Après les temps troublés et sombres de l’expansion franque sous la dynastie mérovingienne, Charlemagne est parvenu à imposer un nouveau modèle chrétien au cœur de l’Occident, un État puissant puis un empire fixé sur la moitié du continent européen. On a pu alors parler d’une renaissance carolingienne avec des territoires pacifiés, des frontières protégées, une organisation politique performante et une volonté culturelle éclairée avec notamment l’académie palatine. Le partage de l’empire avec ses trois petits-fils conduira à l’émergence des nouvelles futures grandes nations du Vieux Continent comme la France, l’Allemagne et l’Italie.
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UN PERSONNAGE HORS NORME
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À tout point de vue, il fut un personnage hors norme pour son époque. Autoritaire, ambitieux et soucieux de mettre en place un État ordonné et pacifié, des vertus bien nouvelles en ces temps troublés de l’épopée mérovingienne agonisante, le nouveau cycle carolingien impulsé par son père Pépin le Bref va marquer l’histoire du haut Moyen Âge et préparer moins de deux siècles plus tard l’arrivée des Capétiens.
Un règne de 46 ans pour Carolus Magnus, dit Charlemagne
Probablement né à Quierzy sur Oise, peut-être à Aix-la-Chapelle ou encore Herstal en 742, et mort en 814 à l’âge de 72 ans, Carolus Magnus – Charles le Grand en latin – ou Charles 1er dit Charlemagne fut roi des Francs et des Lombards puis empereur d’Occident, un règne de quarante-six ans en collaboration au début, durant trois ans entre 768 et 771, avec son frère Carloman. À la disparition prématurée de Carloman, Charlemagne s’empara de ses terres, spoliant ainsi ses neveux et contraignant la reine Gergerbe de Lombardie, épouse de Carloman, à se réfugier en Italie. Le territoire franc était en effet partagé entre Charlemagne et Carloman, un arc allant de la Garonne au Rhin pour Charlemagne, l’Austrasie, la Neustrie et la Bourgogne notamment, au profit de Carloman. Les deux frères étaient associés pour gérer l’Aquitaine, riche et déjà rebelle.
Charlemagne, une force de la nature
Mesurant près de deux mètres, Charlemagne ne passait pas inaperçu. Il s’exprimait en tudesque, un patois rhénan ancêtre de l’allemand mais ne connaissait pas le vieux français. Les textes précisent qu’il parlait également admirablement bien le latin populaire et littéraire, la langue de la communication géopolitique issue de l’empire romain, et comprenait parfaitement le grec. Ce grand nageur et chasseur chevronné pouvait être un père jaloux selon la chronique. Ses filles l’accompagnaient sur les théâtres de guerre et leurs galants avaient grand intérêt à manifester de la patience et à offrir une sérieuse épaisseur. Le grand homme fut présenté pourvu d’une barbe blanche, dite « fleurie ». Fleurie semble être la déformation du vieux français fiori qui signifiait blanc. En fait, les historiens rejettent l’hypothèse d’une barbe aujourd’hui car à l’époque les Grands étaient pourvus d’une moustache, ce qui fut le cas probablement pour Charlemagne. La barbe dans les portraits qui ont suivi bien plus tard revêtait plus l’aspect d’un symbole pour l’histoire, celui de l’autorité, de la puissance et de la sagesse. Amoureux chevronné et passionné, on lui comptait quatre épouses, autant de concubines, des maîtresses et officiellement dix-huit enfants. Il a dû renoncer à la perspective d’un cinquième mariage pour ne pas offenser l’Église qui a semblé prendre ombrage de cette nouvelle péripétie et de l’ardent appétit de Charlemagne…
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UNE ORGANISATION POLITIQUE INNOVANTE
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Le royaume puis l’empire à partir de l’année 800 furent organisés de manière innovante et redoutablement efficace. Deux axes ont alimenté le régime : sur le plan intérieur, la gestion et le contrôle des territoires par les « missi dominici », en quelque sorte les préfets de nos jours. Enfin, une armée parfaitement décentralisée et remarquablement performante permettait de protéger avec brio les frontières de l’empire. Fixée à Aix-la-Chapelle, Aix venant d’aquae, ville d’eau, la capitale de Charlemagne était aussi bien connue pour les vertus thérapeutiques de ses bassins d’eaux thermales sulfureuses. Charlemagne, en habile protecteur et inspirateur de la chrétienté occidentale, fit construire une piscine destinée à baptiser le peuple dans le cadre de sa politique de « christianisation » de l’empire. À cet effet, l’administration offrait un vêtement blanc à chaque nouveau pèlerin baptisé. Il semblerait que certains nouveaux fidèles revenaient se faire baptiser et ainsi obtenir une garde-robe à moindre coût…
Les missi dominici
Véritable œil politique du pouvoir, les missi dominici, répartis sur tout le royaume, constituaient en quelque sorte de véritables inspecteurs royaux, des agents du palais qui contrôlaient les fonctionnaires dans l’application des lois et des capitulaires, les textes religieux. Institué par Pépin le Bref, le père de Charlemagne, mais renforcés avec Charlemagne, les missi dominici, du latin « envoyés seigneuriaux », étaient constitués d’un binôme religieux et civil, un prélat souvent évêque et un grand seigneur, un comte. En revanche, cette disposition fut modifiée dès les premières pénétrations vikings sur le continent au profit d’un nouveau binôme issu des notables locaux.
