RÉSISTANTE, FEMME D’ENGAGEMENT AUPRÈS DE LUTHER KING, PREMIÈRE STAR INTERNATIONALE NOIRE, JOSÉPHINE BAKER A ÉPOUSÉ LE DESTIN FRANÇAIS

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Par Philippe Estrade Auteur-conférencier

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Prononcer son nom, c’est aussitôt l’émotion qui jaillit car Joséphine Baker fut aimée et admirée pour sa vie de combats. Meneuse de revue et première star internationale noire, femme d’engagement notamment auprès de Martin Luther King en faveur de l’émancipation des Noirs aux États-Unis, résistante de la première heure au service de la France libre dès 1940, Joséphine Baker est entrée au Panthéon le 30 novembre 2021, devenant la première femme de couleur et la sixième femme à intégrer la nécropole nationale.

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LE MUSIC-HALL POUR FUIR LA PAUVRETÉ

Issue d’une famille très pauvre, la jeune Joséphine n’a jamais fréquenté les bancs scolaires avec assiduité et a alterné des travaux domestiques auprès de familles bourgeoises, ce qui a permis à la fratrie dont elle était l’aînée de vivre de façon moins misérable. Née Freda Joséphine Mac Donald à Saint-Louis dans le Missouri en 1906, Joséphine Baker gardera son nom de scène toute sa vie, celui de son second époux. Artiste de rue, danseuse, c’est à Philadelphie qu’elle a rencontré son futur mari, William Howard Baker, qu’elle a épousé en 1921 à quinze ans, après un premier mariage deux ans plus tôt. Joséphine Baker, alors tentée par New York, fit ses débuts de chanteuse et danseuse de cabaret à Broadway à l’âge de seize ans.

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Joséphine, fruit du métissage

.Probablement l’enfant d’un musicien de rue itinérant, Joséphine fut très vite abandonnée et vivra avec sa mère. Fruit du métissage, d’origine espagnole, amérindienne et afro-américaine, Joséphine a toujours manifesté de la volonté, du courage et l’espoir de fuir la misère par la danse, le rythme et la chanson. Toute gamine déjà, elle dansait et faisait preuve d’une immense volonté et de persévérance pour s’en sortir par une vie d’artiste dont à l’évidence elle affichait des traits prometteurs.

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Premiers succès à Broadway

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À seize ans, Joséphine quitta William Howard Baker pour rejoindre à New York le Daly’s 63 rd street theatre, un music-hall de Broadway. Face aux refus répétés, la jeune femme, admirablement optimiste, va s’entêter et enfin rejoindre une comédie musicale entièrement noire. La rencontre au Plantation Club avec l’épouse d’un diplomate américain, attaché commercial à l’ambassade de France à Paris, va bouleverser sa vie et changer son destin. Caroline Dudley Reagan a alors admiré la performance de scène de la jeune Joséphine, à qui elle proposa 250 dollars dit-on, pour que celle-ci la suive à Paris, où son mari avait prévu de monter un spectacle de music-hall, une revue noire dont Joséphine serait bien entendu la vedette.

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Un succès phénoménal à Paris

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Joséphine n’avait pas vingt ans en 1925 quand elle a fui l’Amérique raciste pour débarquer à Paris qu’elle jugeait beaucoup plus ouverte et tolérante, au music-hall des Champs-Élysées qui lui offrit d’être la star de la Revue Nègre, un divertissement exotique qui faisait la part belle aux danses et chansons de Joséphine sur fond de saxophone. Chaque soir, elle jouait dans une salle comble. Puis artiste chez Paul Colin, elle fut alors accompagnée par une douzaine de musiciens afro-américains dont un certain Sydney Bechet qui s’était déplacé en France pour l’occasion, et autant de danseurs. Presque nue, juste dotée d’un pagne dans un décor de tambours sur fond de paysage africain, elle interpréta avec brio la Danse sauvage, un spectacle destiné à se moquer avec audace et intelligence de la lecture raciste qu’avaient les Blancs d’une manière générale des stéréotypes du continent noir. C’est aux Folies Bergères en 1927 qu’elle arbora sa fameuse ceinture de bananes, alors accompagnée d’un guépard qui suscita l’émotion et la crainte du public parisien.

