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Par Danielle Maurel
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Après Calais. Respiration
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Octobre 2016, le gouvernement organise le démantèlement brutal de la « jungle » de Calais et envoie des milliers de migrants dans les campagnes françaises. Patricia Rieffel raconte son engagement bénévole, douze mois durant, auprès de douze hommes meurtris.
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À Bizanos, non loin de Pau, ils sont douze hommes à débarquer en autocar, accueillis par le maire du bourg et un groupe de bénévoles. Depuis le Soudan, le Tchad et l’Érythrée, ils ont traversé des déserts, dormi sous la pluie, franchi des frontières et des barbelés, saisi enfin jusqu’où peut aller l’inhumanité de l’homme.
« Ils sont pieds nus dans leurs chaussures. Ils ne portent ni pull d’hiver ni blouson chaud. (…) Ils ne sentent plus le froid, ils ont pris l’habitude de ne plus y penser. Penser doit être utilisé à autre chose, à sauver sa vie et l’avenir, puisque le passé est un démon et le présent est foutu. »
Très vite, dans la petite salle de classe, ils montrent leur soif d’apprendre, « s’accrochent à leur stylo comme on tient un gouvernail ». Les bénévoles veulent être à la hauteur de ces hommes qui arrivent en avance et ne veulent bientôt plus faire de pause pendant la séance. Ils restent malgré tout « fragiles comme du verre » et si on leur présente la médiathèque comme « leur maison », sur le marché les regards ne sont pas tous bienveillants.
Pendant des mois, Patricia Rieffel et les autres bénévoles vont s’employer à les « maintenir en vie », avec obstination et humilité. Un chemin de petits pas, de modestes avancées, que le récit distille en courts chapitres. Peu à peu, les prénoms surgissent – Rashad, Salih, Tahir…-, des bribes de vie et de souffrances se disent enfin. Ils avancent, même si leur vie est restée en arrière. « Ils ne sont jamais tout à fait avec nous ».
On apprend aussi, au fil des pages, ce que c’est que d’apprendre une langue, se mesurer à elle et parfois lui résister. Comment composer des phrases négatives ? « On a faim et on a soif tout le temps. On aime tout. On veut tout. On peut tout. » Moment intense également où ils découvrent de nombreux mots empruntés à la langue arabe, la leur. « Des mots exilés comme vous. Sauf qu’eux on les a tous gardés. On ne les a pas reconduits à la frontière, on s’en sert tous les jours, et c’est grâce à vous. »
Ainsi va ce récit si juste, pour dire le quotidien d’une rencontre entre deux groupes humains qui s’apprivoisent. Un texte dense et sensible où l’autrice se fond dans le collectif des bénévoles, où le « nous » supplante le « je », et où la poésie s’envole bien au-dessus d’un simple rapport factuel.
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L’autrice
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Née à Lyon, Patricia Rieffel a travaillé dans la valorisation du patrimoine culturel puis dans le bâtiment. Elle habite aujourd’hui à Reims. « Après Calais » est son premier livre publié.
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Par Danielle Maurel
Pluton-Magazine 2024