Par Keita Stephenson, Juriste de droit international et européen et lobbyiste et stratégiste.
Issu de recherches et de réflexions sur le problème du racisme, le Black Dolls Project de Mirtho Linguet propose dans sa forme initiale trois séries photographiques (Poupées Noires, Flora, Mental-Cide), sélectionnées parmi les expositions phares du festival DC Fotoweek, à Washington, en novembre prochain. Lors de la présentation de la première série, Poupées Noires, en Guyane, en 2015, le propos universel de ce travail fait écho à la situation de crise identitaire que traversent alors les États-Unis, où émerge le mouvement Black Lives Matter. Développé avec une équipe de collaborateurs (Inceptivo, Focus-L’Art Communique et Association Guyanaise d’Édition) pour l’accompagner à l’international, le Black Dolls Project de Mirtho reçoit, en 2016, l’appui du Ministère de la Culture et de la Collectivité Territoriale de Guyane, pour s’exporter.
Un contexte américain qui fait écho
Le propos et l’esthétique des œuvres suscitent le vif intérêt des interlocuteurs américains et de l’Ambassade de France à Washington. C’est ainsi que l’Anacostia Arts Center accueille Poupées Noires depuis le 18 août 2017 dans sa galerie d’art Vivid, pour une exposition de près de deux mois. Le jour du vernissage, des marches sillonnent Washington et les grandes villes américaines, bouillonnantes une semaine après les émeutes de Charlottesville. Les visiteurs découvrent et immortalisent la phrase introductive de l’exposition : « If you don’t understand white supremacy/racism, everything that you do understand will only confuse you… » de l’auteur Neely Fuller, Jr.
Poumon culturel de l’un des quartiers emblématiques de la capitale américaine, à quelques mètres de la maison – devenue musée – de Frédérick Douglas, le Centre d’Arts Anacostia sera aussi en novembre prochain, l’hôte de l’ensemble des séries du Black Dolls Project, à l’occasion de la DC Fotoweek, pour lequel il a été sélectionné. Festival photographique majeur des États-Unis, DC Fotoweek, avec ses partenaires privilégiés tels que The Washington Post et National Geographic, met en avant les photographes internationaux qui portent un regard singulier sur les grands sujets de société. C’est précisément le regard auquel Black Dolls invite qui a motivé le choix de l’équipe curatoriale du festival.
Une esthétique de l’investigation, au propos universel
Dans le triptyque photographique, Poupées Noires est une série de portraits de femmes, dont les corps, entièrement maquillés « d’un noir plus noir que le noir », sont posés dans des décors du quotidien, présentés sous une lumière qui sublime la dimension tragique de la réalité de ces personnes classifiées comme non blanches. Un monde qui en fait des poupées. La série Flora interroge sur l’imaginaire inculqué et inoculé, façonnant la réalité qui les entoure. Les photographies troublent par la texture des corps, des reliefs, et les couleurs d’un décor naturel et de personnages aux allures oniriques, qui figurent un réel à la frontière de l’imaginaire, une mythologie individuelle plutôt qu’inculquée. Mental-Cide figure la phase terminale, laissant les « poupées » désarticulées, à la fois physiquement et psychiquement. L’individu développe des réactions qui l’amènent à se maltraiter et à maltraiter l’autre. L’esthétique des œuvres frappe par la force des couleurs lumineuses, des portraits troublés et troublants. « L’idée de l’homme noir doit ici disparaître pour inciter à en savoir plus, à interroger plus qu’à divertir plutôt que chercher une certaine reconnaissance. » précise le photographe. L’ensemble propose une « esthétique de l’investigation », qui témoigne de ses préoccupations.
Au-delà de la Négritude, la possibilité de produire de la Justice
Le titre Poupées Noires a été en effet inspiré par le poème Limbé de Léon-Gontran DAMAS. Et l’exposition de novembre prochain s’inscrira ainsi dans un double anniversaire. Le dixième de la création de la Fotoweek et le quarantième du dernier discours public de Léon-Gontran DAMAS, qu’il délivra, quelques semaines avant sa disparition, à l’occasion d’une… exposition sur les poètes de la Négritude, organisée par l’‘Institute for the Preservation and Study of African American Writing’. Comme le précise le manifeste artistique, dans Black Dolls, « la Négritude n’y est pas sublimée mais interrogée pour savoir pourquoi elle a vu le jour ». Face au diagnostic – « le monde est malade » –, il rappelle que « la maladie n’est pas la couleur de la peau » et que la maltraitance d’un individu du fait de la couleur de sa peau est un symptôme du mal. Ce travail invite ainsi à ne pas traiter les symptômes, mais la maladie. L’intention est de laisser le soin aux visiteurs parcourant l’exposition, de se poser la question. « Cette possibilité donne accès à un dépassement de la perception convenue – celle qu’il convient d’avoir – pour faire éclore une perception juste.». Puisque le remède à la folie, c’est l’équilibre. Trouver la capacité de voir juste, de produire de la justice. À cet égard, de la Guyane aux Etats-Unis, et partout dans le monde, ce problème se pose.
Black Dolls Project est exposée durant la Fotoweek du 10 au 19 novembre 2017, à l’Anacostia Arts Center, 1231 Good Hope Rd SE, Washington, DC 20020, USA.
Pluton-Magazine/2017
Propos recueillis par CEO D.LANCASTRE
Secrétaire de rédaction: Colette FOURNIER
Keïta Stephenson a une expérience de plus douze ans dans le conseil en stratégie, le lobbying et la conduite de projets. Juriste de droit international et européen et stratégiste, il a travaillé dans les secteurs public et privé, en Guyane, en France et à l’étranger.