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Par Georges COCKS
Ses doigts dansent et font claquer ce clavier noir et blanc au rythme des poèmes chantés derrière cette table d’harmonie que les marteaux frappent inlassablement, comme endiablés par autant de dièses, et le seul bémol, c’est qu’une fois envouté, la dernière note restera comme un refrain dans votre tête, une polyphonie de sirènes qui vous fera sûrement aimer la musique autrement.
Urbain Rinaldo fait chanter la poésie antillaise de sa voix unique, le Brel de la Guadeloupe est un auteur, compositeur, interprète, arrangeur hors pair. Autant de talents réunis au pouvoir de la musique ne sont pas au bout de son petit matin, il met en musique les textes poétiques de certains auteurs comme Max Rippon, Ernest Pépin et Aimé Césaire…
Pluton Magazine rencontre pour vous ce virtuose qui semble n’avoir pas perdu son âme d’enfant ni cette aura angélique qui sublime son être quand il prend possession de la scène.
PM : Comment faites-vous pour arranger en musique un texte que vous n’avez pas écrit ?
La différence qu’il y a entre un texte en prose et un poème, c’est le rythme. Et pour un musicien, c’est un régal de jouer avec ce matériau. C’est le rythme des vers que je mets en musique et surtout pas le sens.
PM : Pourquoi la poésie antillaise vous fascine-t-elle autant dans votre création ?
J’ai quitté la Guadeloupe à 13 ans pour faire des études musicales en Métropole, et depuis je suis resté là-bas. L’éloignement fait peut-être que je suis plus sensible aux images évoquées par les poètes antillais. J’aime travailler sur des poèmes en créole pour faire entendre la beauté de cette langue.
PM : Avez-vous d’autres poètes et artistes français qui vous inspirent ?
Je travaille sur des poètes tels que Victor Hugo, Paul Verlaine, Guillaume Apollinaire, pour eux, j’écris une autre musique qu’il faut venir entendre en concert… J’aime les poèmes qui ont une histoire, dont on connaît les origines, ce qui me permet de faire une petite introduction en concert avant chaque chanson. C’est plus agréable pour le public.
PM : Le piano et le chant ont toujours été votre vocation
Mes parents avaient acheté pour mon frère aîné un petit orgue « Botempi ». Il était doté d’un mini clavier et de petits boutons qui faisaient des accords, un peu comme les accordéons. L’instrument était livré avec une méthode. Toutes les notes de ce clavier étaient numérotées. On pouvait donc, si on savait compter jusqu’à 10, jouer les morceaux en appuyant sur le bon chiffre. Je profitais de l’absence de mon frère pour lui « emprunter » son instrument. Et j’ai eu un coup de foudre pour la musique. Quand j’y repense aujourd’hui, les orgues Botempi avaient un son particulièrement médiocre, ce qui ne m’a pas empêché d’aimer la musique. Ce qui me fascinait, c’était de jouer deux mélodies en même temps. Concernant le chant, j’ai toujours chanté, je me rappelle que mes maîtres disaient à mes parents : « lui, il chantonne tout le temps » ce qui était vrai. J’ai toujours inventé des mélodies, bien avant de devenir musicien. Plus tard, j’ai su comment les noter sur partition mais elles existaient déjà.
PM : Quelle est votre plus grande difficulté aujourd’hui ?
Le plus difficile pour moi, c’est de faire connaître mon travail et d’apprendre à se vendre. N’ayant pas d’agent, je fais tout moi-même et ce n’est pas évident quand on n’est pas un commercial dans l’âme.
PM : Qui est Urbain Rinaldo en dehors de la scène ?
Je suis à 85 % de mon temps un professeur de piano qui essaye d’enseigner le mieux possible cet instrument que j’aime tant aux élèves. J’aime le théâtre, avec une petite particularité, j’aime « écouter » le théâtre. J’ai une collection de disques vinyle de l’époque où on enregistrait en audio des pièces à succès. J’ai un exemplaire de l’Ecole des femmes, de Molière, avec Louis Jouvet. Une merveille que j’écoute régulièrement. Lorenzaccio et Richard II, avec Gérard Philippe, Phèdre, avec Marie Bell. Des Guitry et bien d’autres… Des comédiens d’une autre époque. J’écoute le théâtre comme d’autres écoutent la musique. J’aime les comédiens qui se servent de leur voix comme les musiciens utilisent leur instrument.
PM : La tribu d’Urbain débarque à la Buissonière le 30 juin, qu’est-ce qu’il y aura d’exceptionnel ?
C’est le concert des retrouvailles avec la tribu d’origine. En effet, les deux musiciennes qui m’accompagnent ont quitté Paris pour Avignon pour l’une, et Nice pour l’autre. J’étais dans l’obligation de prendre d’autres instrumentistes. Je vais pouvoir rejouer les titres de mon dernier album « Paroles à chuchoter » avec les musiciennes pour lesquelles j’ai composé les arrangements. Nous avons une telle complicité entre nous que cela se sent sur scène. C’est toujours un grand bonheur de jouer avec elles. J’ai hâte !
PM : Quel est votre projet le plus fou ?
Actuellement, je travaille sur le recueil d’un poète pour lequel j’ai une admiration sans bornes et je voudrais mettre toute son œuvre en musique.
PM : Si Urbain Rinaldo avait le pouvoir de changer quelque chose à notre monde actuel que changeriez-vous ?
Le poids de la religion sur le monde. Je trouve que cela fait beaucoup de morts à travers les siècles pour des croyances…
Nous ne saurions assez remercier Urbain Rinaldo d’exporter la voix des Antilles sous les lumières feutrées des salles françaises à l’heure où la lune amoureuse parle bas à l’oreille des cocotiers penchés.
Urbain peut compter sur une longue pléiade d’auteurs pour lui permettre d’exprimer son récital poétique et le pousser loin dans la nuit. Le répertoire guadeloupéen est très riche, les œuvres ne manquent pas, il a bien l’embarras du choix et toute une vie devant lui, tant qu’il saura jouer cette chanson des vieux amants qu’il chuchote et qui vient nous mouiller comme une vague à l’âme un dimanche de novembre dans notre petit cahier bleu.
Rédacteur Cocks Georges
Secrétariat de rédaction Colette Fournier
©Pluton-Magazine/2018
Crédits photos : Urbain Rinaldo avec l’aimable autorisation de KaféFoto
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