Vers une fin annoncée du travail

Pendant plus d’un siècle, des auteurs et des scientifiques ont rêvé d’un paradis technologique, d’un monde futur où les machines remplaceraient le travail humain.
Ils dépeignaient ce monde comme un paradis dans lequel les machines travailleraient et où l’homme serait libre de s’adonner à une vie de loisirs.
Depuis les années 90, la fin du travail salarié était déjà annoncée.
Victimes de la révolution technologique, des millions d’êtres humains sont actuellement sans emploi ou sous-employés. Des catégories entières d’emploi ont disparu et le chômage va vraisemblablement grimper en flèche : les machines remplacent rapidement le travail humain et annoncent une économie de production quasi automatisée d’ici au milieu du XXIème siècle. Les innovations technologiques et l’économisme nous poussent à l’orée d’un monde presque sans travailleurs.

Le progrès a un prix

Les technologies de l’information et de la communication séparent en deux la population mondiale : d’une part l’élite des manipulateurs d’abstraction, d’autre part la masse croissante de travailleurs constamment ballottés et précarisés.
Le secteur du savoir est le seul à émerger. Composé d’une élite d’innovateurs industriels, de scientifiques, de techniciens, d’informaticiens, d’enseignants et de consultants, il n’absorbera pas les centaines de millions d’individus balayés par le déclin mondial du travail, préparé par les immenses changements technologiques s’installant dans l’agriculture, l’industrie et les services. Ces trois secteurs traditionnels de l’économie subissent des mutations technologiques profondes qui envoient des millions de personnes au chômage.
Le désespoir pousse un nombre croissant d’êtres humains à la délinquance, et cette menace amène les pouvoirs publics à s’interroger sur les moyens de maintenir l’ordre et assurer la sécurité.
La logique du marché pousse l’entreprise à sa restructuration interne, qui signifie une baisse du personnel, en particulier celui des cadres moyens, qui seront 80 % à avoir perdu leur emploi à la fin de ce phénomène.

Le postfordisme

L’économie mondiale entre dans l’ère postfordiste et pose les fondements organisationnels d’un avenir sans travailleurs. L’utilisation de l’informatique offre un taux de retour sur investissement de 54 % dans l’industrie, en contribuant non seulement à l’augmentation de la productivité, mais aussi aux licenciements massifs et à la diminution de la taille des entreprises. Le déclin mondial du travail a entamé sa marche lente en créant un monde sans paysans, puis le pas s’est accéléré quand les cols bleus ont tous été renvoyés au vestiaire jusqu’à ce que le dernier travailleur du tertiaire cède sa place à la machine.
Les méthodes informatisées de traitement des dossiers rendent inutiles bon nombre d’employés. L’apparition du télétravail métamorphose le travail au bureau. Les nouvelles méthodes de stockage nécessitent moins de transports et d’entrepôts, d’où une baisse des effectifs de ces deux secteurs. Le recyclage, solution proposée comme excuse aux réductions de personnel, ne fonctionne en réalité que pour un cinquième des chômeurs.

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Les gagnants et les perdants du grand jeu high-tech

Dans les 20 dernières années, les premières victimes de l’automatisation et de la mondialisation de l’économie furent les employés américains peu qualifiés, chassés par millions des usines. Beaucoup ne sont pas parvenus à retrouver un emploi, à s’offrir un toit, et ont sombré de ce fait dans le désespoir, et souvent dans la délinquance.La baisse généralisée du pouvoir d’achat a augmenté considérablement le nombre de pauvres.La population active est en reflux dans la plupart des secteurs.Actionnaires et patrons se sont quant à eux enrichis grâce aux gains de productivité induits par les restructurations.La vague de reengineering a provoqué ensuite le déclin de la classe moyenne, dont le nombre d’emplois, les salaires, ainsi que la protection sociale ont chuté de manière critique.
Les manipulateurs d’abstraction, nouvelle élite de travailleurs du savoir, parviennent seuls à augmenter leurs revenus grâce à la nouvelle économie mondiale high-tech. Le fossé entre riches et pauvres se creuse, et les tensions toujours plus fortes pourraient aboutir à une révolution sociale.

