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Le 19 mai dernier, au Trinity College de l’université de Cambridge, eut lieu le vernissage de l’exposition « Wifredo Lam : Livres d’artiste ». Le site de l’exposition, que l’on peut visiter jusqu’au 14 juin, est la magnifique bibliothèque conçue par l’architecte Christopher Wren, à qui on doit aussi la cathédrale Saint-Paul, à Londres. Par une journée ensoleillée les étudiants manœuvraient des bateaux à la perche (appelés « punts ») sur la rivière Cam, tandis que les amateurs d’art se délectaient à l’intérieur.
La bibliothèque Wren possède aujourd’hui la plus grande collection présente en Grande-Bretagne de la collaboration de Wifredo avec des écrivains ayant évolué dans le sillage des surréalistes : Artaud, Char, Césaire, et le poète d’origine roumaine Ghérasim Luca. Les livres d’artistes exposés sont un don fait par un ancien élève de Trinity, Nicholas Kessler (1937-2018). Les pères spirituels de l’exposition sont Jean Khalfa – « Fellow » de Trinity – et Nicolas Bell, le nouveau bibliothécaire de la « Wren ».
Sur le plan artistique, le livre qui a attiré le maximum d’attention est Apostroph’ Apocalypse, une collaboration entre Lam et Luca, immense livre à la typographie extraordinaire, contenant 14 eaux-fortes avec aquatinte de Lam.
La Fondation Wifredo Lam possède de précieux documents sur la collaboration de l’artiste cubain avec le poète martiniquais Aimé Césaire. Eskil Lam, qui gère ce patrimoine, en a prêté plusieurs. Ils permettent de suivre les étapes de cette amitié fervente et créatrice qui a duré de 1941 à 1982, l’année de la mort de Wifredo.
On sait que « ce poème de nos révoltes, de nos espoirs, de notre ferveur », offert à Wifredo en mai 1941, a abouti à une édition cubaine. Le projet d’édition de Retorno al país natal a été réalisé au mois de janvier 1943, grâce au concours de trois créateurs de renom. Lydia Cabrera a assuré la traduction du texte du « Cahier » paru pour la première fois en 1939 dans la revue Volontés. Benjamin Péret a contribué par une préface fulgurante qui proclame Aimé Césaire « le seul grand poète de langue française qui soit apparu depuis vingt ans ». Et de Wifredo Lam, surtout, dont les illustrations représentent la première interprétation connue du long poème de Césaire.
L’édition de La Havane a représenté la rencontre de la négritude césairienne avec la poésie nègre cubaine, soit une ouverture vers le monde caribéen, alors déchiré par la seconde guerre mondiale. Aimé Césaire a répondu à la fin des hostilités par « Wifredo Lam et les Antilles », où il présente le peintre afro-chinois sous le signe de la liberté : « Wifredo Lam, le premier aux Antilles, a su saluer la Liberté. Et c’est libre, libre de tout esthétisme, de tout réalisme, libre de tout souci documentaire que Wifredo Lam tient, magnifique, le grand rendez-vous terrible : avec la forêt, le marais, le monstre, la nuit, le vent, les graines volantes, la pluie, la liane, l’épiphyte, le serpent, la peur, le bond, la vie »[1].
Le programme du vernissage comprenait une lecture bilingue par James Arnold et Véronique Samson de trois poèmes que Césaire avait dédicacés à son ami Wifredo. Les deux poèmes du recueil moi, laminaire… (1982), « Insolites bâtisseurs » et « Nouvelle bonté », commentent les eaux-fortes avec aquatinte réalisées par Lam dans le studio Grafica Uno de Giorgio Upiglio, à Milan, pour le grand portfolio « Annonciation ». Le troisième était le poème manuscrit « Simouns » qui a paru dans Poésie, Théâtre, Essais et Discours chez CNRS-Éditions, en 2014. Il date des débuts de l’amitié d’Aimé et Wifredo.
La traduction lue en anglais devant le public du vernissage a été réalisée par nous-même avec le concours de J. Khalfa. Elle fait ressortir la différence d’inspiration de la version remaniée pour la collection « Les Armes miraculeuses », en 1946, sous le titre Les Oubliettes de la mer et du déluge», traduite en 1983 par C. Eshleman et A. Smith. Entre autres, l’anaphore « Baguirmi », gommée en 1946, africanise le sujet, qui se termine par « Les premières eaux des crimes de la mer ».
Les professeurs Khalfa et Arnold ont dialogué sur les difficultés que pose le texte de Césaire à son traducteur. Le public a suivi avec la plus grande attention les choix successifs faits par différents traducteurs pour rendre divers passages difficiles, en particulier la conclusion du Cahier d’un retour au pays natal.
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À la fin du programme, le public, comprenant bon nombre de spécialistes, a pu déambuler parmi les eaux-fortes avec aquatintes grand format du portfolio « Annonciation », qui n’a pas déçu.
On peut consulter le lien suivant pour une description en anglais du vernissage de l’exposition : https://trinitycollegelibrarycambridge.wordpress.com/.
Prof.Albert James Arnold
Secrétaire de rédaction: Colette FOURNIER
Pluton-Magazine/2018
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Autres articles du professeur Albert James Arnold:
http://pluton-magazine.com/?s=James+arnold
Footnote:
[1] Les connaisseurs reconnaîtront ici quelques variantes par rapport à la version publiée dans notre édition Poésie, Théâtre, Essais et Discours, publiée en 2014, p. 1411-1412.