L’armée, colonne vertébrale de Charlemagne
Les puissants de l’empire, ducs, comtes ou marquis, avaient la liberté d’accueillir des hommes qualifiés « d’hommes libres » dans le cadre d’une cérémonie de la recommandation, qu’ils éduquaient, nourrissaient, et protégeaient en échange de leur fidélité à prendre les armes au profit du royaume carolingien. L’assemblée des grands du royaume représentait l’ensemble du « peuple des libres » et décidait le cas échéant, à la requête de Charlemagne, de la mobilisation guerrière. De nombreux points de rassemblement des hommes en armes furent ainsi fixés dans le royaume et l’empire. Cavalerie lourde, cavalerie légère et infanterie parvenaient à se mobiliser en un temps record pour affronter la menace sans délais, appuyées également par la garde prétorienne de Charlemagne.
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UN CONTINENT PACIFIÉ PAR LES ARMES
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Charlemagne fut présent sur presque tous les théâtres de guerre destinés à protéger les frontières extérieures et, le cas échéant, soumettre d’autres territoires à l’autorité franque des Carolingiens et au christianisme, religion de l’empire et de l’Occident. Nombreux ont été les différents fronts de conflits, notamment au sud face aux Sarrazins et au nord devant la menace saxonne. Le royaume s’est d’abord appuyé sur les acquisitions continentales de la dynastie mérovingienne, Austrasie, Neustrie, Bourgogne notamment puis la Bavière et la Frise. Issus des conquêtes, la Lombardie, la Saxe, le nord de l’Espagne et la région du Danube ont ensuite intégré l’empire.
Charlemagne protecteur du pape et du christianisme occidental
En demeurant installé à Aix-la-Chapelle, l’administration de Charlemagne était au plus près de l’influence saxonne et païenne. La guerre régulière contre les Saxons s’est étalée de 773 à 803 et parvint à se solder par une soumission totale des populations saxonnes à l’est du royaume et par une christianisation de l’ensemble de la Saxe. Dans le nord de l’actuelle Italie, les Lombards ont également été battus par les armées franques alors que le roi Didier s’était emparé de deux provinces du clergé papal. En devenant roi des lombards en 774, Charlemagne contrôla la péninsule et devint aussi le protecteur du pape et du christianisme occidental. Enfin, il poussa aussi ses pions tout à l’est au-delà du Danube dans l’actuelle Hongrie, en 796 contre les Avars, une population plus ou moins nomade qui commençait juste à se sédentariser.
Les Sarrazins repoussés
À l’abri en terre espagnole depuis l’échec de Poitiers en 732, les Sarrazins ont toujours constitué une menace civilisationnelle d’invasion religieuse pour l’Occident chrétien. Bien que la chaîne pyrénéenne constituât une frontière naturelle, Charlemagne soumit en 778 le nord de l’Espagne, de l’Ebre à la Catalogne, fixant ainsi un corridor de sécurité outre Pyrénées. L’épisode de Roland qui souffle dans son olifant pour solliciter de l’aide à la brèche du cirque de Gavarnie a beaucoup alimenté les livres d’histoire. Attaqué par les Vascons, en fait les Basques au 9e siècle, Roland, neveu de Charlemagne, se fit surprendre avec l’arrière-garde de l’armée franque. La légende raconte qu’il parvint à soustraire aux Vascons son épée Durandal en la jetant vers l’horizon jusqu’au rocher de Rocamadour, alors qu’une autre hypothèse précise qu’il brisa son épée en ouvrant la brèche qui porte désormais son nom sur les crêtes de Gavarnie…
Un couronnement contrarié
La monarchie carolingienne contrôlait tout l’Occident chrétien à la fin du 8e siècle. Face à Charlemagne, deux menaces se maintinrent, les Arabo-berbères en Espagne et l’empire byzantin qui allait contester à Charlemagne le titre d’empereur d’Occident, considérant que le titre d’empereur ne pouvait être porté que par un successeur de la Rome antique. Le pape Léon III, qui par ailleurs fut sauvé par un duc franc d’une tentative d’assassinat, couronna le 25 décembre de l’an 800 Charlemagne empereur d’Occident. Cependant, Léon III bouscula le protocole habituel et couronna d’abord Charlemagne avant que celui-ci ne soit acclamé par la foule, alors que le protocole habituel consiste à se faire acclamer d’abord avant le couronnement. Léon III voulut ainsi montrer la puissance et l’autorité de l’Église, démarche qui conduisit le nouvel empereur à regretter d’être venu à Rome.
