EDGAR MOREAU, un jeune archet prodige.

Violoncelle : EDGAR MOREAU, un jeune archet prodige.

Ne vous y méprenez-pas, l’apparence est trompeuse : avec des yeux perçants légèrement en amande, une chevelure abondante noire et bouclée et un visage de chérubin, il affiche à 21 ans une personnalité des plus matures, des plus affirmées. C’est un régal de l’écouter au fil de ses prestations, rencontres, interviews, car une immense passion pour la musique habite le jeune Edgar Moreau ! Ses quatre ans ne sont pas si loin que cela, de ce jour en particulier dont il a conservé, intactes, les saveurs d’un moment inoubliable et qui, à l’évidence,  ont été le déclic. Car à cet âge, il est déjà derrière un piano et au violoncelle. Il le raconte avec l’élan, la fraîcheur de sa jeunesse, emporté comme un jeune cabri qui sait qu’au bout du pré verdoyant il y a tant d’autres perspectives. L’horizon musical pour lui s’annonce infini…

En cette année-là où les cosmonautes de la station Mir trinquent là-haut pour fêter 1998, la France remporte dans l’euphorie la coupe du Monde de football face au Brésil , le film Titanic décroche onze récompenses aux Oscars à Los-Angeles , à Londres, chez Christie’s un Stradivarius de 1727 est vendu pour la bagatelle de 10 millions de francs et le Russe Denis Matsuev obtient, lui, le 1er prix de piano du prestigieux Concours international Tchaïkovski… le bambin qu’est alors Edgar ne se doute pas que lui-même, quelques années à peine plus tard, il remportera à dix sept ans le 2 ème prix de ce même Concours. Et qu’il jouera bientôt avec un instrument de 1711 !

C’est en compagnie de son père antiquaire de métier que le charmant petit bonhomme de quatre ans pousse la porte d’une destinée prometteuse. C’est dans Paris et dans un magasin d’antiquités où tout respire l’ancien, briqué, lustré, cajolé mais où un son parvient aussitôt aux oreilles de l’enfant qui, curiosité oblige, l’attire vers le sous-sol, la cave en réalité aménagée. Là, devant lui, une toute petite fille aussi à laquelle on donne un cours de violoncelle. Il tombe instantanément sous le charme de la scène, de l’instrument d’où émane un flot de notes qui le transportent… « Je veux faire ça ! » clame-t-il en direction de son père qui l’a rejoint. Le papa note le numéro de téléphone du professeur qui par la suite lui fera travailler le violoncelle pendant cinq ans. Edgar dit que c’est cet homme qui lui a donné encore plus l’amour de la musique. Le destin était tracé.

Le violoncelle au corps….

moreau2Des parents mélomanes, ça porte évidemment l’enfant. A 5-6 ans et depuis cette révélation d’un merveilleux sous-sol, il est bercé par les nombreux enregistrements qu’il y a à la maison. Ses parents sortis, il ne se prive pas de puiser dans la riche discographie que ceux-ci lui ont d’ailleurs offerte et s’applique à déchiffrer la musique, jouer par-dessus, ne se lassant pas de Rostropovitch en particulier ; autant de disques alors (mais on y revient aujourd’hui) qui vont participer à son rêve de devenir un soliste, un musicien à son tour. Il est l’aîné de quatre enfants, son petit frère et sa jeune sœur joueront d’ailleurs également du violon. Du Conservatoire de Boulogne-Billancourt où il entre, il gardera avec émotion l’image de la classe de violoncelle jouissant d’une grande réputation qu’animait Xavier Gagnepain dont il conserve le meilleur souvenir et qu’il trouvait extraordinaire . Parallèlement, il consacrera dix ans au piano, convaincu de la complémentarité des instruments « Je me souviens – confiait-il en septembre dernier au Temps, sous le titre : Le violoncelle au corps – avoir joué l’étude « La Campanella » de Liszt, la 1re Ballade de Chopin et « Alborada del gracioso » de Ravel  pour mon Prix de piano ».

