Cuba : la fin des Castro, et après ?

.

.

Par Georges COCKS

 

Le monde s’emballe, les mains se frottent, il y a comme une odeur de cigare cubain qui parfume soudainement le monde et les spéculateurs. Embargo, dictature, révolution, une page se tourne probablement, comme le répètent inlassablement les journaux, une évolution tant attendue, mais qui en profitera ?

Les cubains ne sont pas descendus dans la rue manifester leur joie comme c’était le cas auparavant. L’opposition au régime étant réprimée, ils sont restés chez eux. L’absence d’enthousiasme dénote bien l’indifférence des cubains face à la nomination présidentielle de Miguel Diaz Canel, qui entend bien rester fidèle à la voie de ses prédécesseurs.

 

Cuba, un trésor dans une malle rouillée

 

D’un point de vue économique, on ne voit que la malle avec suffisamment de statistiques pour justifier la rouille : l’exode massif de sa population vers les États-Unis depuis des décennies, la pauvreté, les maisons défraîchies, des voitures qui n’en finissent pas de faire perdurer le passé… La culture capitaliste trouvera tous les défauts du monde pour incriminer lesdits « dictateurs ». Depuis 1962, l’embargo américain n’a pas permis à l’île de s’affirmer et l’a enfoncée dans une crise sans précédent et beaucoup d’autres maux lui sont imputables, mais on ne le dit pas très fort, on voit plutôt le responsable : un régime de rebelles, de révolutionnaires, parce que défendre ses droits et ses convictions ne peut se faire que dans un schéma de pensée uniforme. Mais si l’on regarde dans le petit rétroviseur, le petit pays a été assoiffé et affamé depuis plus de 30 ans, jusqu’à ce que l’on décide d’assouplir les restrictions qui pesaient contre lui en 1998, sous la présidence Clinton, et il a fallu attendre encore 11 ans avant que Barack Obama  décide d’en mettre une nouvelle couche, car l’embargo est l’une des principales causes des difficultés économiques de l’île, que l’on veuille y croire ou pas.

Pourtant, Cuba se révèle être un élève modèle en divers points face à des pays développés. Son parc automobile prouve que notre culture de la consommation est tout simplement stupide, absurde et sans intérêt pour l’environnement. On pourrait ainsi préserver la planète  au lieu d’extraire ses ressources, et recycler à loisir ce qu’on a déjà extrait. Les enfants cubains ont la chance de toucher, de voir et de rouler dans des voitures des années 50, solides comme le roc, et de connaître en même temps l’existence de nouvelles inventions. Il nous faudra nous payer un billet d’avion pour découvrir ce charme et admirer cette ville authentique que convoitent cinéastes et chanteurs, pour ramener un bout de la Havane dans le cœur des passionnés au travers d’une bande vidéo, et des sonorités qui nous font bouger les hanches.

Cuba, malgré ses infrastructures vieillissantes, se révèle aussi l’endroit le plus sûr de la planète en cas d’ouragan (voir notre dossier  Les ouragans de plus en plus destructeurs). Il n’y a presque pas de victimes et les seules recensées sont les imprudents qui ne respectent pas les consignes de sécurité.

Le taux d’alphabétisation est très élevé malgré tout ce que l’on peut reprocher au gouvernement castriste. Depuis 1961, les écoles et les universités sont gratuites pour tous. Selon le Programme des Nations Unies pour le développement  (PNUD), Cuba se situe au 3ème rang mondial avec un taux d’alphabétisation de 99,8 % à ce jour, devant les États-Unis (93,3 %).

L’UNICEF  (Fonds des Nations Unies pour l’enfance) désigne Cuba comme le pays le plus avancé sur les droits des enfants, et seulement devancé par le Canada dans tout l’hémisphère occidental.

Malgré les difficultés d’approvisionnement en fournitures médicales, Cuba dispose d’une couverture sociale universelle. Les services et soins sont disponibles gratuitement et le taux de mortalité infantile est comparable à celui des pays développés. Cuba dispose du plus important centre de biotechnologie au monde.

