Par Lomon Taïdes
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Rencontre avec une conseillère pas comme les autres. Il est facile de se faire des idées toutes faites sans se poser de questions. Et si ce n’était pas ce que l’on croit ?Nouveau regard sur l’accompagnement à la recherche d’emploi. Coup de projecteur sur Madame Marie-Dominique BOURGOIN, conseillère au Pôle-Emploi de Nogent-sur-Marne
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Bonjour Mme BOURGOIN, racontez-nous qui vous êtes ? votre parcours ?
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Je suis chez Pôle-Emploi depuis bientôt 7 ans, dont un peu plus de 5 années passées à l’agence de Champigny en tant que conseillère en évolution professionnelle, et depuis 18 mois à celle de Nogent-sur-Marne. Le contraste des publics et des territoires est le défi quotidien que doivent relever les conseillers pour répondre aux différents besoins. Ce challenge est très intéressant pour qui aime le contact humain.
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Quelles sont les raisons qui vous amènent à travailler en tant que conseillère chez Pôle-Emploi ?
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J’ai travaillé 31 ans à l’international, dans un grand groupe du secteur privé, avec entre autres des responsabilités dans l’administration, les finances et les ressources humaines, jusqu’à une fusion dont la conséquence fut la suppression des postes de direction en doublon.
Après ce parcours qui m’a permis de mesurer les changements auxquels font face les grandes entreprises (répétition des plans sociaux, confrontation avec les institutions représentatives du personnel, fermetures de sites, mise en place des licenciements, propositions de reclassement, etc.) et avoir été moi-même licenciée, j’ai pensé que je pouvais peut-être mettre cette expérience et la connaissance de l’entreprise au profit de ceux qui recherchent un emploi.
Je souhaitais reprendre un emploi proche de chez moi et me consacrer davantage à des missions d’accompagnement généralistes plutôt qu’aux domaines d’expertise liés au poste précédemment occupé. C’est ainsi que j’ai décidé de postuler chez Pôle-Emploi.
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Quelle était votre vision de Pôle-Emploi et du poste de conseillère ?
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Je n’avais jamais été confrontée personnellement à Pôle Emploi auparavant, et ne soupçonnais pas la richesse du métier de conseiller en évolution professionnelle. Au sein d’une agence, il y a de multiples référents et expertises pour permettre l’accompagnement de publics très différents.
Pôle-Emploi est une institution qui s’est adaptée aux évolutions du monde du travail, et depuis la mise en place du plan 2015-2020, a pris un virage numérique.
Contrairement aux idées véhiculées dans les medias et réseaux sociaux, j’ai trouvé beaucoup de bienveillance au sein de cette institution, tant comme salariée que vis-à-vis des demandeurs d’emploi. Cela tenant au fait probablement qu’il y a une vocation de service public et moins de compétition que dans le privé.
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Expliquez-nous quel sont votre rôle et vos missions ? Combien de chercheurs d’emplois accompagnez-vous ?
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L’agence de Nogent est une agence pilote où nous avons seulement 2 modalités d’accompagnement, à savoir le « suivi » pour les publics autonomes avec des échanges dématérialisés et la modalité « renforcé » qui est un accompagnement plus classique pour toute personne ayant soit des difficultés d’insertion, ou bien des projets de reconversion ou de formation. C’est dans ce cadre que j’exerce le métier de conseillère en évolution professionnelle, avec un portefeuille actuellement d’environ 200 demandeurs d’emploi. Dans les missions spécifiques, je suis d’une part correspondante aéroportuaire du fait de la position du territoire entre les 2 aéroports qui sont d’énormes bassins d’emplois et par ailleurs je suis référente sur le digital.
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Vous animez également un atelier sur le digital, pourriez-vous nous expliquer en quoi il consiste, son contenu, comment s’y inscrit-on ?
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Les collègues conseillers inscrivent les demandeurs en fonction du besoin de ceux-ci ou de la problématique exprimée. Compte tenu des enjeux de société, j’encourage la diffusion de cette information à tous publics. On ne recherche pas de l’emploi aujourd’hui comme il y a 10 ans ou il y a 5 ans. Les réseaux sociaux sont extrêmement importants dans le recrutement, donc dans la recherche d’emploi. Chacun devrait savoir comment évoluent ces outils. Si on n’est pas confronté soi-même à une reconversion professionnelle ou à de la recherche d’emploi, cela peut concerner un proche. Outre les réseaux sociaux, on y aborde le marché caché, les nouveaux outils, comment devenir autonome quelle que soit la problématique de recherche d’emploi, de formation, de reconversion, de création d’entreprise, ou encore pour travailler à l’étranger. Tous ces aspects sont mis en lumière avec l’appui de la plateforme EMPLOI-STORE (plus de 300 services, dont 250 provenant de partenaires).
