Entre les lignes (30) : Arrête de toujours accuser les pères, ma mère me viole ! de Jenny Hippocrate

Par Dominique Lancastre

Partie à la Martinique avec une amie, Michelle, pour faire la promotion de son dernier livre consacré à l’inceste, Jenny Hippocrate, lors d’une émission radio tombe sur une histoire d’inceste maternel encore plus grave que ce qu’elle avait écrit dans son dernier livre. Le message du jeune garçon de 17 ans fait l’effet d’une bombe dans la station radio. Un message qui donna naissance au titre de cet ouvrage témoignage.

Mais détrompez-vous, une fois le choc du titre passé, le lecteur se laisse guider par ces deux femmes et nous découvrons petit à petit l’histoire de Karl, ce jeune garçon meurtri dans sa chair et violé par la personne la plus improbable que l’on puisse imagine : sa mère.

Ce n’est pas une œuvre scientifique jonchée de termes incompréhensibles mais un témoignage sous forme d’échanges entre les deux femmes qui abordent ce à quoi elles sont confrontées. Ce n’est pas non plus une énumération de détails crus.  Il s’ensuit alors de long dialogue où chacune s’exprime. Qu’elles soient en vacances pour une dizaine de jours ou en tournée pour le livre précédent, Karl va occuper l’esprit des deux femmes en permanence. Le lecteur devient alors témoin de cette démarche.

Face à l’imprévu, Jenny, beaucoup plus tempérée que Michelle qui veut se lancer tête baissée et voler au secours de Karl alors qu’elle ne connaît vraiment rien au sujet, tente de calmer les réactions de sa copine. Mais, chemin faisant, l’auteure explique au lecteur ce qu’est l’inceste et comment il frappe dans n’importe quelle famille.  Bien qu’il s’agisse de la Martinique, ce n’est pas typique de l’île.  En France hexagonale, le problème est tout aussi le même. À travers les disputes, les prises de position de l’une et de l’autre, le lecteur qui se trouve un peu à la manière d’un juré dans un tribunal, essaie de suivre et de comprendre ce qui se passe.

Les disputes ne sont pas donc inutiles et même si parfois il y a des répétitions c’est pour bien souligner l’énormité de cette chose effroyable. Le tempérament de Michelle n’est pas atypique. N’importe quelle personne avec une grande sensibilité réagirait de la sorte. Face à l’horreur nous agissons tous différemment.

Pour Jenny H. qui a déjà traité le sujet de l’inceste dans un premier livre, ce n’est pas la première fois qu’elle est confrontée à un tel cas. Cependant, une mère incestueuse envers son fils est une nouveauté pour elle. Elle a donc une autre approche. Et lorsqu’on croit avoir tout vu et que quelque chose de ce genre nous tombe dessus,  même en étant habitué − si on s’habitue à ce genre de choses − il est normal d’être profondément bouleversé et touché. C’est ce sentiment profond qu’elle cherche à transmettre dans cet ouvrage qui est rempli d’humanité. Car l’auteure est connue pour sa prise de position et ses combats sur des sujets importants. Karl chamboule Jenny et face à ce chambardement, Jenny H. prend conscience de l’importance de son travail. Comme elle le dit elle-même, dans l’œuvre elle n’est pas la porte-parole de tous les enfants violés mais elle a tout de même un rôle à jouer en tant que femme, mère et citoyenne.

L’ouvrage ne consacre pas cependant des pages et des pages uniquement sur le sujet. Il y a le cadre de la Martinique, des anecdotes et des situations qui prêtent à sourire car la vie continue autour de toute cette situation. Je pourrai ecrire longtemps sur l’ouvrage mais je pense que pour bien comprendre, il faut passer le cap du titre très choc et se lancer dans la lecture et découvrir.

Cependant, Jenny H. a accepté de répondre à quelques questions pour compléter cet article.

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Interview Jenny Hippocrate

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1/ Pourquoi avoir choisi un titre aussi percutant ?

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Le titre s’est imposé à moi, ce sont les premiers mots du jeune homme, Karl, lorsqu’il m’a appelée alors que j’étais en train de présenter un ouvrage sur l’inceste, une jeune femme violée par son père pasteur sous couvert de la religion.

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2/ Quel a été le moment le plus difficile pour vous lors de la rédaction de cet ouvrage ?

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Le moment le plus difficile a été le premier mot que j’ai mis sur la feuille, je savais que même si ce n’était pas encore la description des faits spécifiquement liés à Karl, j’aurais à le faire, j’aurais à décrire toutes ces atrocités, ces choses immondes qu’a vécues ce jeune homme, j’aurais à revenir sur toutes nos conversations, sur le fait que je devrais répondre aux questions des uns et des autres. Raconter une telle histoire ce n’est déjà pas facile, mais la raconter à chaque fois, c’est hyper difficile.

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3/ Pensez-vous être sortie indemne de cette histoire ? Si non pourquoi ?

