MALACCA……Se souvenir du nom de ses ancêtres.

 

 

Le monde est un sublime livre d’histoire.

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Michèle Jullian

 

 

 

 

 

 

12193646_422714154586486_1253509034728009166_nSuis-je une touriste ? La question m’a souvent été posée en Asie, particulièrement en Malaisie et en Indonésie où l’on s’étonne des vagabondages de la voyageuse solitaire que je suis.  Pour la majorité des asiatiques, il n’y a de déplacements que pour le travail ou les loisirs. Business or Holiday. Je réponds que je parcours le monde comme on feuillette un sublime livre d’histoire ou de géographie. Pour apprendre et comprendre. Dans les manuels scolaires de mon enfance, il y avait des noms de pays et de capitales – « ces noms magnifiques de villes inconnues » écrivait Joseph Kessel – des noms souvent accompagnés de chiffres, de pourcentages, de graphiques et de courbes, mais ils n’avaient ni les saveurs ni le parfum de la réalité.

 

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La Malaisie est une mosaïque d’ethnies et de religions, où « Bumiputras » (doux euphémisme pour Malais-musulmans), Chinois, Indiens, Orang Asli (aborigènes) et Eurasiens, vivent dans une apparente mais fragile harmonie en raison de la prédominance de l’Islam. D’autres communautés, moins visibles, vivent aussi et depuis longtemps sur cette terre tant de fois occupée. C’est le cas des « Portugais-Malaisiens » et des « Peranakan – Chinois ».

 

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À Malacca, certaines familles portugaises (dixit mon conducteur de cyclo-pousse), s’appellent toujours « Pereira », depuis l’époque où le missionnaire jésuite, Saint François Xavier, venait convertir les comptoirs portugais de Goa, de Makassar et de Malacca. C’était en 1545. Une église, la plus ancienne de la ville, et appelée St Paul’s church, atteste de son passage. Ces descendants de navigateurs et de conquérants vivent aujourd’hui dans une concession non loin de la mer, une mer chaque jour un peu plus conquise par le béton des promoteurs immobiliers venus de Singapour et de Chine. Ces Portugais, pêcheurs ou conducteurs de cyclo-pousse, sont fiers de leur culture. « Nous n’avons plus de famille au Portugal », me dit l’un d’entre eux, « nous avons été assimilés et sommes portugais-malaisiens, notre identité et notre religion sont notre héritage culturel ». Avec les siècles, ils se sont métissés et leurs visages se sont asiatisés, mais ils restent fiers de leurs origines. Beaucoup se souviennent du nom de leurs ancêtres et sont capables de les citer, en remontant plusieurs générations.

 

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Il y a quelques mois, de passage à Penang, je découvrais une cuisine appelée « Baba Nyonya » ou « Peranakan ». De jolis mots dont je cherchai aussitôt l’origine. Des mots qui m’apparurent plus tard, à Malacca, sur les devantures des musées, inscrits çà et là sur les vitrines de restaurants ou d’échoppes de vraies ou fausses antiquités…

 

Je commençais mes recherches.

 

 

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Remontons le temps….

 

Durant l’occupation portugaise, de 1511 à 1641*, Malacca abritait déjà une petite communauté de marchands Chinois, naviguant entre les Moluques, Sulawesi, Java et les autres îles de la Sonde, en quête d’épices qui à l’époque valaient de l’or.  Malacca est un port stratégique, placé au carrefour des routes maritimes reliant l’Océan Indien à la mer de Chine.  Située sur une des mers les plus fréquentées du monde, Malacca fut un abri pour les navires chinois. Les vents contraires ayant entraîné quelques cargaisons par le fond, ces marchands attendaient – souvent pendant plusieurs mois – la fin de la mousson du nord-est, avant de se remettre en route vers la mère patrie, chargés de leur précieuse cargaison.

 

Après les Portugais, chassés violemment par les Hollandais, ce sont les Britanniques qui s’installent en maîtres sur la péninsule Malaise (de 1789 jusqu’à l’indépendance en 1957). Le commerce est florissant durant cette période. Pendant les mois de repos forcés, les riches marchands chinois prennent femmes locales –  Malaises, Javanaises, Sumatraises ou Balinaises –  bien qu’ils aient souvent une épouse légitime en Chine. Ce sont ces inter- mariages qui vont donner naissance à la communauté « Peranakan » et à cette culture appelée plus tard « Baba Nyonya ».

Lorsque ces navigateurs retournaient au pays, leurs épouses restées sur place s’occupaient de leurs enfants qui adoptèrent une sorte de patois fait de dialecte Hokkien-chinois et de Malais.  D’où « Baba Nyonya » (Ba : père en chinois, Nyonya : femme en malais).

