, économiques, culturels des empires d’hier aux besoins d’aujourd’hui. L’Afrique se doit d’être elle-même pour trouver le génie grâce auquel les fondations d’une Afrique nouvelle et prospère seront posées.

En conséquence, le retour officiel à la vraie spiritualité africaine, sans faire la chasse aux religions importées, se révèle  être un impératif catégorique. L’islam et la religion chrétienne, sans porter la responsabilité de tous les malheurs de l’Afrique, ont fait trop de mal aux Africains. C’est par leur truchement que les peuples africains qui avaient déjà été agressés et défaits sur le terrain militaire, ont définitivement perdu le combat face aux invasions étrangères. Un proverbe africain ne dit-il pas que : « Lorsque vous contrôlez la croyance d’un homme, il est totalement sous votre domination ? »   En religion, en politique, en économie comme dans tous les autres domaines,  les Africains doivent  penser, élaborer, structurer organiser et gérer leurs propres modèles. En renonçant massivement, et ce par la force, à leur spiritualité millénaire, pour adopter les religions étrangères, les peuples d’Afrique ont posé les jalons de leurs défaites successives et durables.

 Pour ne pas conclure, la responsabilité majeure des Africains d’aujourd’hui est avant tout de retrouver l’unité  du continent, comme le fit le pharaon Narmer en son temps, dans l’Égypte antique ; en procédant à la réunification de ce qu’on appelait Ta Seti et Ta mery pour donner la Sema Tawy. Il va sans dire qu’une Afrique divisée sert les intérêts de l’impérialisme, et dessert ceux des enfants d’Afrique. De fait, l’ossature actuelle des États africains ne procède pas de la volonté des Africains, mais encore d’un projet extérieur de domination et de contrôle, depuis la célèbre conférence de Berlin de 1884-1885 qui consacrait, sur le plan juridique, une occupation de fait. Il est extrêmement urgent pour les nouvelles générations des peuples d’Afrique de connaître leur vraie histoire, et de mettre une pression  de tout instant sur leurs élites et leurs gouvernants afin qu’elles cessent de se servir du peuple mais qu’elles soient au service de ce peuple.  Si le combat contre l’impérialisme et tous les complots visant à appauvrir perpétuellement l’Afrique doit procéder d’une articulation, d’une programmation et d’une certaine méthodologie, comme c’est le cas avec les luttes pour sortir de l’asservissement du franc Cfa, la jeunesse africaine doit tout autant se mobiliser contre son élite et ses gouvernants actuels, qui sont de vraies menaces pour une Afrique libre et renaissante.  Ce n’est qu’à cette condition que viendra le temps de l’endogénisme, du retour à soi, du penser de soi-même et par soi. Il s’agira donc de refonder tout, à partir de l’école. Car c’est elle qui structure le mode de pensée, c’est elle qui aliène ou désaliène. Il faudra donc la repenser pour l’adapter aux besoins et aux impératifs de la nouvelle Afrique. Cette refondation devra aussi opérer dans le champ politique, économique, financier, sans oublier tous les autres secteurs de la vie en société. L’Afrique a les moyens de s’en sortir, mais pour ce faire, il faut passer le cap du discours et des vœux à celui de l’implémentation. Il faut que toutes les couches populaires déshéritées s’engagent politiquement et socialement, pour mettre hors d’état de nuire les ennemis intérieurs. Ceci implique un engagement au niveau individuel comme global. Tourner le dos à cette lutte, c’est ouvrir les bras  à de plus graves tourments futurs. Face à une mondialisation encore plus violente, vorace et déshumanisante, il devient urgent de s’interroger sur la place de l’humain dans le projet des puissances impérialistes et capitalistes.  » Alain Moutapam

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Par Alain Alfred Moutapam

Pluton-Magazine 2024

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