Les histoires hors du commun du journaliste et essayiste Serge Bilé

logopluCe n’est pas la première fois que vous nous faites découvrir des personnages noirs ayant marqué l’histoire ou ayant une histoire hors du commun mais dans l’ombre. Est-ce une volonté de votre part et dans quel but ?

Serge Bilé: En fait c’est ma marque de fabrique et c’est pour ça qu’on le remarque. J’écris généralement des livres sur des sujets qui ont été peu ou pas du tout explorés. Ça suppose que je trouve chaque fois des personnages à la marge, oubliés par les historiens et plus généralement par chacun et chacune d’entre nous, faute d’en avoir entendu parler. Partant de là, quand je propose un livre, mes lecteurs ont toujours l’impression de découvrir quelque chose de singulier. Cette idée de surprendre à chaque fois me plait beaucoup. Mais ça ne se fait pas sans mal, car il y a généralement peu d’archives sur les sujets ou les personnages que j’aborde. Il faut ramer pour trouver la moindre info, remuer les bibliothèques du monde entier, et parfois ça peut décourager. Fort heureusement, jusqu’ici, quitte à prendre le temps qu’il faut, je n’ai jamais abandonné un projet en cours de route. 

Quelle a été votre première réaction en découvrant l’histoire de cet homme avec le Titanic ?

Je vais vous faire rire. C’est un de mes lecteurs qui m’a parlé de cette histoire la première fois. Il m’a envoyé quelques lignes sur Facebook pour me dire qu’il y avait un passager haïtien sur le Titanic et que je devrais m’y intéresser. C’était il y a 5 ou 6 ans. Je vais vous faire rire, parce que, sur le coup, ça n’a pas retenu mon attention pour la raison que j’ai évoquée plus haut. Je pensais que d’autres que moi avaient déjà écrit sur le sujet et qu’il n’était donc pas utile que je perde mon temps à refaire le travail que mes prédécesseurs auraient fait admirablement. C’est ce que je croyais jusqu’à ce que je découvre récemment qu’il n’existait aucune biographie de cet homme, cet ingénieur haïtien, Joseph Laroche. A partir de là, je me suis mis à fond dans la recherche des rares éléments et rares témoignages qu’on pouvaient encore trouver, un siècle après le naufrage du Titanic. J’ai fait des recherches en Haïti, aux Etats-Unis, et en France. L’enquête a été longue et difficile mais j’y suis arrivé.

Pour arriver à construire un essai de 197 pages il faut de la matière. Comment avez-vous procédé ?

Photo Serge BiléJe suis d’abord parti du principe que le Titanic n’était pas le centre du livre. Le cœur de l’ouvrage c’est en fait Joseph Laroche qui, comme le dit sa fille qui a survécu à la catastrophe, s’est retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment. J’ai donc choisi de replacer cet homme dans son histoire et son environnement, en retraçant son enfance caribéenne dans un pays emblématique. Joseph Laroche est né au Cap haïtien en 1866. Son grand-père était, rien de moins, que le bottier du roi Christophe, auquel Aimé Césaire a consacré sa fameuse pièce de théâtre. J’ai réussi à collecter des éléments sur sa mère, qui l’a élevé seule. Elle faisait du négoce de café, de cacao, de canne, et de coton. Elle achetait la production des paysans haïtiens, la conditionnait, et la revendait en particulier aux exportateurs français et allemands. A 15 ans, Joseph Laroche est envoyé en France pour finir sa scolarité. Il fera ensuite des études d’ingénieur, avant de décrocher un premier emploi chez Nord-Sud. C’était l’une des sociétés privées qui construisait et exploitait à l’époque le métro parisien. Laroche s’est vu confier par exemple le tracé de l’actuelle ligne 12, qui relie la Porte de la Chapelle à la Porte de Versailles. Toutes ces petites infos mises bout à bout m’ont aidé à construire la trame du livre. Je suis parvenu ainsi à reconstituer le parcours atypique de cet homme. Après, pour le reste, ça a été un travail d’écriture pour combler les vides en se mettant dans la peau du personnage et en se replaçant dans les mœurs de l’époque.

Vous avez choisi de publier que des essais. Pourquoi ?

Parce que c’est ce que je sais faire de mieux. Je n’ai pas le talent d’un romancier qui est capable d’inventer une histoire de A à Z. Mais j’ai la passion du fait historique et des personnages hors du commun. Ça me vient de mon enfance passée à Abidjan. Quand j’étais enfant, je me passionnais pour une femme qu’on appelait la reine Pokou. C’était la fondatrice de la Côte d’ivoire. Au xiv e siècle, elle avait fui son pays, le Ghana pour échapper à la persécution, sur fond de rivalités dans la succession au trône. Avec ses partisans, elle a pris le chemin de l’exil. Mais le petit groupe était pourchassé par les soldats du nouveau roi. Il parvint à les distancer avant d’être bloqué par un fleuve infranchissable. Les génies demandèrent alors à la reine Pokou de sacrifier son seul fils, en le jetant dans le fleuve. Elle accepta, la mort dans l’âme, et la troupe put traverser jusqu’en Côte d’Ivoire, en marchant sur le dos de dizaines d’hippopotames, qui disparurent aussitôt après. Cette histoire avait la particularité de me troubler, parce qu’elle ressemblait, en bien des points, à l’épopée de Moïse et des Hébreux. C’est de là qu’est né mon intérêt pour l’Histoire.

Vous avez publié une photo montage de trois ouvrages, Esclave et bourreau, le seul passager noir du Titanic, Noirs dans les camps Nazis sur votre page Facebook un montage qui n’est pas anodin. Quel lien faîtes vous entre ces trois ouvrages et où situez-vous le passager noir du Titanic?

En fait, c’est la première fois que je vis une telle situation et ça provoque chez moi une réelle excitation. C’est la première fois en effet que je sors deux livres coup sur coup. « Le seul passager noir du Titanic » sort le 11 avril. « Esclave et bourreau » est sorti dans la même semaine le 16 avril. C’est un document inédit autour de l’histoire incroyable mais vraie d’un nègre marron, Mathieu Léveillé, condamné à mort en Martinique en 1733, gracié puis envoyé au Québec comme exécuteur des hautes œuvres. Il s’agit là encore d’une histoire étonnante. Enfin « Noirs dans les camps nazis » est sorti, dans une réédition de poche le 24 mars dernier. C’est mon best-seller sur la déportation des Afro antillais et Africains américains dans les camps de concentration pendant la Deuxième Guerre mondiale. Publié en 2005, il s’était vendu à plus de 100.000 exemplaires. J’ai voulu simplement, à travers ce photo montage, marquer ce triple événement qui n’arrive pas souvent dans la vie d’un auteur. Ces trois livres n’ont à priori rien en commun puisqu’ils se situent à des époques différentes et traitent de thématiques également différentes. Mais, au final, on parle de la même chose. On parle de la condition de l’homme noir dans un monde qui l’a longtemps rejeté et où il peine encore aujourd’hui à trouver toute sa place.

Serge Bilé est journaliste à Martinique 1ère et présentateur du Journal télévisé.

Interview Dominique Lancastre

Secrétaire de rédaction Colette Fournier

CEO Pluton-Magazine

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