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En proposant cet atelier vous démythifiez un véritable mythe « celui que le digital est une affaire de jeunes connectés » ?
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Il ne s’agit pas d’une question d’âge mais de réelle prise de conscience. Je considère que l’on ne peut pas faire l’économie de cette information et ce, quel que soit son âge. Il faut savoir que l’on considère que d’ici 2030, 60 % des métiers que nous connaissons actuellement auront disparu.
Entre mondialisation, délocalisation des emplois et intelligence artificielle, on n’a pas d’autre choix que de s’intéresser aux évolutions apportées par le digital.
Aujourd’hui, dans certains secteurs, on « twitte » son CV. Celui qui joint un CV vidéo ou un lien vers un blog a plus de probabilité d’attirer l’attention du recruteur. Il fait passer une énergie, cela lui permet d’exprimer sa motivation. Cela n’a plus rien à voir avec la photo sur CV papier.
L’autre paramètre à prendre en compte avec le digital est le facteur rapidité des échanges. Celui qui continue à vouloir envoyer son CV par voie postale doit savoir que ses chances d’un retour rapide à l’emploi sont minorées. Mon rôle en tant qu’« ambassadeur du digital » est de sensibiliser les personnes qui croisent ma route, et leur permettre d’optimiser leur démarches.
La plateforme EMPLOI-STORE est accessible à tout un chacun, sans même avoir besoin d’être inscrit à Pôle-Emploi. On veut partir travailler à l’étranger, rechercher un emploi en alternance pour valider son diplôme, apprendre ou améliorer ses connaissances en langues étrangères, créer son entreprise ou tout simplement rechercher un emploi ou une formation. Tous ces services sont gratuits et la plateforme est accessible 24h/24 depuis un PC, des tablettes, et certains services sont sur application pour smartphones.
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D’où vous vient cette sensibilité ?
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Peut-être une combinaison de différents facteurs dont l’intérêt pour l’économie en général, une conscience accrue de la mondialisation et de ses impacts, le fait d’avoir vécu 7 ans à l’étranger et toujours travaillé à l’international, dans un secteur où l’on raisonne et parle en termes de « régions du monde ».
On centralisait des opérations financières sur des plateformes avec une porte d’entrée par continent. Pour l’Europe, j’ai moi-même piloté la délocalisation des activités comptables vers la Pologne. Donc, cela nécessite de s’appuyer sur les nouvelles technologies (scan de documents comptables, visioconférences…). Tous ces outils sont aujourd’hui mis au service de la recherche d’emploi, sans parler des tâches qui seront prises en charge par l’intelligence artificielle. Il en va de même dans tous les grands groupes qui impulsent les méthodes d’organisation.
Outre peut-être une certaine sensibilité, il s’agit surtout d’un état d’esprit qui transcende le temps et l’espace. Il requiert une ouverture sur le monde extérieur, en termes d’analyse et d’anticipation.
Cet intérêt tient aussi à une volonté de refuser la politique de l’autruche et cela n’est pas lié à une question d’âge. Qu’on le veuille ou non, tout se transforme. Les jeunes qui arrivent sur le marché du travail savent qu’ils ne travailleront pas les 40 prochaines années chez le même employeur, ni au même poste et que celui-ci suivra les évolutions technologiques et celles apportées par l’intelligence artificielle.
C’est une réalité à laquelle on ne peut pas se soustraire. C’est pourquoi il me semble important que Pôle-Emploi ait mis en place les référents numériques dans chaque agence pour diffuser les informations et accompagner ces changements.
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À travers cet atelier, on découvre des choses existentielles pour un chercheur d’emploi, mais aussi pour des entreprises, des personnes lambda, comment expliquez-vous que ces outils si pratiques et efficaces soient très peu connus ?
