PAR PHILIPPE ESTRADE AUTEUR CONFÉRENCIER
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Contrairement à d’autres nations européennes qui ont maintenu officiellement les langues locales dans leur espace linguistique officiel, en France, le centralisme politique, très actif des capétiens à la 3e République, a anéanti tout espoir de voir le breton, le catalan, le basque ou le gascon intégrer le statut de langue officielle au côté du français. Pourtant, ces parlers régionaux, historiquement moqués par le mot patois, identifient l’histoire de la nation, sa construction et sa richesse. Elles sont désormais devenues des chefs-d’œuvre en péril malgré une piètre volonté politique ici et là de les promouvoir à l’école.
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DES LANGUES À FAIRE DISPARAÎTRE POUR LE POUVOIR CENTRAL
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La construction politique du royaume de France explique cette méfiance. Le pouvoir royal du nord adopta le vieux français issu de la langue d’oïl face aux dialectes des territoires du sud latinisés, notamment les langues d’Oc mais aussi les nombreux parlers du nord dérivés de l’oïl. Contrôler les peuples identifiés avec un fort enracinement linguistique local par l’adoption forcée du français a constitué une obstination du pouvoir politique central pour soumettre et surveiller les populations.
Un royaume rongé par l’indépendance politique des duchés
Le morcellement du pays fut un problème pour les rois de France. Pour s’assurer la fidélité de leurs vassaux après la naissance de la Francie occidentale issue du partage de l’empire de Charlemagne avec ses petits-fils, les rois successifs leur ont offert des terres en échange d’une fidélité et, le cas échéant d’une mobilisation d’hommes pour les combats engagés par le pouvoir royal. Ainsi naquirent et se développèrent les comtés, duchés et autres marquisats, tous dotés d’une réelle indépendance politique. On comprend ainsi l’obstination des souverains au cours des siècles pour réduire l’influence et l’indépendance des régions, car le morcellement du royaume ne leur offrait que de faibles pouvoirs. La lutte contre les langues régionales qui échappaient à l’autorité royale a conduit à la généralisation du français à marche forcée. Cette soumission progressive voulue par les rois capétiens, plus tard par les révolutionnaires jusqu’à la 3e République qui en a même interdit l’usage au profit de l’unique français, devint une machine politique à broyer les terroirs pour mieux les contrôler.
Langues régionales et Constitution
Les langues locales ont tout de même bien résisté face au rouleau compresseur du français pour tous. Même si imposer la langue française fut une nécessité pour l’organisation politique et le sentiment d’appartenance à une nation, d’abord le royaume de France, puis la République, le centralisme politique eut pu faire l’économie de la volonté affichée d’étouffer, voire tenter de faire disparaître ce que le centralisme linguistique qualifiait avec condescendance et moquerie de patois. Une première reconnaissance des langues régionales intervint en 1951 avec la loi Deixonne qui autorisa l’enseignement des langues de territoires en France. Si la Constitution de 1958 reconnaît que la langue de la République est l’unique français, la révision constitutionnelle du 23 juillet 1998 a ouvert de nouvelles perspectives, puisqu’il est bien stipulé que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». Les langues basque, bretonne, occitane, catalane, créoles antillais, etc… peuvent aujourd’hui être enseignées et même choisies comme langue vivantes au baccalauréat.
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LA RÉHABILITATION DU RÉGIONALISME
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Le retour du régionalisme, somme toute prudent, au premier rang duquel les langues de territoires qui constituent le principal levier de cette nouvelle énergie ne semblent pas être une vaine expression. Sans vraiment parler de vent en poupe, de nombreux facteurs alimentent toutefois ce retour, cet allant dans le respect des régions, des identités et des langues.
Le retour des langues locales
Les langues de territoires sont bien de retour ces dernières années et les locuteurs d’occitan, de breton ou de flamand augmentent doucement dans une dynamique impulsée par des associations ou le développement des classes de langues locales à l’école. Pour le Bureau européen des langues moins répandues, la France regroupe dix communautés linguistiques : breton, catalan, corse, langues créoles, alsacien, basque, luxembourgeois/mosellan, flamand, occitan et langues d’oïl. Les langues d’oïl, outre le français officiel (picard, lorrain, bourguignon, etc.) représentent la principale communauté linguistique en France devant l’occitan. En revanche, les locuteurs réguliers des langues régionales demeurent relativement faibles au regard de l’importance de leurs territoires, 550 000 personnes pour l’alsacien ou 526 000 pour l’occitan devant le breton avec 305 000 locuteurs réguliers. Cependant, l’intérêt des jeunes populations pour leur histoire, leur identité locale, suppose que la courbe des utilisateurs de langues locales ne pourra que connaître un nouvel élan.
