Le monde est un sublime livre d’histoire: Tanger, le grand écart.
Des écrivains, des entreprises, des escales à donner le tournis.
Cette ville est-elle encore une ville de flâneries littéraires et de joutes verbales ? je ne sais pas, je croirais plutôt Tahar Ben Jelloun qui a écrit : « Tanger n’est plus un lieu d’écriture. Mieux que cela, elle est devenue matière à romans ».
Comme tous ces écrivains, poètes, peintres et musiciens, Beatles et Rolling Stones compris, je suis allée, moi aussi, m’asseoir au mythique café Hafa qui s’enorgueillit de n’avoir pas changé depuis sa création en 1921 et dont les terrasses dominent la mer, cette mer double, comme la ville elle-même, et lieu des noces entre l’Atlantique et la Méditerranée. Je n’ai pas écrit au café Hafa en dehors de quelques impressions convenues, l’ambiance y était plutôt cosmopolito-touristique, mais là, je me suis fait la promesse de commander Les chiens aboient de Truman Capote, Ouvert la nuit de Paul Morand, Au grand Socco de Joseph Kessel et Jours de silence à Tanger de Tahar Ben Jelloun. Tout voyage renvoie à la littérature. Même si, parfois, c’est juste l’inverse.
De Médina en médina – de l’ancienne à la nouvelle – dont mon guide me demanda si nous avions la même chose en France – je suis passée, en longeant la côte, de la ville traditionnelle à la ville ultra moderne avec ses hôtels de luxe, puis, en poussant un peu plus loin, en faisant ce grand écart qui rend Tanger si particulière, je suis allée jusqu’au Port Méditerranée en faisant une boucle à l’ouest près de l’aéroport, là où s’étend la « zone franche » où se sont implantées plus de 700 sociétés. Des noms à donner aussi le tournis : Fabriques de câbles électriques, Usinage mécanique de précision, Négoce de voitures de luxe, Revêtements de sol et peintures, Confection textiles, Recyclage Cartouches d’encre, Centre d’appels téléphoniques, Transformation marbre et granit, Triage et emballage de vêtements usés, Ateliers de chaussures, Fabrique de haute précision pour l’aéronautique, Doublage et sous-titrages de films. Et surtout Jacob Delafon où sont usinés tous nos bidets, lavabos, salles de douches, et enfin Renault-Nissan la plus grande usine de voitures d’Afrique. 800 000 véhicules produits cette année. Un modèle, paraît-il, pour l’environnement, car l’usine assure un cycle fermé d’utilisation de l’eau et utilise l’énergie éolienne et hydraulique. Ici, pas de grève et un SMIC à 2370 dirhams par mois (un peu plus de 250 euros), six jours de travail sur sept, sept heures par jour.
Mon grand écart s’est arrêté au Port Méditerranée, à cinquante kilomètres de la ville, là où sont rangées, comme dans des boites de « Dinky Toys », des milliers de voitures qui attendent leur embarquement dans des porte-containeurs géants pour atteindre tous les ports d’Europe et d’Amérique. Le plus gros porte-conteneur du monde, le Mol Triumph, a fait escale à Tanger, avec, dans ses entrailles, 20170 conteneurs. Depuis Tianjin, Xinyang, Dalian, Shanghaï, Honk Kong, Singapour, Suez, Tanger… Puis Southampton.
Enfin, avant de revenir sur mes pas, j’apprends que bientôt le Maroc accueillera une « ville industrielle » chinoise – une convention a été signée avec le groupe Chinois Haite – elle accueillera 200 entreprises chinoises qui devraient créer des milliers d’emplois. Pas étonnant que les touristes Chinois, absents il y a encore quatre ans lors de mon dernier voyage au nord du Maroc, sont maintenant pléthore à Tanger et surtout à Chefchaouen.
Des noms d’écrivains à donner le tournis, des noms d’entreprises à donner le vertige, des noms d’escales à faire tourner les têtes…. Sans alcool, sans kif, sans « majoun ».
©Michèle/Jullian/Pluton
©Pluton-Magazine/Sec.Rédac Colette Fournier
Michèle Jullian dernier roman : Le velours de l’enfer