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Effectivement, je me rends compte que les outils digitaux de Pôle-Emploi ne sont pas suffisamment connus. Dans un monde de consommation où tout passe par la publicité et le marketing, on devrait peut-être se poser la question de l’image des services publics en général. Au-delà de l’institution qu’est Pôle-Emploi, cela relève des gouvernants. Je ne sais pas si l’on verra un jour de la publicité pour la plateforme Emploi-Store sur les medias mainstream, à une heure de grande écoute ? À moins de venir dans une agence Pôle-Emploi, on ne voit pas de « flyers » distribués pour faire la promotion de tel ou tel outil. En revanche, Pôle-Emploi est présent sur tous les réseaux sociaux, une chaîne sur YouTube, Instagram, Facebook, Twitter, etc., C’est là où, peut-être, la cible est encore limitée.
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Quelle est votre vision du marché de l’emploi, sa tendance actuelle et le futur ?
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J’ai, à tort ou à raison, une vision qui fait une grande place aux nouvelles technologies et où l’on aura du mal à convaincre que l’adaptation au marché du travail passe par des outils numériques. On a besoin du temps comme allié pour faire passer le message. Il y a 40 ans, on achetait son titre de transport à un guichet, puis avec l’arrivée des automates, dans un premier temps, on a eu le choix et progressivement les guichets ont fermé à certaines heures, puis dans certaines gares. Aujourd’hui, le réflexe premier est d’aller vers l’automate pour acheter un titre de transport. Tous les outils du futur sont déjà présents. Ils seront introduits progressivement, en réponse à des besoins d’adaptation. On le voit également pour d’autres services publics (la CAF, la CNAV, la Sécurité sociale, le Trésor public), les plateformes en ligne se multiplient. Le futur vers l’emploi, qu’on y adhère ou pas, pour l’instant, est digital. 80 % des recruteurs sont sur les réseaux sociaux (enquête Viadéo)
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Quels sont les conseils ou messages pour les chercheurs d’emplois ?
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Le conseil est de ne pas être réfractaire au digital, de ne pas penser que le numérique, c’est pour le voisin et pas pour soi. On a vu des files au Trésor public l’an passé quand soudain il a été décidé qu’à partir d’un certain seuil de revenu, la déclaration devait se faire en ligne, et ce, quel que soit l’âge du contribuable.
Il faut rester en veille comme dans tout autre secteur, sur ce qui se fait dans le domaine de la recherche d’emploi, d’où la plateforme Emploi-Store à disposition de tout un chacun. Toute la société est en train de muter. L’informatique avec le développement des algorithmes est en train de s’immiscer dans tous les domaines de notre quotidien et d’accroître l’offre des services à distance, y compris pour la recherche d’emploi.
Et le dernier conseil, même si je sais qu’après 55 ans, la reprise d’emploi ou la reconversion sont moins aisées, il s’agit avant tout d’un état d’esprit et non d’une date de naissance sur une carte d’identité. Pour en avoir fait l’expérience moi-même, c’est à la personne de montrer sa motivation, de mettre en avant son savoir-faire et la valeur ajoutée qu’elle peut apporter au recruteur.
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À un an de la retraite, quels sont les futurs projets qui vous intéressent et vous sensibilisent ?
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Mon souhait est de vivre au bord de la mer, tout en restant connectée au monde par les réseaux sociaux et reprendre les voyages. J’ai voyagé sur les 5 continents avant de rentrer chez Pôle-Emploi, j’ai une attirance particulière pour l’Asie, mais il y a encore beaucoup de lieux que j’aimerais voir (au Japon, en Nouvelle-Zélande…).
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Quand on est fasciné, la planète est un village.
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Que peut-on vous souhaiter personnellement et professionnellement ?
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Professionnellement, j’arrive au bout du chemin dans des conditions d’exercice dont je n’aurais même pas rêvé : une agence agréable où il fait bon travailler, un public en majorité réceptif à la référence digitale, un encadrement bienveillant et le tout à quelques centaines de mètres de mon domicile, ce qui veut dire, pas de perte de temps passé dans les embouteillages ; en un mot, c’est une situation idéale pour une transition de fin de parcours professionnel.
Au plan personnel, me souhaiter que la date de départ à la retraite arrête de s’éloigner pour que je puisse partir pendant que je suis en bonne santé.
La santé est la condition préalable à tous les rêves !
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Merci de m’avoir accordé cette interview,
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Un reportage de Lomon Taïdes
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Note: Merci aux différentes personnes et à la direction territoriale de Pôle-Emploi qui ont permis la réalisation de cet entretien.
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