Un apprentissage juvénile rigoureux, contraignant, des heures de gammes, de répétitions ; après avoir donc reçu l’enseignement de Xavier Gagnepain, c’est la classe de Philippe Muller qui l’accueille en 2009, au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris. Il intègre la Kronberg Academy (Institution culturelle internationale basée en Allemagne pour les altistes les plus doués, particulièrement les violoncellistes) où il étudie avec le suédois Frans Helmerson, un grand nom du violoncelle et qui, lui aussi, débuta l’apprentissage de cet instrumentà un âge précoce. Et puis c’est la pression autour des premiers concours, le stress, la fatigue des débuts de déplacement…EN dépit de tout, Edgar ne se plaint pas : c’est ce qu’il voulait. Il ira au bout de ses rêves.

Jeunesse, fougue, puissance, grâce et tant d’autres atouts, à commencer sans doute par le réel plaisir qui provient de son amour de la musique avec laquelle il est né.   Si Edgar a une approche fine des oeuvres, c’est qu’assurément les années de piano y sont pour quelque chose. Et s’il joue aujourd’hui un violoncelle de David Tecchler de 1711, c’est bien mérité. Il fait honneur à ce natif d’ Autriche( 1666) qui vécut ensuite en Italie et qui est considéré comme l’un des maîtres-fabricants parmi les plus importants de l’Ecole romaine. Edgar en manie l’archet avec une dextérité qui laisse sans mot, aucune faille dans une technique qui apparaît irréprochable, ses attaques sont parfaites, l’extrême attention qu’il prête à la partition (il en a un sens très fin) n’est pas sans rappeler son goût dès la prime jeunesse pour le déchiffrage qui était pour lui comme un jeu favori ; il semble le maître absolu du jeu et avec une telle élégance ! Ses interprétations traduisent toute sa maturité, elles donnent à l’œuvre qu’il joue un cachet qui ne peut appartenir qu’à lui-même, c’est là toute la liberté de l’interprète qui sans dénaturer l’initiale nous la redonne sous un jeu de lumières – s’il pouvait s’agir de peinture – auquel on n’aurait peut-être pas songé…

Flamme juvénile et maturité. Un petit prince du violoncelle.

Mais s’il a baigné depuis la tendre enfance dans la musique classique, il ne faut pas croire que le jeune virtuose délaisse le reste  pour autant ; voici peu, répondant aux questions de Qobuz France, service de musique en ligne qui sollicitait sa playlist généraliste, Edgar mentionnait une chanson qui disait-il l’émeut toujours : « Ne me quitte pas », de Jacques Brel, mais encore la tout aussi nostalgique « La Bohème » chantée par Aznavour, citant également d’autres grands noms de la chanson française, Trenet, Brassens … du rock aussi. Il adore ! Il s’est d’ailleurs concocté sa playlist avion, comme il dit qu’il met dans ses MP3 et I phone et, casque aux oreilles, va pour un vol agréable ! Le rock justement, c’est sa période ado et c’est bien ancré en lui mais il explique que le violoncelle ne remplacera jamais la guitare électrique, instrument roi dans le rock mais voilà : « j’ai choisi la musique classique, on ne peut pas tout faire n’est-ce pas ? C’est vrai que j’ai fait un peu de jazz, je me suis ouvert à tout mais pour le moment je reste dans ce chapitre ».

Et ça lui réussit à en juger l’engouement qu’il suscite partout et sur les plus grandes scènes du monde, hyperactif et boulimique de la scène comme il se définit (mais ça ne l’effraie pas), il scotche son public quand par exemple il interprète « La danse des Elfes » de David Popper, violoncelliste né à Prague en 1843 ; la presse n’est pas avare de compliments. Le Monde, par exemple évoque « L’archet prodige d’Edgar Moreau », le Temps écrit qu’il « en impose par sa maturité et sa flamme juvénile ; s’il parle vite, très vite jusqu’à manger ses mots, il a une volubilité typiquement française, qui s’exprime aussi à l’instrument lorsqu’il joue ». Linda Belhaoues (Culturebox) voit tout simplement en lui « Le petit prince du violoncelle ».

