Dédé SAINT-PRIX , artiste musicien: une voix de la culture martiniquaise.

 

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Dédé Saint-Prix, de son vrai nom André Saint-Prix, est un chanteur de musique traditionnelle. Sa marque de fabrique, la musique chouval bwa. Une musique qu’il a su mettre avec succès au goût du jour. Il s’agit d’un genre musical typique de la Martinique, à base de percussions, flûte, issu de la campagne et qui accompagne les manèges de chevaux de bois.

 

Par Patricia MASTAIL

 

Né au François, en Martinique, Dédé Saint-Prix a été élevé par sa grand-mère Man Dèdène, car sa mère Yaya devait ramener le pain quotidien. Toute son enfance a été bercée par la musique et en particulier, celle du chouval bwa. Influencé par cette musique, il construit ses propres instruments et travaille les percussions en écoutant les stations radio de la Caraïbe. Il construira son propre style et s’y confortera au fil du temps. Adolescent, il intègre déjà des groupes musicaux, puis des formations prestigieuses du pays, telles que Les Maxy Twenty, la Selecta, Malavoi, Etc.

Multi-instrumentiste, avec un bagage musical étonnant, Dédé Saint-Prix apporte avec maestria sa touche au sein de grandes formations. C’est un meneur d’ambiance, chanteur, percussionniste, flûtiste, saxophoniste.

Il possède cette voix puissante, qui fait la fierté de notre île. L’une des particularités de cet artiste de renom est de chanter avec des onomatopées si originales. Selon Dédé, un langage universel. Il accapare ainsi notre oreille et notre sensibilité. Il s’est beaucoup inspiré de son environnement, de la ruralité, pour imaginer ses textes. Il valorise le patrimoine et l’identité culturelle de la Martinique.

L’artiste utilise dans ses chansons rythmées, où le tambour et la flûte sont bien présents, d’autres influences et styles : charanga, zouk, ragga, kompa, hip hop… Ses plus grands succès ne se comptent plus : Publisité, Antiyez la, Gansté mélé, Ti Manmay, Katchopine, Drikouraman, Man envi wew, Pa gadé pat mile… Son expérience artistique et les nombreuses sollicitations dont il fait l’objet le conduisent à se produire à travers le monde.

Dédé Saint-Prix a, d’abord, mené de front sa carrière d’enseignant et celle de musicien. En 1991, il démissionne de son poste d’instituteur pour se consacrer pleinement à sa carrière d’artiste. Cette passion de la musique, il œuvre aujourd’hui à en assurer la transmission.

 

À l’occasion de son passage en Martinique pour un concert exceptionnel organisé à Fort-de-France, Dédé Saint-Prix, avec son humilité et sa sympathie légendaires, nous accorde cette entrevue.

 

EN RYTHME ET EN CINQ TEMPS

 

LA MUSIQUE : TOUTE UNE VIE

 

 

 

La musique a fait partie entière de votre enfance et a façonné votre parcours ? Comment tout a commencé ?

 

Tout a commencé le jour de ma naissance. Je suis né un mardi gras. Jeune, j’ai une attirance naturelle pour la musique. Je n’ai pas été encouragé par mes parents à une pratique. La musique ne constituait pas un modèle pour la société de l’époque. Cette musique étant ancrée en moi, alors je me suis construit avec.

On a tendance à me classer dans la case chanteur traditionnel. Je me considère plutôt comme un musicien social qui ne donne pas que de la musique, mais aussi du temps, de l’énergie et surtout qui fait la promotion de son île et de sa culture afro-caribéenne.

 

Multi-instrumentiste, vous avez participé à plusieurs groupes.  Quelles expériences, notamment avec les groupes Pakatak et Avan Van ?