L’humain n’est pas en mesure de suivre le rythme imposé par la machine et la cybernétique, et souffre de la prise en charge de son propre emploi par la machine.
La perte de son emploi est donc pour lui, au-delà des difficultés matérielles, une perte d’identité dangereuse. Le chômeur se sent inévitablement inutile, il est désœuvré et peut tomber dans la violence. Les nouvelles méthodes de production, plus stressantes, mettant en œuvre des pratiques d’émulation pesantes, provoquent de nombreuses maladies professionnelles de plus en plus insidieuses et mortelles.

Le capitalisme serait idiot

Les chômeurs lui coûteraient aussi cher que de les payer à travailler. Il serait donc possible de salarier tout le monde sans que cela ne coûte davantage à un capital déjà en mal de plus-value.
Il en résulte que si le travail « disparaît » aujourd’hui, alors que tant de besoins sont insatisfaits et pourraient être comblés aisément, ce n’est pas que « le travail » manque, mais que le travail producteur manque de plus-value. Dit autrement, c’est seulement le travail salarié, le rapport social spécifique du salariat, qui est en cause. Une autre question est de savoir ce qui peut remplacer ce travail-là, et dans quels autres rapports sociaux le travail pourrait s’effectuer.
Dans un premier temps, il s’agit d’abord d’établir les raisons d’une disparition plus ou moins ample du travail salarié, en même temps que de l’impossibilité pour le capitalisme de développer d’autres types de travail, d’où le chômage.

Pourquoi le travail salarié disparaît- il ?

Il faut nécessairement, pour parler du travail aujourd’hui, considérer sa forme d’existence concrète, le travail salarié. Elle lui est évidemment donnée par le capital, puisqu’il est seul maître des moyens de travail, et donc seul à pouvoir le mettre en œuvre. Le capital considère le travail de façon double : comme valeur d’échange en tant que marchandise qui coûte la quantité de travail nécessaire à sa production quand il l’achète, et comme valeur d’usage quand il l’utilise.
Dans cette utilisation, il faut que la quantité de travail fournie par le travailleur soit supérieure à la quantité de travail nécessaire à le produire, puisque le surtravail est, nous l’avons rappelé, la condition du travail. Pour le capitaliste, tout est là : dans la nécessité et l’obsession de la mesure. On ne peut mesurer que des quantités, et en matière de travail humain, cette mesure ne peut s’appliquer, grosso modo, qu’au temps de travail. C’est pourquoi, pour le capitaliste, en tout cas dans ses comptes, le travail utile doit absolument pouvoir être réduit à une quantité, un temps de travail productif. Non seulement plus un geste est simple et plus il peut être rapide, mécanique, et chronométré, mais encore, en dépouillant de plus en plus l’ouvrier de son savoir-faire, on le dépouille aussi de la maîtrise de son temps, de son travail, de ses qualités.
Ce processus de dépossession des savoir-faire est aussi appropriation et accumulation des connaissances par le pôle capitaliste, qui enrôle de plus en plus à ses côtés la science pour augmenter la productivité et forcer l’ouvrier au surtravail. La puissance directement productive devient celle de la science, et des machines qui la concrétisent. En regard, le travail immédiat n’est plus qu’une force insignifiante. Au bout du compte, l’exécutant n’exécute même plus rien. Il se tient à côté de la machine pour la mettre en route, la surveiller, la réparer suivant un programme déterminé par les ingénieurs.

Consensus sur un constat : la révolution technologique va engendrer des gains de productivité à une échelle inconnue jusque-là. Mais les avis divergent sur les conséquences. Certains s’attendent à   « l’horreur « , tandis que d’autres pensent, au contraire, que l’on peut profiter de cette évolution.

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Georges Cocks 

www.pluton-magazine.com

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Jeremy RIFKIN est un économiste américain,
Il est actuellement président de la « Foundation on Economics Trends », à Washington D.C. ; cette fondation étudie les problèmes environnementaux, sociaux, économiques et éthiques liés à la révolution biotechnologique.
Il collabore à ce titre avec plus de quarante mille entreprises, compagnies et sociétés de la planète.
Il a publié, outre de nombreux articles, une quinzaine d’ouvrages, dont The End of Work : The Decline of the Global Labor Force and the Dawn of the Post-Market Era, traduit par Pierre Rouve en français sous le titre La fin du travail.

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