Par Philippe ESTRADE Auteur-Conférencier
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Les deux dynasties franques que furent les Mérovingiens et les Carolingiens ne méritent pas d’être reléguées dans les bas-fonds de notre histoire, même si la période est lointaine, sombre, brutale et à peine sortie de la chute de l’empire romain au 5° siècle. Soumis par les armées germaniques de Childéric 1er et plus tard de son fils Clovis, les Gallo-romains, c’est-à-dire les Gaulois ou Celtes latinisés par Rome, ont subi une nouvelle colonisation, celle des Francs qui fixèrent les racines d’une nouvelle identité et plus tard d’une nation, un métissage entre les Celto-latins et les Francs, mais aussi avec d’autres ethnies germaniques qui se sont implantées progressivement dans les Gaules. Du 5e siècle au 9e siècle, l’Europe de l’Ouest fut donc un vaste ensemble germanique dominé par les Francs qui parvinrent à soumettre les autres peuples germaniques conquérants, notamment alamans, burgondes et wisigoths. Aussi, Clovis, Dagobert, Charles Martel ou Charlemagne appartiennent à l’histoire européenne puisque les nations et les frontières telles que nous les connaissons n’existaient pas, et sont donc aussi aujourd’hui dans les livres d’histoire des petits écoliers belges, néerlandais, suisses ou encore allemands. C’est en 843, lors du traité de Verdun, qu’apparut pour la première fois la future France issue du partage de l’empire de Charlemagne entre ses trois petits-fils. Ce nouvel espace bien délimité en Europe de l’Ouest prit le nom de Francie Occidentale.
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LES FRANCS SOUMETTENT LES GALLO-ROMAINS
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Bien avant la chute de l’empire romain, en 476, les peuples de l’est européen entreprirent la conquête progressive des territoires gallo-romains dans l’ouest du continent. Le déclin de Rome impulsa l’avancée franque qui parvint progressivement à soumettre ses concurrents alamans ou burgondes pour l’essentiel, grâce à un redoutable chef de guerre, Clovis 1er qui apparut dans l’histoire comme un roi de conquêtes militaires et le premier souverain majeur de la dynastie mérovingienne.
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Syagrius exécuté par Clovis et… Alaric
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C’est précisément à la bataille de Soissons, en 487, que Clovis écrasa le général gallo-romain Syagrius, alors à la tête d’un vaste territoire encore en résistance, de la Loire à la baie de Somme. Ecrasé, le chef gallo-romain dut s’enfuir dans le sud-ouest en direction des nouvelles terres wisigothes soumises par Alaric. Mauvais calcul pour Syagrius qui fut arrêté, enchaîné et remis aux émissaires de Clovis qui l’exécutèrent sur place. Cet épisode a marqué la dernière résistance gallo-romaine à l’implacable domination franque.
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Avec Pépin de Herstal, les Carolingiens en embuscade
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Si les rois mérovingiens ont occupé le trône franc jusqu’en 751, année de leur chute et du remplacement de la dynastie par celle des Carolingiens, ce furent les maires du palais dont la mission consistait à administrer le domaine royal, qui disposaient en réalité du pouvoir politique, souvent impulsé face à la faiblesse des rois mérovingiens, qualifiés parfois de « rois fainéants », mais qui pour beaucoup ne présentaient pas de génie particulier dans la conduite du dessein du royaume. Dès lors, la voie était libre pour les intrigants et ambitieux maires du palais. Parmi les plus célèbres, Pépin de Herstal, père de Charles Martel et grand-père de Pépin le Bref, administra les royaumes francs de Neustrie et d’Austrasie. À la disparition du roi Thierry III, c’est précisément Pépin de Herstal qui fit et défit les rois mérovingiens entre le 7e et le 8e siècle, tout comme son fils plus tard, l’incontournable Charles Martel. Tous deux appartenaient à la famille des Carolingiens qui montera sur le trône franc en 751 sous l’impulsion de Pépin le Bref, père du futur Charlemagne.