 

J’ai effectivement intégré des formations musicales. La plus significative est l’expérience avec le groupe Pakatak, une formation de recherches rythmiques. Cela a été une révolution au plan culturel et patrimonial. Il y a eu aussi cette réappropriation du créole. Du côté vestimentaire, les boubous africains que nous portions rappelaient nos racines afro-caribéennes. Le groupe Pakatak a réconcilié les gens avec leur culture. En ce sens, il a eu un important rôle social. Je n’y suis pas resté longtemps et j’ai créé le groupe Avan-Van. Ce groupe connaît un franc succès en 1982, au restaurant le Piment Vert (Sainte Luce), au trou Caraïbe (Carbet / St Pierre), au Club 971 (Gosier), stades et fêtes patronales.

 

Le style Dédé Saint-Prix. Un style qui fait toute sa différence dans le monde de la musique antillaise, n’est-ce-pas ?

 

Le style Dédé Saint-Prix est une signature vocale. C’est la musique, bien sûr, mais avant tout une manière d’être. Je le dis souvent, le monde est village. Si je veux transmettre, je dois d’abord aimer. C’est aussi veiller à faire preuve de bienveillance et de compassion. Avec la reconnaissance et l’affection, celui qui te fait face, baisse sa garde et se sent accepté avec ses qualités et ses défauts. Et cela est d’autant plus vrai dans la transmission du savoir.

 

 « GRIOT DES ÎLES ET PASSEUR DE MUSIQUE »

 

 

Vos textes ont trait aux scènes rurales, aux faits de société, aux expériences, à l’actualité ? Quels thèmes vous inspirent ?

 

Un grand artiste a un devoir et un rôle culturel à jouer dans la sauvegarde du patrimoine. Les thèmes développés touchent, entre autres, au rôle parents-enfants, aux scènes de vie, aux événements, à l’actualité, au tour des yoles, par exemple… Mes textes reprennent des expressions anciennes, des proverbes… Le créole est magnifique et j’ai très tôt possédé cette manière de parler le créole des grandes personnes.

L’éloignement a permis une prise de conscience rapide. Ma présence a apporté un équilibre à la diaspora. Pour preuve, suite à une intervention dans une école, le témoignage de cette institutrice qui me fait part de l’enthousiasme de ses élèves face au projet et de la rencontre avec un musicien. Les petites antillaises présentes dans la classe y voient un sentiment de fierté et d’appartenance à une culture. Je suis un ambassadeur de la Martinique. Je raconte des choses et donne du sens à ce que je dis.

 

Quelles influences mêlez-vous à votre musique ?

 

Mes influences sont nombreuses. J’ai beaucoup écouté de la musique dans ma jeunesse et sur toutes les stations de la Caraïbe. Pour jouer dans les bals, je me suis inspiré des musiques de Otis Redding, James Brown, Ti-Raoul Grivalliers, Ti-réchaud… Mes influences sont caribéennes et je les tiens de Cuba, Jamaïque, Trinidad, Haïti… J’ai fait la synthèse de tout pour aboutir, dans sa version actuelle, à la musique du chouval bwa. Une musique qui nous ressemble plus. Les Martiniquais doivent apprendre à se défouler sur la musique de leur pays.

 

50 ANS DE CARRIERE

 

 

Vous avez participé à des scènes prestigieuses et à de grands festivals ? Pouvez-vous nous faire partager vos plus beaux temps forts ? Comment vivez-vous cette ouverture internationale ?

 

Je me produis sur de nombreuses scènes locales, nationales et internationales. Ce sont 50 ans de carrière menés aux Antilles-Guyane, en Europe, en Afrique, en Colombie, au Canada, au Brésil, aux États-Unis, avec des scènes prestigieuses à l’Olympia, au Zénith, à Central Park (New York). Les principaux temps forts restent tout de même le concert de SOS Racisme avec Harlem Désir. Nous avons voyagé pour l’occasion dans l’avion du Président du Sénégal. C’est à ce concert que j’ai eu le plus gros trac en raison du nombre de participants et du brouhaha ambiant de la foule. Le Festival del Caribe à Carthagène avec Fanny Auguiac, ancienne Directrice du CMAC (Centre Martiniquais d’Actions Culturelles), reste mémorable. Je n’ai pas hésité à m’élancer de la scène pour un bain de foule. Au lendemain, la presse colombienne me qualifiait de : « El terremoto » (le tremblement de terre).

