Germaine Tillion entre résistance et fraternité

Sa vie et son œuvre furent jusqu’au bout indissociables. Elle se sentait, dans une universalité qui animait chaque fibre de son être, responsable des autres humains, de tous les humains.

« Germaine Tillion, qui avait fait du juste et du vrai l’emblème de son siècle d’existence, reçoit aujourd’hui l’éternelle reconnaissance nationale. Elle incarnait la liberté, l’égalité, la fraternité entre tous les peuples, toutes les cultures, toutes les civilisations, comme des droits inviolables et des devoirs incompressibles. Elle consacra toute sa vie, dans une destinée maîtrisée jusqu’au dernier souffle, son intelligence d’observation, sa puissance d’analyse, sa rigueur scientifique, ses recherches ethnologiques, son intransigeance éthique, ses engagements politiques, à la défense sans répit de la dignité humaine.

Elle était une figure vivante de la résistance dans toutes ses dimensions, la résistance à la bête immonde qui ravagea les peuples et leurs territoires, la résistance aux souffrances inimaginables du camp de concentration de Ravenbrück où elle fut déportée sur dénonciation, où elle fit de l’humour et de la création artistique des armes de combat, la résistance aux crimes militaires contre les algériens qu’elle soutint sans faillir dans leur lutte légitime pour l’indépendance. Elle connaissait ce peuple mieux que personne. Disciple de Marcel Mauss, elle consacra sa thèse de doctorat aux berbères des Aurès avant de publier plus tard le maître-livre « Le Harem et les cousins ».


Sa ferveur pour le genre humain et pour son génie culturel, à toutes les époques, partout sur la planète, était si communicative qu’elle ouvrait instantanément des horizons insoupçonnables à la curiosité intellectuelle. Elle rendait ses interlocuteurs intelligents par sa seule présence, par l’éclat permanent de son regard, par les étincelles stimulantes de sa parole toujours vivante, qui rendait évidentes les vérités cachées. Sa mémoire impressionnante restituait dans les moindres détails les évènements vécus, les épreuves surmontées, les territoires parcourus, les anonymes rencontrés. Elle tissait sans cesse des liens entre ses missions officielles et ses recherches ethnographiques, explorait dans ses finesses la langue tamasheq, restituait dans ses profondeurs la civilisation touareg et les autres cultures qu’elle labourait. Elle rendait aux symboliques, aux imaginaires, aux pratiques magiques, qui transcendent la condition humaine et la subliment, toute leur grâce naturelle.


Sa vie et son œuvre furent jusqu’au bout indissociables. Elle se sentait, dans une universalité qui animait chaque fibre de son être, responsable des autres humains, de tous les humains. Elle jugeait la valeur des cultures et des civilisations à la place qu’elles accordent à l’altérité. Elle portait l’autre en elle, tous les autres, comme une mère porte ses enfants, sans jamais tomber dans le messianisme prodigueur de leçons morales. Elle disait, dans un perpétuel hymne à la vie :

« Notre esprit doit rester vigilant et clair, prêt à juger contre nous-mêmes si c’est nécessaire. Je pense de toutes mes forces que la justice et la vérité comptent plus que n’importe quel intérêt politique. Pour moi, la résistance consiste à dire non. C’est-à-dire non à l’assassinat, au crime. Il n’y a rien de plus créateur que de dire non à l’assassinat, à la cruauté, à la peine de mort ».

© Mustapha Saha :  sociologue, poète et peintre

Crédit photo: L’ethnologue Germaine Tillion, grande figure de la Résistance [Stephane de Sakutin / AFP/]

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