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Pépin le Bref met un terme à la dynastie mérovingienne
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Roi de Neustrie, de Bourgogne et d’Austrasie, Childéric III ne parvint pas à s’imposer face à la nouvelle autorité carolingienne véhiculée par Pépin le Bref et son père Charles Martel. Précisément, Charles Martel refusa d’installer un nouveau roi mérovingien à la mort de Thierry IV, en 737, ambitionnant de franchir le pas pour se faire proclamer roi mais le trépas l’en priva. Son fils Pépin le Bref devint ainsi roi des Francs et instaura une nouvelle dynastie royale, celle des Carolingiens qui se fixera de 751 à 987 pendant près de deux siècles et demi.
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AVEC LES CAROLINGIENS, UNE NOUVELLE RENAISSANCE
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Avec l’arrivée de Pépin le Bref sur le trône de l’Europe franque s’est ouverte une renaissance dans ce haut Moyen Âge, période qui rompit enfin avec les temps troubles de la dynastie mérovingienne marquée par des heures bien sombres liées aux guerres permanentes entre les différentes régions. Mais c’est le fils de Pépin le Bref, Charles 1er, le grand Charlemagne, qui marqua le continent en le soumettant et l’unifiant autour de la civilisation franque.
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Pépin le Bref ouvre avec brio la dynastie carolingienne
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Premier maire du palais à être proclamé roi, Pépin qui a profité de la décadence des Mérovingiens a marqué les premiers temps carolingiens par son autorité à rétablir l’ordre et à renforcer la stabilité aux frontières du royaume. Allié au départ à son frère Carloman, il a su mater la tendance indépendantiste des Aquitains et des Vascons, futurs Gascons mais également aux frontières est, les velléités d’autonomie des tribus alamanes et bavaroises, notamment. Son début de règne fut également marqué par la réforme de l’Église, car il estimait que le clergé était devenu débauché et manifestement incompétent.
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Le pape sollicite Pépin pour neutraliser les Vénitiens
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Alors que son frère abdiquait pour s’isoler au mont Cassin, Pépin le Bref devint seul maire du palais avant d’être élu roi des Francs en 751. C’est le pape Boniface en personne qui le consacra mais Pépin se fit à nouveau sacrer à Saint-Denis par le nouveau souverain pontife, Étienne II, en 754. En échange de son soutien spirituel, le pape sollicita l’aide du roi pour l’aider à chasser les Lombards et à obtenir de nouvelles terres pontificales. Projetant de s’emparer de Venise, Pépin le Bref arma donc une flotte rapidement échouée à marée basse dans les chenaux de la lagune dont les repaires avaient été retirés pour immobiliser les Francs qui furent ainsi rapidement harcelés par les bateaux à fond plat des Vénitiens. Entre 756 et 758, il lança trois campagnes et parvint avec succès à repousser les Lombards, offrant ainsi au pape de nouveaux territoires autour de Ravenne et Pérouse qui s’ajoutèrent à ceux de la région de Rome.
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LA GRANDEUR DE L’OCCIDENT AVEC CHARLEMAGNE
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La mort accidentelle de Carloman a laissé en 771 le royaume à son frère Charles, le futur Charlemagne, fils de Pépin le Bref. Le règne de celui qui devint empereur pendant la période de Noël de l’an 800 aura duré 46 ans. Il régna sur une grande partie du continent après avoir lutté sur tous les théâtres de conflits pour soumettre l’Europe à l’hégémonie franque, en l’étendant vers l’est européen et le sud et en écrasant les Lombards dont il devint le roi. En 813, un an avant sa mort, il fit couronner Louis 1er, son unique fils survivant. C’est Charlemagne qui a laissé son nom à la dynastie des Carolingiens qui furent d’abord appelés Carlovingiens. Encore une trentaine d’années, et la division de son empire en 843 lors du traité de Verdun fera naître les futurs grands États européens comme la Germanie et la future France, alors appelée Francie occidentale.