 

Quelles sont vos belles collaborations musicales ?

 

Parmi mes nombreuses collaborations, celle avec Thierry Pécou en musique contemporaine. Mais l’expérience qui m’a le plus marqué est ma rencontre avec Serge Gainsbourg à l’Hôtel Kléber. En 1990, Joëlle Ursule représente la France à l’Eurovision avec le morceau White and Black de Serge Gainsbourg. Joëlle n’était pas très à l’aise avec le rythme. Elle a demandé au producteur de travailler au tambour ce rythme, avec moi. Serge Gainsbourg a alors demandé à chacun de compléter les blancs qu’il avait laissés au niveau de son texte. Il avait ce souci de bien faire, alors il m’a demandé si je n’étais pas déçu.  Il a fait les arbitrages et nous a fait parvenir la mouture finale. Il m’est apparu comme un homme très sensible (image qu’il ne montrait guère à la télé).

 

Vous vous produisez souvent sur le Bateau Chocolaté ?

 

Je me produis tous les trois mois sur le Bateau Chocolaté à Conflans-Sainte-Honorine. C’est un cocon, un lieu que les gens affectionnent tout particulièrement. Quoi de mieux que d’écouter des rythmes, des contes de chez nous autour d’un menu préparé par un chef antillais. C’est le rêve de mon épouse Anne, que j’ai connue en Martinique, qui devient réalité. C’est son bizness, son bébé ! Issue du monde du tourisme, elle a souhaité reproduire ce type d’expérience en France.

 

TRANSMISSION DU SAVOIR, LA RECHERCHE, UN LEITMOTIV

 

 

Vous coordonnez des actions pédagogiques à destination des jeunes. Qu’en est-il ?

 

Tout est bon à prendre. Il faut chercher à perdre toute notion de temps. Dans le cadre de mon métier, je suis amené à transmettre la musique à des bébés prématurés, à des autistes. J’apporte de la joie, un certain savoir aux hospitalisés, comme à l’hôpital de jour de Toulouse (Villa Ancely). Les sons, les mots sont importants. La langue créole crée de l’identité et de la proximité. Dans la transmission à partir de « an ti zizing » (très peu), on peut arriver à beaucoup de choses. À partir du rythme « tak, pitak, pitak, tak… », on peut travailler pendant un an le développement de la latéralisation et la coordination. On amènera les stagiaires à faire la différence entre le ti bwa du chouval bwa et le ti bwa du bèlè et l’effet miroir qui en découle.

 

 

 

Et les master class ? De quoi s’agit-il ?

 

Mes premières actions pédagogiques concernent des master class de percussions afro-caribéennes animées lors du Festival Musiques Métisses d’Angoulême, le Falun Folkmusic Festival en suède…

J’anime actuellement, à Conflans-Sainte-Honorine, en France, et au Collège du Saint-Esprit, en Martinique, des master class en performance vocale et rythmes corporels. Je permets ainsi à des personnes de se redécouvrir, de se dépasser. Il n’y a pas de limite d’âge, de nombre. Seule la motivation compte.

 

 

Tes voyages et libertés de création ? Quels retours d’expériences internationales dans les universités, les grandes villes ?

 

La transmission du savoir avec les universités et dans les grandes villes de Louisiane, ou à Manchester, est une véritable confrontation. C’est un lien qui se crée. On ne discute pas avec la parole. La parole devient rythme. Il n’y a pas de paliers d’appréciation et on est à contrepied des méthodes pédagogiques traditionnelles. Le cours se fait sur la base des vœux des participants. La création s’exprime. Par exemple, en Louisiane, dans cet échange culturel, on se rend compte que les rythmes sont parents. En musique, nous avons des particularités mais surtout des points communs. La cumbia a des similitudes avec le chouval bwa. Ce dernier a juste une nuance, un sursaut de plus.