Abul Abbas, l’éléphant albinos
En conflit avec Constantinople qui refusait de reconnaître sa légitimité d’empereur, Charlemagne obtint une alliance précieuse avec le calife de Bagdad, Haroun al Rachid. Cette alliance géopolitique ceinturait en quelque sorte l’empire byzantin avec les Francs à l’ouest et le califat arabe à l’est. Afin de remercier son nouvel allié d’Occident, le calife abbasside offrit à Charlemagne Abul Abas, un éléphant blanc qui suivit son nouveau maître de palais en palais.
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LA RENAISSANCE CAROLINGIENNE
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Outre une dimension culturelle incontestable, notamment avec la création de l’académie palatine, la dynastie carolingienne sous Charlemagne a impulsé un espace d’ordre et d’autorité, en même temps qu’une identité religieuse qui a soumis définitivement les païens et paganistes, le christianisme devenant tout puissant en Europe. Le continent allait alors connaître une floraison de nouveaux lieux de culte dans tous les villages, ouvrant la voie au futur style roman qui allait imposer partout et enraciner définitivement le christianisme.
L’académie palatine
Un rassemblement régulier d’hommes de réflexion, de sages en quelque sorte, de religieux et de copistes permit d’impulser l’académie palatine à Aix-la-Chapelle, véritable cercle de lettrés autour de Charlemagne, parmi lesquels Paul Diacre venu d’Italie éclairer ce groupe d’intellectuels, également Pierre de Pise, Théodulf d’Espagne et surtout le théologien Alcuin, réputé être le véritable créateur de l’académie palatine. Considérée comme une institution créée et présidée par Charlemagne selon certains historiens, elle aurait été la matrice des académies occidentales ultérieures. Les copistes y reprenaient soigneusement les écritures saintes des Pères de l’Église mais aussi les œuvres antiques, païennes et philosophiques. D’ailleurs, la lettre minuscule apparut à cette occasion. Appelée la caroline, elle offrit une meilleure lisibilité.
Une école dans chaque paroisse
Naturellement, Charlemagne n’a pas inventé l’école, les premiers enseignements remontent aux balbutiements de l’écriture en Mésopotamie, et Grecs, Romains, Égyptiens ou Aztèques transmettaient leur savoir aux jeunes générations. Depuis l’Antiquité, les groupes d’intellectuels se rassemblaient, échangeaient, étudiaient et pouvaient former les enfants de la noblesse et des riches familles. En revanche, Charlemagne a voulu que les enfants, y compris dans les campagnes les plus reculées, jouissent d’un apprentissage et d’une éducation, avec le calcul, la grammaire, la lecture ou encore l’astronomie, sans oublier naturellement d’y adjoindre le caractère religieux dans les enseignements. Dans cette perspective, il a confié à l’Église le soin de fonder dans chaque paroisse une école tenue par un prêtre, ouverte aussi aux enfants de condition modeste.
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Dans l’histoire européenne, Charlemagne est un personnage à part, plutôt aimé des historiens qui l’ont privilégié dans l’inventaire des grands hommes. Il fut souvent rude mais habile, homme de guerre et homme d’État imposant partout l’ordre et l’autorité chrétienne qui mirent un terme au chaos des conflits mérovingiens, période belligérante considérée comme l’âge sombre du haut Moyen Age. Dès lors, les historiens ont qualifié son règne de renaissance carolingienne, renaissance de la vie apaisée par la puissance de l’empire et renaissance par le retour de la culture au premier plan. D’ailleurs, dans la liste des Neuf Preux, les plus grands hommes de l’histoire réalisée par Jacques de Longuyon au 14e siècle, Charlemagne siège auprès d’autres immenses personnages, notamment Hector, Alexandre le Grand, Jules César, David, Arthur ou encore Godefroy de Bouillon. Géant de l’histoire et homme de culture, il a su s’entourer de lettrés, de poètes, d’historiens et d’hommes de foi qui lui ont aussi probablement révélé et inspiré une certaine sagesse.
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Philippe Estrade.Auteur-Conférencier . Rédacteur Pluton-Magazine.
Pluton-Magazine 2024
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