A l’ombre du grand flamboyant.
Julienne Salvat est née en 1932 à Fort-de-France (Martinique) et elle est agrégée de Lettres Modernes. Elle est professeur de français d’abord à la Martinique et à Bordeaux, ensuite à Saint-Denis de la Réunion de 1965 à 1992. Parallèlement à sa carrière d’enseignante, elle s’est consacrée au théâtre (distribution, mise en scène) et à la poésie. Elle a milité pour la culture réunionnaise au sein des associations UDIR (Union pour la Défense de l’Identité Réunionnaise) et ARCC (Association Réunionnaise Communication et Culture) en animant des manifestations poétiques et littéraires. Julienne Salvat est également membre de l’association de la Société des Poètes Français et de la Société des Gens de Lettres.
ODEURS CAFRINES
accent tonique
(L’harmattan 2017)
Obsession baudelairienne
O source
eau promise
eau de coumarine fourrée
O de félicité
prescience
inondant lèvres vives
Ta cantiléne jaillit au bout des doigts
eux explorant
ostensoir un delta
d’où mutines les moiteurs
s’éparpilleront en la bouche couresse
telle tonka – je dis tongo –
pour capiteuse tabagie…
Réveillez-vous
mises en demeure
Debout vous
en ergastule de chair confinées
La narine du dédain
alentour monte la garde.
Réveillez-vous
fragrances avilies
Tenez debout
morguées sujettes en vos chaînes
Vous gouvernées tributaires
vassales voussubalternes.
Debout vous
effluences sudoripares
Au buffet froid du talion
à quand violente votre irruption
vous louves battues froid
vous tigresses au rebut de tout
vous reines guépardes au mépris de tous ?
Fauves femelles incendiaires
vous échappées que l’on traque…
Strange fruits
Dancing de fruits étranges sous la jupe
des peupliers en transe
Lanternes fleurant
Menstrues frissonnant parmi la frondaison
Nègres rouges
Nègres photophores
vos appels de détresse
embrasent les plantations d’un Sud profond
Dansez fruitage étrange
votre étrange gavotte
au bal étrange des ardents
Le magnolia s’offre
à l’étreinte du sang
se soumet à la chair grésillante
respire
la brise en larmes
le roucoulis du blues
et Billie en leur deuil maternel…
borgne dans son sommeil
ma colombe débornée
langue qui m’exaspère et me désespère
langue île que j’aborde
pour retour sans cesse et toujours marronnage
Je te voue à la crasse je te voue à l’encens
Je te voue à l’onction je te voue à la fange
il m’appartient de t’alanguir
de te déterminer ma jambette à la main
à toutes volées machette à mon bout de bras
langue coup de bois pour makoute
pour makoumè
Langue comme moi marronne en servitude et esclave de liberté…
GENESIS (extrait de Tessons Enflammés)
Déambulant au bois dormant d’anciens vertiges
Dans la nuit pure et froide eau vive sans mélange
Les chiens de l’insomnie assiégeant mon repos
J’entends le vent qui siffle à travers ma mémoire
***
Dans la nuit pure et froide eau vie sans mélange
Seule avec le silence et ses couteaux fourbis
J’entends hurler les loups dans mes déserts de glace
En traversant minuit
Les oiseaux m’ont crié des choses sans espoir
***
Les chiens de l’insomnie assiégeant mon repos
Mon amour en vigie rôde comme un parfum
Ce double qui survit à tout bris de miroir
C’est Circé dans les cendres et son amour perdu
***
J’entends le vent qui siffle à travers ma mémoire
Et qui fomente en moi un chancre bleu rythmé
Je cueillerai sa fleur prête à capituler
Le sang de mon poème
Et sa plainte luciole à saveur de guitare
***
Déambulant au bois dormant d’anciens vertiges.
*****
LYRIQUE DANS LE FAIT NOIR
Recluse
en solitude asséchée
de ses désirs de ses déserts
gouvernante
sait la mort à l’affût et la flèche au lait de curare lent.