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PLUS QUE JAMAIS, L’ENGAGEMENT EN FRANCE

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C’est depuis Paris que Joséphine Baker s’est engagée dans de nombreuses luttes politiques puis militaires lors de la Seconde Guerre mondiale. Évoquant l’Amérique, elle dira, « un jour j’ai réalisé que je vivais dans un pays où j’avais peur d’être noire, un pays réservé aux Blancs. J’étouffais aux États-Unis et beaucoup d’entre nous sommes partis. (…) Je me suis sentie libérée à Paris. Ici, on me prend pour une personne, on ne me regarde pas comme une couleur ». Elle fut une militante particulièrement déterminée du mouvement de la Renaissance de Harlem aux États-Unis et soutint Martin Luter King dans sa lutte pour l’émancipation des droits pour les Noirs. En France, elle a rejoint dès 1940 le général de Gaulle dans la Résistance et fut d’ailleurs honorée par de nombreuses médailles à l’issue du conflit.

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« J’ai deux amours, mon pays et Paris »

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C’est ce titre qui l’a définitivement propulsée au sommet de sa gloire. Cette chanson de Vincent Scotto ouvrit tous ses récitals, notamment au Casino de Paris à partir de 1930 et imposera la « Vénus noire » comme une immense star, rivale de la grande Mistinguett, l’autre vedette de la fin des Années folles. L’extraordinaire talent de Joséphine Baker a bien sûr dépassé les frontières de l’Hexagone et parvint même à conquérir toute l’Europe. Le cinéma fit également appel aux talents de Joséphine Baker. Elle a tourné plusieurs films et a joué en particulier dans deux films qui lui sont consacrés, avec notamment le grand Jean Gabin dans « Zouzou ». Belle, pleine de charme, dotée d’un sens aigu de l’honneur et femme généreuse, elle a touché le cœur des Français en s’engageant dans la Résistance en 1939.

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Résistante au service de la France libre

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De nationalité française depuis 1937, Joséphine Baker a répondu à l’appel du général de Gaulle et s’est immédiatement engagée dans la Résistance dès le début de la guerre, dans le contre-espionnage par l’intermédiaire de la famille de son imprésario, Daniel Marouani, puis se mobilisa aussi auprès de la Croix Rouge. À l’issue de la bataille de France en 1940, Joséphine âgée de 34 ans intègre les services secrets de la France Libre sur le territoire national puis en Afrique du Nord. Parfois, elle ira chanter sur le front et profitera de ses tournées pour transmettre documents et informations. Joséphine Baker a obtenu la médaille de la Résistance avec rosette, la légion d’honneur puis la Croix de guerre avec palme sur l’intervention de Jacques Chaban Delmas, alors ministre de la Défense.

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La défense des Afro-américains

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Se tenant avec son uniforme de l’armée de l’air française et arborant ses décorations à côté de Martin Luther King lors de la grande Marche sur Washington en 1963 devant le Lincoln Mémorial, relative aux droits civiques des Afro-américains et contre le racisme, elle utilisa son image et son prestige dans les luttes contre toutes les formes de racisme. Dès 1960, elle a dénoncé le régime de l’Apartheid en Afrique du Sud et fut même confrontée au racisme lors d’une tournée à Cuba, quand l’accès d’un grand hôtel lui fut refusé. Sa proximité avec les régimes communistes, notamment au Nord Vietnam ou lors d’une tournée en URSS, même si elle niera toujours en être membre, lui sera souvent reprochée.

