Loin de l’exotisme – mot trivial et galvaudé par les clichés de cartes postales – je suis souvent partie loin, sur les traces de ce que Victor Segalen appelait le « divers », donc de « l’autre », donc du « différent », un « différent » fragile, menacé et forcément passionnant.
La république aux îles multiples (plus de 13 000 îles, dont Bornéo, Java, Sumatra, Moluques, Flores, Bali…), compte 36 régions, les Bataks vivant à « Sumatera Utara » (Sumatra Nord). Depuis 1990, le gouvernement indonésien autorise le principe du « Dalihan Ta Tolu », mot Batak qui signifie : autorisation de pratiquer coutumes et traditions chrétiennes et animistes, dans la région. Il accorde même le droit officiel d’en faire la promotion (articles 5 et 8 des Règlements Régionaux).
Le mot « Batak » déjà utilisé au XVIIe siècle – et que certains attribuent à Marco Polo – vient en fait d’un surnom dont les « mahométans » (on ne disait pas musulmans à l’époque) affublèrent ces « bouffeurs de cochon ». Certains restaurants en ont fait leur spécialité et les Bataks tirent une grande fierté de cette « différence » qui les distingue des Jawi et des Malais ; c’est aussi un terme, qui, dans le passé, était associé à « cannibalisme ». On peut encore entendre aujourd’hui, dans la bouche de musulmans : « Batak makan orang » (Batak mangeurs d’hommes) Mais ils ne mangeaient – paraît-il – que leurs ennemis ! Cannibales donc, comme d’autres tribus de Bornéo et plus récemment dit-on, comme les Khmers Rouges du Cambodge qui mangeaient le foie de leurs ennemis pour s’approprier leur courage.
Selon la « théorie de la catastrophe de Toba » (3), cette éruption, que des scientifiques appelèrent « goulot d’étranglement de la population », aurait grandement modifié le cours de l’évolution humaine en faisant disparaître de nombreuses espèces : animaux et hominidés, ne laissant subsister qu’une population résiduelle (des biologistes moléculaires parlent de quelques milliers d’individus seulement) vivant en Afrique Orientale, considérée par les paléontologues – dont Yves Coppens – comme le « Berceau de l’humanité ». Selon glaciologues et volcanologues, l’analyse des éléments génétiques suggèrent que les habitants actuels – en dépit de leur apparente variété – descendraient d’un même petit groupe d’Homo Sapiens. En utilisant les taux moyens de mutations génétiques, ces généticiens ont estimé que ce petit groupe venu d’Afrique Orientale vivait à une période contemporaine de la catastrophe de Toba, il y a environ 75 000, ce qui confirme la thèse de « la théorie de la catastrophe de Toba ». « A partir de cette extinction massive d’êtres vivants : plantes, animaux et hominidés, les derniers rescapés du super volcan Toba auraient rayonné lorsque, bien plus tard, le climat et d’autres facteurs, redevinrent plus favorables. Partant d’Afrique Orientale, ils migrèrent vers l’Indochine et l’Australie et plus tard vers le Moyen Orient. Les différentes couleurs de peau apparurent avec le temps, dues à des niveaux variés de rayons UV. L’Europe se serait ensuite peuplée grâce aux flux migratoires venus d’Asie Centrale, vers la fin de l’âge glaciaire et au fur et à mesure que les conditions climatiques devenaient plus clémentes ». Ces généticiens auraient également noté une unité culturelle humaine au travers de l’analyse des langues et des mythes fondateurs.
Réalité terrible et merveilleuse ! Quant aux mythes fondateurs, on retrouve chez les Bataks, comme chez de nombreuses autres ethnies, la fameuse histoire du déluge.
Voici le récit du « Poisson d’or » ou le déluge vu par les Bataks.
Le « poisson d’or » (ikan mas arsik) est aussi un des plats traditionnels de la cuisine Batak.
On raconte, et tous les Bataks le croient, que le fils sauvé des eaux (sorte de Noé de la Bible) est l’ancêtre de leur tribu.
On ne peut se promener sur le lac Toba sans ressentir ce frisson venu des entrailles de la terre. Sans se souvenir de la colère du ciel provoquant un véritable déluge. Sans garder à l’esprit les conséquences de l’éruption de ce super volcan. Et sans oublier qu’il ne faut jamais trahir un serment.
Pour certains, l’identité n’est qu’une fiction qui se résumerait à un ensemble de valeurs propres à une communauté, mais une identité, ça se construit selon un long processus qui se renforce avec le temps et finit par réunir tout un peuple, en l’aidant à traverser les âges. Et qui sait, en lui garantissant peut-être sa survie.On peut bien tous venir d’une même famille ADN, le besoin de se créer une identité propre est aussi vieille que le monde, depuis ce fameux jour où quelques milliers de rescapés, ayant survécu à l’éruption du Toba et à l’ère glaciaire qui s’ensuivit, se mirent en route pour migrer à travers les continents.
Ne trouve-t-on pas des coutumes identiques à Madagascar, Sumatra et Célèbes concernant le culte des morts par exemple ?
Une identité pour se sentir moins seul sur cette petite planète, ce minuscule point dans l’univers aux limites inconnues.
Le 8 juin 2014, Géologues et géophysiciens australiens et indonésiens se réunissaient et déclaraient que le mont Toba contenait toujours une chambre magmatique dangereuse dont l’activité devait être étudiée en permanence. Ils auraient d’ailleurs remarqué d’étranges odeurs de soufre et une montée anormale des eaux du lac.
Michèle Jullian
Ouvrages consultés :
– (1) Yetty Aritonang, Parlons Batak, l’Harmattan
– (2) Anda Djoeuhana Wiradikarta Le christianisme en Indonésie
– (3) Thèse de la journaliste scientifique Ann Gibbons en 1993, soutenue par Michael Rampino (Université de New York) Stephen Self (Université d’Hawaï) Stanley Ambrose (Université de l’Illinois)
– Patrice Levang, La terre d’en face, Ed l’Orstom
– Achim Sibeth, Les Bataks, un peuple de l’île de Sumatra . Ed. Olizane
– Bulletin des Sciences géographiques, économie publique et voyages
. On a retrouvé, dans la Grande grotte de Niah à Sarawak (Malaisie Orientale), un crâne humain daté de 40 000 ans. C’est également la date des peintures rupestres de la grotte de Maros aux Célèbes. Des migrations possibles car le niveau des mers était plus bas qu’actuellement. Le niveau est remonté il y a 5 ou 6000 ans, pour atteindre la situation actuelle, coupant ces populations du continent asiatique et empêchant d’autres migrations.