Des avions, des capitales, des scènes prestigieuses.

moreau1Moscou, Saint-Pétersbourg, Hong-Kong, Caracas, Paris, de nombreuses villes de France, Varsovie, Turin, Berlin, Amsterdam, Venise, Vienne, Bruxelles… et d’autres. C’est la rançon du succès, de la fatigue assurément mais la passion par-dessus tout. A vingt ans, avec le talent, l’assurance de soi, le travail quotidien, on soulève les montagnes, ou plutôt on passe par-dessus… et le voilà projeté du Sinphonia Iuventus Orchestra, au Malaysian Philarmonic Orchestra, via l’Orchestre National de France, en passant encore par le Moscow Philarmonic Orchestra… A onze ans à peine, il se produisait déjà en soliste avec l’Orchestre du Teatro Regio de Turin. Depuis, sa passion pour la musique de chambre l’a conduit à jouer avec de grands noms, comme les pianistes français Renaud Capuçon, David Kadouch, Frank Braley, la Géorgienne Khatia Buniatishvili (pianiste), ou encore le Toulousain Gérard Caussé (altiste), l’Alsacien Paul Meyer (clarinettiste) …

« Il chasse les récompenses comme un papillon en plein vol » (Le Temps).

Depuis l’année 2009, il les a enchaînées… Cette année-là, au Concours Rostropovitch, il remporte à 15 ans le prix du jeune soliste puis, l’année d’après, le prix du Conservatoire de Boulogne-Billancourt (piano) ; 2011 amène le triplé gagnant : deuxième prix du XIVème Concours Tchaïkovski à Moscou, là aussi celui de la meilleure interprétation d’une œuvre contemporaine et il devient également Lauréat de la Fondation Banque Populaire. En 2013, aux Victoires de la Musique classique Edgar (19 ans) est nommé « Révélation soliste instrumental de l’année ». En novembre 2014, il n’obtient pas moins de six prix spéciaux à New-York, aux auditions des Young Concert Artists et un 1er prix. Puis il signe également un contrat d’exclusivité chez Erato : le premier enregistrement « Play » sortira en 2014. C’est une fierté pour lui, une marque, une empreinte ; le direct sur scène est certes irremplaçable parce que le rapport est étroit avec le public mais accessible à un nombre limité de spectateurs ; le disque peut toucher le plus grand nombre et ça c’est excitant de savoir que des gens qui ne viennent pas forcément au concert peuvent vous recevoir dans leur intimité, maison, rue, voiture. Un disque c’est aussi une consécration, une reconnaissance. Il en est légitimement fier.

Déjà deux albums.

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Il se voulait éclectique dans ce « Play », nom du premier album donc (récital de pièces pour violoncelle et piano), eh bien démonstration réussie de son savoir-faire. Il le souhaitait d’accès facile au public, lui offrant un ensemble de pièces virtuoses, lyriques, de transcriptions ; il ne souhaitait pas s’attaquer de suite aux grandes sonates. Pour ce faire, il a travaillé avec le pianiste Pierre-Yves Hodique, originaire de Boulogne-sur-Mer, son partenaire privilégié depuis trois ans comme il se plaît à le souligner. C’est donc avec lui qu’il a conçu ce premier disque, riche de pas moins de dix-sept pièces que les garçons sont habitués à jouer fréquemment dans les rappels sur scène. Donc, pas de grandes formes symphoniques, ni de sonates, « plutôt des lieder ou des caprices virtuoses. Des petites sucreries » (Lorenzo Ciavarani Azzi – Culturebox).