 

Ces riches négociants finirent par s’installer à Malacca où ils avaient gagné une réputation de courage et d’intégrité. Les britanniques surent reconnaître l’importance de leur rôle sur la péninsule. Ils étaient si bien intégrés que l’auteur britannique Sir Richard Winstedt, dans son ouvrage Malayan Chinese , écrivait d’eux : « Peranakan are chinese in look but Malay in soul » (Les Peranakan sont chinois d’apparence mais malais dans l’âme), tandis que d’autres accusaient ces « Baba Nyonya » d’être « plus Chinois que les Chinois du continent ».

 

Les riches épouses de ces voyageurs bénéficiaient d’un très haut niveau de vie, comme en attestent aujourd’hui quelques maisons transformées en musées, tandis que leur culture se transmettait de génération en génération.

 

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Dans la seconde partie du 19° et au début du 20° siècle, une nouvelle vague de Chinois fuyant la barbarie de la dynastie Mandchoue débarquait en Malaisie depuis le Fukian et le Guangzhou,. Les « Peranakan » se méfièrent de ces nouveaux arrivants appelés avec mépris « Sinkeh » (« nouveaux chinois »). Ils ne leur accordèrent que très rarement leur fille.

Plus tard, les « Peranakan » devinrent sujets de Sa gracieuse Majesté. On leur accorda des passeports, dont la valeur était davantage symbolique que celle accordée à un réel document de voyage. Loyaux à la couronne britannique, ils aidèrent les Anglais à diriger la communauté chinoise, face aux nombreux problèmes administratifs. Parfaitement éduqués en langue anglaise, les Malais les surnommaient méchamment « bananas » : « jaunes à l’extérieur, blanc à l’intérieur ».

Avec le temps et la modernité, la communauté Peranakan s’est peu à peu dissoute, mais la poignée de descendants qui reste aujourd’hui peut retracer et identifier le nom de ses ancêtres depuis leur arrivée sur la péninsule Malaise. Tout comme le font encore beaucoup de Portugais. Quant à la jeune génération « Baba Nyonya », considérée par les anciens, comme « tak kuasa » (ceux qui s’en fichent) ou « malas » (paresseux), elle est plus intéressée par les derniers jeux électroniques que par la tradition. Ne resteraient plus que 5 à 6000 Peranakan à Malacca, aujourd’hui.

Un jour prochain, tout ce qui a fait la richesse de cette culture si particulière, disparaîtra pour n’être plus qu’une légende. Reste encore la cuisine « Baba Nyonya », une cuisine aux arômes uniques dont les épices sont pilées à la main, et de délicieux desserts appelés « tong sui » (eau sucrée) que l’on trouve toujours le long de Jonker Street, dans l’ancienne ville.

Quant à l’ancien abri qu’était le port de Malacca à l’époque des grands navigateurs et des marchands d’épices, il est inscrit depuis 2008 sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO. Et ce ne sont plus les épices qui font la richesse de la ville, mais le tourisme.

Sous le regard toujours un peu suspicieux des autorités malaises (donc musulmanes) qui considèrent ce patrimoine mondial comme « non Malaisien », car incarnant des valeurs coloniales perpétuées par bars et restaurants de style occidental (où l’on sert de l’alcool) qui ont remplacé les petites entreprises familiales traditionnelles d’antan.

Des pages se tournent… ainsi va le monde…

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L’histoire enseignée aux Malaisiens :

*La flotte portugaise tente de prendre – sans succès – la ville de Malacca en 1509. En 1511, une autre flotte, commandée par Alfonso Albuquerque, prend la ville de Malacca et s’y installe. Les Portugais construisent le fort « Al Famosa », la même année.

Ils ont laissé derrière eux un groupe ethnique unique appelé « Portugais Eurasiens de Malacca », produit d’inter-mariages avec des femmes locales. La communauté réside à présent dans un « settlement », à environ 5 kilomètres du centre-ville.

Ce même type d’inter-mariages, pratiqué par les marchands chinois, a donné naissance aux « Peranakan », devenu plus tard « Baba Nyonya »

Quant aux descendants d’iIndiens métissés, on les appelle « Chitty ». Ils vivent dans le quartier Garah Berang (Little India) au centre de la ville de Malacca.

 

Rédactrice Michèle Jullian

Photos Michèle Jullian tous droits réservés

Copyrights Pluton-Magazine

Secrétariat rédaction Colette Fournier

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1 comments

Des pages se tournent… Ainsi va la vie… Oui, mais heureusement que de tels articles savent raconter l’histoire de ces pages qui se tournent. Merci Michèle.

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