Hanoi, ville de mémoire, ville créatrice

Par Philippe Triay

Cette cité millénaire d’un charme incomparable est le creuset d’un grand nombre d’artistes ( peintres, photographes ) et artisans de toute sorte. Son histoire anticoloniale lui donne également une densité particulière.

Circuler à Hanoi n’est pas une sinécure ; du moins dans la vieille ville, la cité dite « des trente-six rues ». Les motos pétaradent dans tous les sens, les taxis klaxonnent à tout va, les voitures tentent de se faufiler dans le moindre interstice. Ça virevolte, crépite, tourbillonne. Incessant mouvement. La vie. Les piétons font ce qu’ils peuvent, c’est-à-dire pas grand-chose. Traverser la chaussée devient une aventure à planifier soigneusement. Mais en dépit du bruit, paradoxalement, tout cela se fait dans une sorte de sérénité. Sans énervement ni bousculade inutile. Sans agressivité. Et avec, la plupart du temps, le sourire. Bienvenue dans la capitale du Vietnam.

Hanoi signifie « en deçà du fleuve » en vietnamien, car elle borde le fleuve Rouge venu des montagnes du Yunnan en Chine. Cette ville, née des règles de la géomancie, qui a célébré son millénaire en 2010, recèle une atmosphère particulière. Elle est d’abord chargée d’histoire. Quelque mille ans d’influence chinoise et près d’un siècle de présence française. En 1902, Hanoi était d’ailleurs la capitale de l’Indochine. Ces deux influences sont inscrites dans la physionomie de la cité. Au nord du lac Hoàn Kiêm, au centre de Hanoi, l’héritage chinois, avec le quartier bouillonnant et commerçant des « trente-six rues ». Plus au sud, l’ex-ville coloniale française, avec ses institutions, ses magasins de luxe et ses ambassades. Cependant, ce sont ses guerres qui ont principalement forgé l’identité de la capitale du Vietnam.

Oeuvre de l’artiste Nguyen Nhat Dung (copyright Apricot Gallery)
Oeuvre de l’artiste Nguyen Nhat Dung (copyright Apricot Gallery)

Passion  

Les Vietnamiens, et particulièrement les habitants de Hanoi, n’ont pas oublié leur histoire. Et le gouvernement prend bien soin de la leur rappeler. La capitale compte,en effet,  de nombreux musées dédiés à l’histoire et plus précisément aux guerres que le pays a dû mener pour sa libération  du colonialisme français puis de l’agression militaire américaine. Mausolée et musée Hô Chi Minh, musée de la Révolution, prison de Hoà Lò, musée des Femmes vietnamiennes, musée d’Histoire militaire du Vietnam… La visite de ces institutions permet de mieux connaître et saisir l’âme de ce pays et comprendre comment cette nation a pu se défaire successivement de deux grandes puissances militaires occidentales majeures, au prix fort certes, mais victorieuse et sans jamais baisser la tête.

Hanoi a consigné son histoire avec passion, mais avec méticulosité. On ne peut être qu’impressionné à la visite de la sinistre prison de Hoà Lò et de voir dans quelles conditions les indépendantistes vietnamiens étaient incarcérés et torturés par les militaires français. Il trône encore dans cette centrale pénitentiaire une guillotine en état de fonctionnement et les instruments de torture utilisés à l’époque. Ironie de l’histoire, cette prison servit dans la guerre contre les Etats-Unis à l’emprisonnement de pilotes américains capturés, dont le plus célèbre d’entre eux fut incontestablement John Mc Cain, le sénateur républicain battu par Barack Obama à l’élection présidentielle de 2008. L’histoire d’Hanoi, et du Vietnam, invite à la réflexion. On en mesure le poids, la solennité, ainsi que l’ancrage et la fierté du peuple vietnamien, libéré par lui-même. Respect.

Durant les guerres du Vietnam, des images émouvantes ont été saisies, souvent par des photographes vietnamiens eux-mêmes. De fait il existe une longue tradition photographique dans ce pays. A Hanoi, il n’est pas rare de croiser des Vietnamiens appareils photo en bandoulière ou à la main, professionnels ou amateurs passionnés. Dans le quartier des trente-six rues, de nombreuses galeries ou boutiques exposent des photos d’art, en noir et blanc ou en couleur. On peut y trouver également des photos historiques, de la guerre ou du début du siècle. Il y a de véritables chefs d’œuvre.

Antidote

L’art a toujours été un antidote à la guerre et au désespoir qui vient avec. Est-ce pour cela qu’Hanoi regorge aussi de peintres, de plasticiens et d’artisans multiples ? Toujours dans la vieille ville, on ne se lasse pas de déambuler de galerie en galerie, avec leur empilement de tableaux de toute sorte. On y voit d’étonnantes reproductions de grands maîtres européens – les peintres vietnamiens sont d’excellents copistes – mais aussi de talentueuses créations originales, réalisées avec différentes techniques. L’art contemporain a sa marque à Hanoi. Non officiel et pas encore coté, il se déniche au détour des petites allées des « trente-six rues ». Pour les amateurs plus avertis ou les professionnels, il existe des galeries plus conventionnelles. Quant à l’artisanat, sa floraison comblerait le visiteur le plus difficile. Vannerie, soierie, broderie, céramique, bijouterie, porcelaine, nacre, menuiserie fine… la cité déborde d’imagination et d’originalité. C’est peu de dire qu’on en prend plein les yeux. Hanoi, décidément, est une ville d’artistes.

About Philippe Triay

D’origine martiniquaise, Philippe Triay est journaliste à France Ô, la chaîne du groupe France Télévisions consacrée aux Outre-mer, où il traite principalement de thématiques culturelles. Il a publié en 2015 un essai sur les écrivains martiniquais Aimé Césaire et Frantz Fanon ("Pour une lecture fanonienne de Césaire", éditions Dagan, Paris), ainsi que "Barbaries" en 2016 aux éditions du Manguier, un recueil de poésie illustré par le peintre guadeloupéen Romain Ganer. Son dernier livre, un récit intitulé "La fin de l'insouciance", est paru en mars 2018 aux éditions du Manguier.

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