Alors que nous propose le violoncelliste à l’écoute de « Play » ? En picorant… on passe par des petites pièces hongroises que les orchestres tsiganes aiment jouer, les « Csardas », à un air venu de l’opéra « Samson et Dalila » de Camille Saint-Saëns, via « Les chemins de l’amour », de Poulenc ; il y a aussi du Massenet, du Schubert ; « Humoresque » une composition de Rostropovitch ; du Chopin ; l’enjouée « Danse des Elfes » de Popper donc, ou encore Rossini avec « Moïse en Egypte », etc. Souvent des œuvres difficiles, de grande virtuosité mais ça, ça n’est pas pour déplaire au jeune artiste dont l’archet saute et danse allègrement…

Quant au deuxième album, « Giovincello », avec lui il voulait se prouver qu’il était capable de s’attaquer au genre répertoire du XVIII ème siècle, auparavant il a beaucoup emmagasiné, écouté plusieurs versions pour ne pas être influencé par l’une ou l’autre, pour son rendu à lui. Avec « beaucoup » on se fait une idée, reste ensuite à insuffler sa propre marque. Là, on est dans des œuvres majeures, incontournables, Vivaldi, Haydn, Boccherini, Grazziani … Enregistrement avec l’ensemble Il Pomo d’Oro (des musiciens qui comptent parmi les meilleurs de la planète quant à l’interprétation sur instruments d’époque) que dirigeait le violoniste Riccardo Minasi.

Un lieu de ressourcement : La Roque d’Anthéron.

Loin de l’effervescence des grandes salles, il y a ce joli et bucolique coin des environs d’Aix-en-Provence où Edgar est venu à plusieurs reprises et déjà à l’enfance, ayant de la famille à proximité. C’est un lieu de résidence pour musiciens et, dans le paysage musical et pianistique de la planète, c’est ici un exceptionnel point d’ancrage. A La Roque d’Anthéron, c’est le Festival International de Piano fondé par René Martin, le directeur artistique pour qui bien évidemment le visage d’Edgar est familier. Le jeune homme aime à s’y retrouver, il y venait souvent, en spectateur quand il était plus jeune, et un peu plus tard en 2013 où il se disait très heureux d’avoir une soirée violoncelle- piano avec le professeur qui l’avait fait travailler pendant cinq années, Philippe Muller  : « Le jour où il m’a appelé pour venir ici, ça a été une immense joie et puis j’ai participé à une « résidence » jeunes qui peuvent se perfectionner avec des maîtres pendant plusieurs semaines et donc venir ici, trois ans après, en tant qu’artiste sur cette magnifique scène, c’est quelque chose ! ».

Le 27 novembre 2015, c’est une date qui restera dans sa mémoire comme dans celle de beaucoup de Français, ce jour où à Paris le pays rendait hommage, aux Invalides, aux victimes des attentats du 13 novembre, en présence du Président de la République. Après « Quand on a que l’amour » chanson reprise par Yael Naim, Camélia Jordana et Nolwenn Leroy, puis Natalie Dessay chantant « Perlimpinpin », de Barbara, c’était en effet au tour d’Edgar Moreau – et juste après que François Hollande a rendu hommage à « la jeunesse de la France, frappée en son cœur » – d’interpréter au violoncelle « Sarabande », de la suite n°2 de Jean-Sébastien Bach.

La reconnaissance d’Edgar va à tous ceux – et ils sont nombreux – qui l’ont aidé à grandir dans cet art qu’il pratique avec tant d’aisance. C’est un hommage en particulier à une école française de violoncelle qu’il juge extraordinaire, notamment au niveau de la technique, même si aujourd’hui, explique-t-il, la mondialisation du fait de déplacements aériens fréquents a un peu gommé les particularismes, les originalités propres parce qu’on se frotte en permanence aux autres écoles, qu’on se connaît bien. Les bonnes recettes du voisin n’ont plus trop de secret…

Jean-Louis LORENZO

Natif de la plaine d’Oranie, JLL est un journaliste de radio et de télévision. Aujourd’hui retraité, il a exercé ce métier pendant près de 40 ans, aussi bien en France métropolitaine que dans les stations d’Outre-mer : Amérique latine, Afrique de l’est, Océan Indien. Il a longtemps exercé en Aquitaine où il fut rédacteur-en-chef de la station de Radio France (France Bleu Gironde). Il a publié plusieurs ouvrages, les trois derniers puisés dans le terroir bordelais.

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