Ni langues officielles ni statut particulier
Les langues régionales n’ont en France ni statut particulier, ni celui de langues officielles au côté du français, contrairement à certains états européens. Cela reste tout de même la démonstration de la fragilité du nouveau sursaut linguistique local et de l’état central qui semble encore maintenir un statu quo issu du poids de l’histoire. En Espagne en revanche, le gascon, pourtant limité à un tout petit territoire dans les Pyrénées espagnoles, le Val d’Aran, est une langue officielle au côté du castillan (l’espagnol). Parmi les autres langues officielles en Espagne, on retrouve le galicien, le catalan, le valencien, le basque et l’aranais. En Italie, la langue française est à égalité avec l’italien dans la Vallée d’Aoste. Chez nos voisins belges, trois langues, français, néerlandais et allemand, constituent les langues officielles de l’état belge. Idem en Allemagne qui reconnaît des langues officielles régionales, le danois, le bas-saxon ou le frison notamment.
Des blocages linguistiques liés au statut des régions administratives
En France, le statut administratif des régions n’a pas l’audace et l’indépendance des régions d’autres états européens qui ont des gouvernements régionaux, comme en Allemagne ou en Suisse. Chez nos voisins allemands, les länder disposant de gouvernements sont au nombre de seize et, en Suisse, on comptabilise vingt-six cantons à gouvernance locales avec des capacités d’indépendance politique. En France, nos régions n’ont aucun pouvoir à caractère d’indépendance politique, même partielle, et se limitent essentiellement à des compétences d’investissement de fonctionnement, comme les voies routières ou les établissements scolaires, lycées en région ou collège au plan départemental. Il est probable que, si nos régions disposaient d’une réelle habileté d’autorité et d’indépendance, elles auraient tout naturellement proposé d’officialiser leurs langues locales, phare de l’identité des territoires, au rang de langues officielles ou au moins de statut particulier.
Les Français attachés aux langues régionales
L’Ifop a révélé une étude sur l’état des langues régionales. On constate que 77 % des Français, et même 87 % dans les Pyrénées-Orientales, où le catalan est très pratiqué, soutiendraient la reconnaissance officielle des langues régionales. L’État commodément demeure très frileux face à une telle perspective pour des raisons politiques et historiques. D’ailleurs, 84 % des Français sont attachés à l’enseignement de l’histoire des régions à l’école en complément des grands sujets nationaux.
L’occitan, locomotive du régionalisme linguistique
C’est bien-sûr lié la géographie qui parle avec cette grande région occitane de la côte atlantique en Aquitaine au pays vivaro-alpin en incluant plus au nord le Limousin et l’Auvergne. Né d’une longue évolution depuis le latin imposé par Rome, l’occitan regroupe six grands dialectes, auvergnat, gascon, limousin, languedocien, provençal et vivaro-alpin. D’ailleurs, pour un puriste linguistique, le gascon est à retirer de cette liste puisqu’il trouve ses racines dans le proto-basque bien antérieur à la latinisation romaine. Dans tous ces territoires occitans, la dynamique de l’apprentissage de la langue du terroir est en meilleure santé désormais, et les cours d’occitan affichent complet. Dans certaines régions cependant, la part des locuteurs de langues locales, notamment d’oïl, semble parfois à la baisse, d’où l’intérêt de continuer à promouvoir l’apprentissage des langues de pays.
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On peut dorénavant parler de revanche des langues régionales que l’on a appelées longtemps patois par dérision et pour mieux les marginaliser au profit de l’oïl à imposer. De nos jours, même si la volonté politique nationale promeut tout de même les langues de pays, le statut de langues officielles ou de statut particulier à côté du français n’est pas à l’ordre du jour, loin de là. Pourtant, c’est à ce prix et sans pour autant affecter l’autorité indispensable d’une langue nationale, le français, que cette identité et cette richesse locale issues du poids de l’Histoire seront enfin totalement identifiées et reconnues par tous, comme chez nos voisins européens.
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PAR PHILIPPE ESTRADE AUTEUR CONFÉRENCIER
Pluton-Mag 2025