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Carolus Magnus, Charlemagne le Grand
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Charles 1er dit Charlemagne tire son nom de sa grande taille, plus de 1 mètre 90, Carolus Magnus signifiant Charles le Grand. Ce père particulièrement jaloux de ses filles et amoureux ardent était plutôt imberbe contrairement à la légende bien ancrée qui le représente affublé d’une barbe blanche fleurie. Justement, ce terme fleuri proviendrait de la déformation du vieux français « fiori », c’est-à-dire blanc. En le représentant doté d’une abondante barbe, les chroniqueurs du Moyen Âge y traduisaient un signe de majesté, de prestige et d’autorité.
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Aix-la-Chapelle, capitale au cœur de l’empire
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Aix-la-Chapelle, capitale de l’empire située dans l’Allemagne actuelle, puise son origine dans « Aquae » en référence aux nombreuses sources ferrugineuses de la ville et à la chapelle que Charlemagne y fit édifier et dans laquelle il repose aujourd’hui. La piscine qui fut creusée et qui pouvait accueillir plus d’une centaine de personnes, servit aussi d’espace de baptême pour les païens. La chronique précise d’ailleurs que la cape blanche que Charlemagne offrit à chaque nouveau converti pouvait conduire certains à se faire baptiser à plusieurs reprises dans l’unique perspective de garnir leur garde-robe à très bon compte ! Son père Pépin le Bref avait institué une inspection des territoires par un binôme chargé de contrôler les fonctionnaires. Charlemagne impulsa cette pratique dès 802 en mettant en place des « missi dominici » chargés de vérifier l’application des capitulaires, c’est-à-dire des ordonnances impériales. Il s’agissait de binômes constitués d’un religieux, souvent un évêque, et d’un comte, remplacés plus tard par des agents recrutés parmi l’aristocratie de province en raison de l’insécurité croissante liée aux raids des Normands.
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La « renaissance carolingienne » et l’école dans les paroisses
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L’empereur dominait difficilement l’écriture et se prêtait volontiers à des exercices réguliers. Maîtrisant cependant parfaitement le latin littéraire et celui de la rue mais aussi le grec, Charlemagne mit en place une école qui en fait n’avait rien de scolaire au départ puisqu’il s’agissait de l’académie palatine constituée de lettrés qu’il réunissait dans son palais, et dont la mission était d’éclairer et d’instruire un clergé capable ainsi de réfléchir sur les écritures des Pères de l’Église. Par ailleurs, c’est à cette occasion que naquit la caroline, mot issu de carolus, nom latin de Charlemagne, c’est-à-dire la minuscule qui éclaira mieux la lisibilité des manuscrits. S’agissant de l’école traditionnelle imputée à l’empereur, ce n’est pas inexact car il promut en effet la fondation d’une école du peuple, gratuite, naturellement sous l’autorité du prêtre local.
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LE TRAITÉ DE VERDUN EN 843 SIGNE L’ACTE DE NAISSANCE DE LA FRANCE
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À la mort de Charlemagne, en 814, Louis 1er dit le Pieux ou le Débonnaire parvint sur le trône et s’empressa dès 817 de préparer un partage de l’empire entre ses fils. Hélas, de rudes querelles de succession mirent à mal les projets du roi, et des batailles meurtrières opposèrent entre eux les frères, Lothaire, Louis et Charles. Il faudra attendre l’année 843 pour que le traité de Verdun partage durablement les vestiges de l’empire entre Lothaire, Charles 1er le Chauve et Louis le Germanique.
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Les serments de Strasbourg, le texte le plus ancien connu en vieux français
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À la mort de Louis 1er, il ne restait plus que trois fils qui s’affrontèrent sur les conditions du partage de l’empire, et qui durablement se sont déchirés par des combats rudes et meurtriers, comme le fut en 841 la redoutable bataille de Fontenoy en terre bourguignonne. Le terrible conflit opposa l’aîné Lothaire face à la coalition de son frère Louis le Germanique allié à leur demi-frère Charles le Chauve, issu du second mariage de Louis 1er. La défaite de Lothaire a conduit Louis et Charles à contracter un accord d’assistance mutuelle, signé en 842 à Strasbourg et qualifié dans l’histoire de Serments de Strasbourg. Tout l’intérêt et la richesse de cet accord valent dans sa rédaction. En effet, le document n’est pas rédigé en latin, la langue véhiculaire de l’autorité et de l’administration, mais pour la première fois dans l’histoire en vieux français, le roman, et en langue tudesque, l’ancêtre de l’allemand, langues parlées par le peuple. Ces documents constituent en cela les plus anciens manuscrits en langue romane et tudesque en notre possession, protégés à la Bibliothèque nationale de France.