 

 REGARD SUR LA MUSIQUE D’AUJOURD’HUI

 

 

Quel est votre regard sur l’évolution de la musique antillaise ? La relève est-elle assurée ?

 

La musique antillaise, au niveau production, n’a rien à envier aux pays du monde. Elle rivalise de qualité. Les textes laissent cependant à désirer. Si tu ne sais pas qui tu es, pourquoi es-tu là, et ce que tu as à apporter, cela constitue un problème fondamental. Je trouve regrettable que l’on ne puisse pas entendre suffisamment la musique antillaise à la radio dans nos régions. La programmation dépend d’animateurs qui décident comme ils veulent. En France, Radio France Internationale (RFI) se fait encore l’écho de la musique antillaise. Il faut donner au public ce qui correspond à son âme et la nourriture de son pays. Bob Marley et Eugène Mona ont des textes connus. Il y a un travail de conscientisation de fait. Pourtant, il ne sera jamais donné d’entendre à Cuba ou à Trinidad passer de la musique martiniquaise au détriment de celle de leur pays. La fierté martiniquaise doit s’afficher. La relève est assurée avec les jeunes tanbouyé ou encore ce jenn ti chantè (jeune chanteur) traditionnel de Sainte-Marie. On a toutefois besoin de lieux pour jouer, des ateliers pour permettre aux jeunes et à tout un chacun d’être immergés très tôt dans un bain culturel.

 

Quel serait votre message à un jeune qui se lance en musique ?

 

À un jeune qui se lance dans la musique, je lui dirais de travailler son instrument tous les jours. De ne pas hésiter à jouer en extérieur, dans des lieux choisis, pour faire profiter de son art à tous. La musique transcende, de vraies rencontres peuvent s’opérer.

 

Quels projets d’albums en vue ?

 

J’ai un projet qui me tient à cœur, un single avec une musique sur la thématique du Tour des Yoles, course emblématique d’embarcations traditionnelles, propre à la Martinique. Dans la foulée, la sortie d’un double album avec des morceaux de musique Jazz, musique traditionnelle, caribbean groove, kompa, dance-hall… Mais je n’en dis pas plus et préfère laisser le public le découvrir.

 

Où vous vous projetez-vous dans cinq ans ?

 

Dans cinq ans, je me vois toujours dans la musique et toujours à fond. La musique est une bonne compagne, mais une femme possessive (rires).

 

EN APARTE

 

Qualités : Persévérant, souriant.

Défauts : Impatience, mais j’ai compris…(rires).

Passions : Marche – Collage.

Plat favori : ti nain la morue (banane verte et morue).

Artistes préférés : Khokho René-Corail – Tania Saint-Val – Edmond Evrard Suffrin.

Album qui vous a marqué : Lerdou.

Chanson préférée : Tombé d’amour, de Avan Van.

Evénement marquant : Le tour des Yoles rondes de Martinique.

Citations : Boudé pa pèd (laisser passer son tour, ne pas perdre la partie).

 

 

 

 

Patricia MASTAIL (rédactrice et correspondante permanente Pluton-Magazine/Martinique)

Secréteaire de rédaction: Colette FOURNIER

Pluton-Magazine/2018

Crédit photos Michel Dahyot

 

 

 

DERNIER ALBUM : DRIKOURAMAN

« Ce qui en créole martiniquais signifie sans relâche. Du chouval bwa pur jus, avec des expressions créoles venues d’an tan lontan et ses rythmes tendus qui devraient faire bouger jusqu’aux plus impotents… ». Extrait préface de Jean-Marc Paty

 

DÉCOUVRIR LES CLIPS DE DEDE SAINT-PRIX

MAN ENVI WEW – Couleur Music Publishing 2016 –  

Lien : https://www.youtube.com/watch?v=Q8jmWR6e_cM

 

PA GADÉ PAT MILÉ

Lien : https://www.youtube.com/watch?v=WMQeobkW_WU

 

 

 

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