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UNE VIE DE GÉNÉROSITÉ

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Immensément généreuse et meurtrie par les misères ici ou là, Joséphine Baker a adopté douze enfants de toutes les origines, elle qui ne pouvait pas en avoir, sa « tribu arc-en-ciel » comme elle aimait à le dire, tous fixés au château de Milandes dans le Périgord, qu’elle avait définitivement acquis en 1947. Mariée cinq fois et aimant la vie, Joséphine eut une vie amoureuse plutôt tumultueuse. Elle n’a jamais hésité, l’âge venant, à poursuivre ses engagements militants et à maintenir des séries de spectacles pour financer le gouffre financier que représentaient l’acquisition et l’entretien du château de Milandes.

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Les années de dettes et de difficultés

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Durant ces années financièrement difficiles, Joséphine Baker fit preuve d’abnégation et de courage. En indélicatesse avec le fisc, elle obtint le soutien de Brigitte Bardot qui lui fit parvenir un chèque pour sauver la mise aux enchères en 1964 du château de Milandes, finalement vendu en 1969. Éprouvée par son expulsion, Joséphine tomba malade et fut hospitalisée, mais le courage et de nouveaux engagements pour se produire sur scène en France et en Europe lui ont permis de revenir plus forte. Amie de longue date et artiste comme elle, Grâce de Monaco avança les fonds pour que Joséphine se reconstruise en acquérant une maison à Roquebrune.

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Cinquante ans de carrière

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Dans les années 70, Joséphine Baker est revenue épanouie et nourrie de revanche sur la scène française et internationale, et multiplia les galas, après son retour en 1968 à Bobino, la prestigieuse salle parisienne, année 1968 d’ailleurs où elle défila en tête de la grande manifestation de soutien au général de Gaulle, à l’issue des évènements de mai 68. Grâce de Monaco et le prince Rainier ont été de fervents admirateurs et des mécènes de Joséphine Baker. Elle revint à l’Olympia en 1968 ou encore à Belgrade et à Londres en 1973 et put fêter ses cinquante ans de carrière en 1975 à Bobino, en présence de personnalités majeures dont Alain de Bossieu, gendre du général de Gaulle, Alain Delon, Mireille Darc, Tino Rossi, Jeanne Moreau et bien d’autres.

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Joséphine Baker au Panthéon

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Le 10 avril 1975, le lendemain de sa quatorzième représentation, Joséphine Baker fut prise d’un malaise dans son appartement parisien, une attaque cérébrale qui la plongea dans le coma et qui l’emporta deux jours plus tard dans sa soixante-huitième année. Elle reçut les honneurs militaires et des funérailles furent célébrées dans la prestigieuse église de la Madeleine à Paris le 15 avril 1975, mais c’est au cimetière de Monaco que repose Joséphine Baker. Beaucoup d’artistes et de personnalités ont soutenu la pétition « Osez Joséphine » afin que cette grande dame, résistante, féministe, artiste mondiale, militante contre le racisme, puisse intégrer le Panthéon, la nécropole nationale. Joséphine Baker est entrée au Panthéon le 30 novembre 2021, devenant la sixième femme à rejoindre le grand temple républicain. Néanmoins, le Panthéon ne sera pas son tombeau, mais simplement un cénotaphe. La grande dame demeure pour toujours au cimetière de Monaco.

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Joséphine Baker est à part, c’est une femme immense au destin admirable et exceptionnel. Elle a passionnément aimé la France et l’a prodigieusement servie. Beauté, talent, courage, charme, volonté, Joséphine Baker affichait de magnifiques qualités. Comme cela est écrit avec finesse et subtilité sur le site du ministère de la Culture, Joséphine Baker avait tous ces dons. « N’est-ce pas trop pour un seul homme ou une seule femme ? Bien sûr que non, on en a la preuve. Cela s’appelle la preuve par Joséphine. » Celle qui avait épousé le destin français repose désormais paisible, face à la mer, à l’ombre des cyprès.

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Par Philippe Estrade.

Pluton-Magazine 2024

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