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Je pense que personne ne peut sortir indemne d’une telle chose. Mais en ce qui me concerne, j’ai été foudroyée, j’irai plus loin en disant déchiquetée, mais je devais rester stoïque, je n’avais pas le droit, pendant nos différentes entrevues, de faire entrevoir une quelconque faiblesse. Oui, j’ai été déstabilisée, mais je devais coûte que coûte ne pas le montrer, car non seulement je pourrais à mon tour  déstabiliser Karl, de ce fait, il ne pourrait plus se confier et je ne l’aurais pas aidé, car pour lui me parler, c’était déposer une charge trop lourde à porter, une délivrance, certainement celle qu’il recherchait depuis très longtemps,  mais aussi même si à ce moment je n’étais qu’une simple  « écoutante », en tant que professionnelle, ce serai un « manquement » à la profession de psychologue.

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4/ Vous dites ne pas être le porte-drapeau des enfants incestueux. Ne pensez-vous pas que vous l’êtes d’une certaine façon ?

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Les gens font de moi un porte-drapeau, certains voient en moi celle à qui ils pourront confier cette tâche parce que pour eux, j’ai cette force conjuguée avec un professionnalisme ce qui a fait d’ailleurs ma réputation, mais moi, je continue de dire que je ne suis pas le porte-drapeau des enfants subissant l’inceste ou le viol. J’ai un autre combat à mener et pour rester efficace, il faut éviter de se disperser. Si on court après deux lièvres à la fois on n’en attrapera aucun. Donc je vais me contenter d’un lièvre.

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5/ Vous menez d’autres combats en dehors de celui-ci. Où trouvez-vous l’énergie pour accomplir tout cela ?

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Effectivement, comme je viens de le souligner, j’ai un combat entamé et ô combien difficile, la lutte contre la drépanocytose, la maladie génétique la plus répandue au monde, mais aussi la plus mal connue. En fait, ce combat est scindé en plusieurs parties : je dois me battre contre la maladie en elle-même qui touche d’ailleurs mon dernier fils, mais aussi, je dois me battre contre l’inertie des pouvoirs publics, l’immobilisme, le racisme, car la maladie est « racialisée ». Ça, c’est le plus difficile, mais je ne vais jamais baisser les bras, ce serait sans compter sur la volonté d’un roc et aussi d’une foi inébranlable. Mon énergie, je ne la trouve pas, elle me trouve et à deux on en fait des choses comme « avoir de l’énergie » (rires). En dehors de cela, je suis dotée d’une grosse batterie, ma famille, mes bénévoles qui sont là, mes matelots comme je les appelle, mais aussi de quelques amis(es), de belles rencontres, de ma foi en Dieu et en moi-même, la terre, je marche souvent nu-pieds pour prendre justement de l’énergie et puis, je pense que mes parents décédés, surtout mon père (mon fils Taylor son deuxième prénom est d’ailleurs celui de mon père) me protègent de là où ils sont. En fait pour résumer, je ne suis pas seule, même si on me voit sur le podium, non, je ne suis pas seule. J’aimerais ajouter que les âmes ne meurent pas, donc leur énergie se renouvelle, je suis une âme qui revient sur terre, car ceux qui ont prédit la mort annoncée de mon fils et qui me l’ont dit par téléphone, un vendredi matin, m’ont tuée. Donc je suis une ressuscitée, une âme qui s’est choisi un autre destin : qu’on ne tue pas par téléphone d’autres mamans.

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6/ Dans l’ouvrage vous faites mention de la voiture à pain et son klaxon ainsi que du chant du coq. Qu’avez-vous pensé de La Une aux Antilles à propos justement de la voiture à pain et son klaxon. Nous précisons que le livre a été écrit bien avant cette histoire :

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Figurez-vous que j’ai lu l’article, j’ai été pliée de rires. Ce fait lié aux Antilles je l’ai mentionné dans plusieurs de mes ouvrages et si j’ai quelque chose à dire : NE TOUCHE PAS À MA VOITURE À PAIN ! le coq ne me dérange pas non plus, car en Martinique tout comme à Paris, je me réveille très tôt, même avant l’aube, je suis une petite dormeuse, pas une insomniaque. Le coq m’accompagne lors de ma « levée » tôt.  Je m’associe au coup de gueule de Laurence, la comédienne.

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7/ Que diriez-vous à un lecteur ou une lectrice qui hésiterait à lire ce livre ?

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On ne peut rien imposer aux gens, mais il faut savoir que certaines choses qui dépassent tout entendement existent, comme le viol par ascendant : père/fille, mais aussi mère/fils. Les langues commencent à se délier, j’ai aujourd’hui rassemblé quelques témoignages, cette chose immonde était tout près de moi, par exemple dans l’immeuble d’à-côté et je ne le savais pas, heureusement que j’ai écrit ce livre pour me rendre compte une fois de plus que le monde est jonché de laideurs que nous ignorons. Lire ce livre pourrait donner des pistes sur des choses (inceste, viols, etc.) qui se passent tout près de nous, sous nos yeux et nous ne les voyons pas. Lire ce livre, connaître l’histoire de Karl, jeune homme violé par sa mère, il se dira alors qu’il n’est plus seul, puisque c’est lui qui a souhaité que j’écrive ce livre, donc le but était de partager son histoire ; c’est aider mon association à remplir ses missions, puisque je ne touche rien sur les bénéfices de la vente, tout est reversé à l’APIPD ( Association Pour l’Information et la Prévention de la Drépanocytose).