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La naissance de la France en 843 avec le traité de Verdun
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Finalement, la sagesse finit tout de même par l’emporter puisque l’année qui suivit les serments de Strasbourg permit enfin le partage de cette Europe impériale entre les trois petits-fils de Charlemagne, grâce au traité de Verdun signé en 843. Louis le Germanique reçut la partie orientale de l’Empire appelée Francie orientale, en fait la future Germanie, Lothaire récupéra une bande centrale de l’actuelle Belgique à la moitié nord de l’Italie d’aujourd’hui, la Lotharingie parfois appelée Francie médiane et enfin le benjamin Charles 1er le Chauve régna sur l’ouest de l’empire, la Francie occidentale qui correspond en gros à la France de nos jours amputée de sa partie orientale. Ainsi naquit officiellement la France, nouvel état souverain doté de frontières mais aussi les grands blocs européens comme la Germanie. Le mot Francie disparaîtra très vite dans l’est de l’Europe au profit de la Germanie mais la référence aux Francs subsiste encore en Allemagne de nos jours, la région de Franconie ou la ville de Frankfort en sont les témoignages. En revanche, la Francie occidentale ne perdra jamais son identité franque car ce nouveau royaume deviendra très vite le royaume des Francs, pour devenir avec les Capétiens plus tard le royaume de France.
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Les Bretons assurent leur indépendance
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En battant les forces royales de Charles 1er le Chauve en 845 à Redon, le duc de Bretagne Nominoë assura la totale indépendance de la Bretagne et se proclama roi de Bretagne en intégrant dans son royaume les villes de Nantes et Rennes. À la mort de Nominoë, Charles 1er le Chauve n’eut pas d’autre choix que de légitimer l’indépendance bretonne en reconnaissant Erispoë, fils de Nominoë, comme nouveau roi des Bretons. Louis II le Bègue succéda à son père Charles 1er et se heurta à son tour à la fougueuse indépendance bretonne. Bien qu’il eût envisagé avec persévérance et obstination de se saisir de la région en mariant sa fille au roi Erispoë, Louis II échoua car cette perspective de rapprochement entre les Carolingiens et les Bretons fut probablement à l’origine de l’assassinat du fils de Nominoë.
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La France naquit très officiellement en 843 au morcellement de l’empire de Charlemagne au profit de ses trois petits-fils, Lothaire, Charles 1er le Chauve et Louis le Germanique. Auparavant, ses territoires sans frontières, ni identité réelle, se sont brassés et noyés dans le destin collectif de l’ouest du continent européen germanisé. D’abord celte, puis celto-romaine et enfin germanique, son histoire comme celle de ses voisins européens est un millefeuille permanent de métissage qui a assuré sa grandeur et son dessein.
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Philippe Estrade
Philippe Estrade Auteur-conférencier
Photos ©Pluton-Magazine
Pluton-Magazine/Paris 16eme/2021
Journaliste en début de carrière, Philippe Estrade a vite troqué sa plume pour un ordinateur et une trajectoire dans le privé et le milieu des entreprises où il exerça dans la prestation de service. Directeur Général de longues années, il acheva son parcours dans le milieu de l’handicap et des entreprises adaptées. Ses nombreux engagements à servir le conduisirent tout naturellement à la mairie de La Brède, la ville où naquit Montesquieu aux portes de Bordeaux. Auteur de « 21 Merveilles au 21ᵉ siècle » et de « Un dimanche, une église » il est un fin gourmet du voyage culturel et de l’art architectural conjugués à l’histoire des nations. Les anciennes civilisations et les cultures du monde constituent bien la ligne éditoriale de vie de ce conférencier « pèlerin de la connaissance et de l’ouverture aux autres » comme il se définit lui-même. Ce fin connaisseur des grands monuments issus du poids de l’histoire a posé son sac sur tous les continents