Le taux de médecin par habitants est le plus élevé du monde. Nombreux sont les étrangers à venir se soigner à Cuba. En 1998, Fidel Castro a reçu la Médaille d’or de la Santé pour Tous de l’Organisation mondiale de la santé.

Margaret Chan, directrice générale de l’OMS de 2007 à 2017 déclarait que : « Cuba est le seul pays qui dispose d’un système de santé étroitement lié à la recherche et au développement en cycle fermé. C’est la voie à suivre, car la santé humaine ne peut s’améliorer que grâce à l’innovation ». Elle pense que le monde doit suivre l’exemple de l’île dans ce domaine et remplacer le modèle curatif, inefficace et plus coûteux, par un système basé sur la prévention, « Nous souhaitons ardemment que tous les habitants de la planète puissent avoir accès à des services médicaux de qualité, comme à Cuba ».

En 2015, Cuba devient le premier pays au monde à éliminer la transmission du VIH et de la syphilis de la mère à l’enfant.

Si Cuba est réputé pour son cigare, son agriculture est la plus saine et respecte l’environnement. Le sol cubain est resté à l’abri de de l’agriculture intensive qui requiert l’utilisation de pesticides pour favoriser son rendement. Sa biodiversité est ainsi préservée,  sa faune et sa flore se développent dans un cadre paradisiaque hors de toute la pollution qui touche les grands pays industrialisés. Le tourisme régulé par l’imposition de l’embargo a su préserver cet environnement au décor édénique. Seule sa position géographique reste un handicap majeur pour la culture, car l’île se trouve sur la trajectoire des ouragans qui la ravagent et laissent un chaos dont certains habitants ont du mal à se relever.

 

Et après ?

 

Les cubains restent prudents quant à une envolée sociale équitable pour tous malgré tous ces avantages. Après un tel retard économique, la crainte est palpable à tous les niveaux. S’ouvrir oui, mais à quel prix ? Manger chaque jour est la priorité de nombreuses familles, la débrouillardise apporte un peu de pain pour les plus démunis. Il y a beaucoup à faire et les investisseurs espèrent rapidement apporter une réponse pour pallier les infrastructures manquantes, mais n’y aurait-il pas un accroissement de la pauvreté et des laissés-pour-compte ? Les infrastructures hôtelières, les transports… sont à prévoir. Le flux incessant de visiteurs entraînera fortement un impact sur l’environnement et le mode de vie des habitants. L’introduction massive d’enseignes du type fast-food pas cher viendra remédier à la pauvreté, mais cette nourriture malsaine risque de faire apparaître des troubles de santé jusqu’alors inexistants, notamment l’obésité chez les adultes comme chez les enfants, au risque que cette habitude d’alimentation ne devienne le repas quotidien le plus facile pour des millions de personnes aux faibles revenus.

Les règles de standardisation et les modèles micro et macro-économiques qui seront imposés risquent bien de faire reculer de nombreux acquis. L’arrivée d’étrangers ayant des capitaux creusera des inégalités indéniables encore plus profondes. Certes, il faudra avancer, rattraper le retard, mais pas n’importe comment. Cuba pourrait bien devenir un fleuron des nouvelles technologies, des énergies renouvelables, de la gestion optimale des déchets, d’un éco-tourisme intelligent… pour conserver son âme immortelle, devenue l’ennemi du temps. Voilà ce que mérite ce nouvel Eldorado, mais dans la malle rouillée le trésor fait des envieux et les pirates peu scrupuleux ne se priveront pas pour piller les richesses de cette île de la Caraïbe.  Combien de temps le Cuba authentique va-t-il encore nous faire rêver ?

 

Cocks Georges

Auteur de plusieurs romans et recueils de poésies

Secrétariat de rédaction : Colette Fournier

© PLUTON MAGAZINE 2018

 

Sources :

  • OMS (source en anglais uniquement)
  • UNICEF
  • PNUD

 

Laisser un commentaire

*