Si vous lisez ce livre, c’est pour moi pouvoir aussi à mon tour déposer ce fardeau qui me hante depuis 15 ans. Merci de le lire, je ne serai plus seule avec ce poids qui me ralentit de temps à autre.

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8/ Le livre est préfacé d’un grand professeur en psychiatrie. Vous a-t-il aidée à mieux cerner ces personnes, n’ayons pas peur des mots… des personnes dérangées mentalement ?

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Le professeur Louis Jehel est ce qu’on appelle une sommité en psychiatrie, c’est un honneur pour moi qu’il ait accepté de préfacer mon livre, ce qui sous-entend qu’il m’a fait confiance et qu’il continue à me faire confiance. Nous sommes devenus des amis et je « bave » devant ses conseils, je prends ce qu’il me donne en matière d’information. Quand on a la chance de faire partie du cercle de cet éminent professeur, professeur des universités et président de la société Française de psychotraumatolgie, président de l’institut de Victimologie. M’aider à « cerner » les personnes atteintes de certaines pathologies mentales ? Certainement puisqu’on ne finit jamais d’apprendre et en dehors de ses conseils, je lis beaucoup, j’assiste à divers colloques et conférences, surtout en ligne puisqu’on est confiné. Néanmoins, j’ai une formation de psychologue avec un DU d’accompagnement des personnes atteintes de maladies génétiques, (mémoire sur la symbolique du sang et aspect socioculturel)  un DU milieu carcéral ( mémoire : femme qui accouche en prison), donc j’en connais déjà une belle partie, même si je continue de dire que l’inceste surtout entre la mère et le fils, n’est pas de mes compétences.

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L’auteure

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Jenny Hippocrate est née un neuf mai à Sainte-Marie, belle petite commune située au nord de la Martinique. Douzième d’une famille de quatorze enfants, elle est mère de 3 enfants.
Jenny n’a jamais envisagé une vie qui ne soit tournée vers autrui. Le bien-être de l’individu souffrant et diminué est sa seule ambition, ce vers quoi elle tend depuis plus de 40 ans.
Écrivaine, auteure -compositeur, Psychologue, chef d’entreprise, Jenny Hippocrate a été décorée Chevalier dans L’Ordre du Mérite et Chevalier de la légion d’honneur par la République Française pour sa citoyenneté engagée, à informer et sensibiliser, par voie associative et littéraire, l’opinion publique mondiale sur la drépanocytose (la
maladie génétique la plus répandue au monde). Pour se faire entendre, elle a parcouru plus de 100 pays.
Elle a été élue « Femme formidable 2010 » du magazine « Femme actuelle » avec plus de 230 mil votes et a obtenu le prix du jury.

Elle est à l’origine de DREPACTION, (une semaine de solidarité et d’appel au don) et manifestation d’envergure nationale qu’elle a mise en place, a décroché le 2d prix DiasPaura dans la catégorie insertion et cohésion sociale, mais aussi elle figure dans le livre, les 25 femmes d’exception, écrit par la journaliste Célyne BAYT DARCOURT et a été choisie dans le groupe de relecture pour le livre du dermatologue : Guy LANTERNIER.

Présidente de l’Association Pour l’Information et la Prévention de la Drépanocytose (APIPD) Jenny Hippocrate parcourt le monde pour informer et sensibiliser l’opinion publique sur la maladie.
Déléguée DOM TOM, CARICOM et pays limitrophes de l’Organisation Internationale de Lutte contre la Drépanocytose (O.I.L.D.), et responsable en France de l’EORA (European Organisation for Rare Anaemias) basée en Grèce, présidente de la FALD » Fédération des Associations de Lutte contre la Drépanocytose », elle jouit d’une véritable aura
auprès des associations analogues étrangères.
Pour mieux comprendre le vécu des malades et des familles, Jenny s’investit dans les études et passe un D.U. d’accompagnement aux personnes atteintes de maladies génétiques et de leurs familles, couronné par les félicitations du jury : « L’accompagnement de l’enfant drépanocytaire et de sa famille en provenance d’Afrique : L’aspect socioculturel et la symbolique du sang », une 1ère à cette époque.

Contacts

Port : 06 14 09 36 60
Courriel : J.hippocrate@gmail.com ou Jenny.hipocrate@free.frSite internet : www.apipd.fr
Facebook: jenny Hippocrate
Instagram: jennyhippocrate
Twitter: @jhippocrat

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