Gagné le large longtemps sa folie a déployé ses voiles
longtemps rêvé un brasier en eau sauvage
A peine frôlées des îles vierges encore
seule elle trace son sillage à rebours
Poursuivi le destin à tire d’aile a fui
Or cessant de languir au loin très loin elle dérive
soustraite corps et biens
naufragée en attente
devinant l’éclair et la boue au couchant de son étoile.
(Extrait de Jeux Lémuriens)
« Il y a des rêves qui ne plaisantent pas »
Polaire l’arbre d’une joie
étend sur moi sa frondaison lapidaire
se nourrit des tourbillons dont je suis ivre
dans le rouge silence de mes os
ce silence fée désenchantée qui voudrait
se mettre à nu là où le soleil est interdit
là où l’été confisque les clés de la soif
là où l’étale défend de mordre au fruit…
Vous ! Vous ! Vous ! Maintenant à jamais !
Dans le cénacle de la méditation
pour l’exorcisme de ma plainte
dans le concile de la fermeté
pour mon espoir saisi de convulsion…
Je rapatrie-chasse mes signes…
Je retiens-jette rugueux mon appel…
Je libère-entrave ma parole en des liens amers…
Ne vous retournez pas si d’aventure
vous entendez au loin des cris dans ma pensée…
Ne vous retournez pas si l’ombre
échevelée de mon désir accouru
s’essouffle
a rejoint votre épaule jusqu’à son frôlement…
Ne vous retournez pas ne cédez pas
au frisson qui vous assemble
ne lancez pas l’éclair d’un regard siamois :
je serais changée en statue de sel…
Récitante dans les émissions radiodiffusées et télévisées du mouvement « Créolie » (1970-1990), consacrées à la poésie et la littérature réunionnaises, Julienne SALVAT fut aussi membre du comité d’organisation de LANKREOL, concours annuel de nouvelles en créole réunionnais mis en place par l’UDIR, la JS Réunion et le CCEE Réunion en tant que membre (Conseil de la Culture, de l’Education et de l’Environnement).
Durant la décennie 80-90, elle a pu mener un certain nombre d’activités sur Paris : collaboration à la revue Amina par des reportages sur les figures féminines de la Réunion décennies (80-90), conférences pour la Société des Poètes français et l’Académie Littéraire de France et d’Outre-Mer (Séances au Palais du Luxembourg) sur des thèmes concernant la littérature et la poésie réunionnaises.
Depuis novembre 2014, elle a quitté définitivement la Réunion et vit actuellement à Bordeaux où elle prend part à diverses actions en tant que membre de la Société des Poètes Français.
RECUEILS DE POEMES –
1993 TESSONS ENFLAMMES (édition UDIR)
1998 CHANTS DE VEILLE
2001 FRACTILES
2006 FEUILLESONGE (édition Le Carbet avec le concours du CNL)
2012 JEUX LEMURIENS (édition Le Chasseur Abstrait)
NUIT CRISTAL (édition L’Harmattan)
2017 ODEURS CAFRINES .avec des dessins de Yolande GASPARD
FICTIONS
2000 LA LETTRE D’AVIGNON roman (éditions Ibis Rouge)
2007 CAMILLE, récits d’hier et d’aujourd’hui
2011 FILS INTERDIT in Brèves de Savane –Collectif –
2014 FLEURS EN TERRAIN VOLCANIQUE c/° L’Harmattan
Ce roman a reçu le Prix Outremer de la Ville de Saint-Cyr en mai 2015
TRAVAUX pour l’UDIR
1997 POEMES D’ELLES recueil collectif conçu et préfacé par Julienne Salvat (éd. UDIR) ISBN 2 878663-015-7
1996 UNE CHASSE AUX NEGRES MARRONS, deux textes de Théodore Pavie (1845) écrivain voyageur du XIXème siècle, collectés par JF SAMLONG, préfacés par Julienne Salvat (éditions UDIR)