« Les Grands Crus Musicaux » en sauternais, des rencontres d’excellence depuis 2003

 

 

Par Jean-louis LORENZO

Au violoncelle, Henri Demarquette «  Plus que jamais le fer de lance du violoncelle français » (Marc Laforêt) y va de ses coups d’archet qui scotchent les regards des premières rangées qu’ils  ne laissent pas indifférent, « car ils réveillent l’inconscient de la musique », comme l’écrit joliment O. Bellamy dans Le Monde de la Musique.

 

Quel dilemme ce soir-là, on peut aimer le football mais en même temps la musique classique et c’est précisément le même jour et à la même heure que la demi-finale de la coupe du monde entre la France et la Belgique que le concert est programmé ! Mais vu le nombre de spectateurs qui se pressent sous les murailles de Château d’Yquem, avant de prendre place dans la cour carrée, le choix à l’évidence a été fait. Néanmoins, il y a toujours le coup d’œil furtif possible sur le portable, à propos duquel Marc Laforêt, sur scène, rappelle la nécessité de l’éteindre, avant de se rétracter avec un brin d’espièglerie : « Mais je compte sur vous, pour nous donner le score ! » Il ajoute que l’on pourrait associer quand même ce soir Rouget de l’Isle au répertoire. Éclats de rire, le ton est donné, les deux artistes enchaînent avec Brahms, Scherzo de la sonate FAE, Sonate N°1 en mi mineur, opus 38. Jean-Frédéric Neuburger est au piano, « compositeur aux dons exceptionnels » (Marc Laforêt), il joue régulièrement sur les plus grandes scènes internationales, donne fréquemment des récitals, d’orgue aussi, en Europe et aux États-Unis. Ce professeur au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris a enregistré plusieurs disques dont deux consacrés à Chopin pour le label DiscAuvers et une intégrale des sonates de Brahms. On peut aussi ajouter ce disque live enregistré à la Cité de la Musique avec des œuvres de Liszt, Barraqué, Debussy et de sa propre composition.

Henri Demarquette

Des coups d’archet qui « réveillent la musique » 

L’auditoire se régale ensuite de l’Adagietto de la symphonie n° 5 de Mahler, que Visconti, cela dit au passage, a contribué à porter à l’oreille du grand public dans son film demeuré célèbre Mort à Venise. Au violoncelle, Henri Demarquette «  Plus que jamais le fer de lance du violoncelle français » (Marc Laforêt) y va de ses coups d’archet qui scotchent les regards des premières rangées qu’ils  ne laissent pas indifférent, « car ils réveillent l’inconscient de la musique », comme l’écrit joliment O. Bellamy dans Le Monde de la Musique. Lui aussi fait le déplacement dans de nombreuses capitales avec les plus grands orchestres français ou étrangers, ou bien en compagnie de ses partenaires pianistes privilégiés, parmi lesquels, bien sûr, Jean-Frédéric Neuburger, ou encore Boris Berezovsky ; il est aussi l’initiateur de « Vocello », une formation originale pour violoncelle et chœur a capella avec l’Ensemble Vocal Sequenza 9.3 que dirige Catherine Simonpietri. Il joue le Vaslin, violoncelle créé en 1725 par Stradivarius et confié par LVMH Moët Hennessy Louis Vuitton.

A gauche Jean Frédéric Neuberger, à droite violoncelle Henri Demarquette

Marc Laforêt, grand interprète de Chopin

C’est lui qui a initié ce festival international de musique classique, en 2003. Cet interprète tout à fait exceptionnel de Frédéric Chopin est un pianiste aux qualités émotionnelles reconnues et dont le jeu est loué pour sa virtuosité que l’étendue d’un large répertoire révèle, de Bach à Ravel, de Mozart à Debussy et à tant d’autres. Jadis guidé et encouragé par le grand Arthur Rubinstein, c’est un artiste mondialement connu dont la discographie est remarquable. Ses engagements récents incluent des récitals à la Folle Journée de Nantes, la Folle Journée de Tokyo, au festival international de la Roque d’Anthéron. Il a eu aussi le grand privilège de donner un récital dans la maison de Frédéric Chopin, place Vendôme, à Paris, le soir même du 150e anniversaire de sa disparition.

Mais le grand voyageur qu’il est devenu n’oublie pas la Gironde de sa jeunesse et, au fond, c’était justice, mais un pari audacieux, que de se risquer un jour à tirer la grande musique vers les chais, pour un cru chaque année exceptionnel.

ENTRETIEN

JLL : Sous un beau ciel étoilé pour la fin du concert, on a vu ce soir à l’œuvre Jean-Frédéric Neuburger et Henri Demarquette, parmi ces quatorze artistes qui se succèdent tout au long de cet été : autant de rencontres d’excellence, l’ovation du public venu nombreux en témoigne – et cela doit vous aller droit au cœur aussi – et aussi de la qualité reconnue de ces virtuoses…

Marc Laforêt : Oh bien sûr, ils sont tous deux des solistes de très, très haut niveau qui mettent leur talent, leur intuition musicale, leurs connaissances musicales au service des œuvres et d’un duo, et c’est ça que je trouve formidable, qu’ils s’effacent en quelque sorte derrière la partition pour former ce duo, c’est magnifique.

JLL : 15 ans ! Il y a 15 ans cette année que vous avez lancé ces Grands Crus Musicaux, vous vous souvenez du coup d’envoi ? parce qu’il y en a eu, depuis, des concerts, des artistes…

ML : Oh que oui ! le déclic a été de pouvoir commencer un projet, pour moi, il me paraissait évident dans ce département que je connais depuis ma jeunesse, que j’ai toujours aimé, que nous avions à portée un écrin exceptionnel par sa diversité, sa beauté, pour créer une manifestation de ce niveau-là et qui puisse réunir trois aspects – et ce n’est pas si simple que cela à rassembler, croyez-moi – c’est-à-dire la musique classique au très haut niveau, le patrimoine et quel patrimoine ! et l’art du grand vin. Il me semble que cette trilogie est quasiment unique dans le sens de sa réalisation, je veux dire que c’est ici même qu’on peut la réaliser au plus haut niveau et je pense, nulle part ailleurs.

JLL : Le premier château, vous l’avez en tête ? Et quelle évolution depuis ?

ML : Trois en réalité dont l’un est toujours notre partenaire, Smith Haut Lafitte, dans les Graves, Château Giscours à Margaux et le Château Canon  à Saint-Emilion. L’évolution ? c’est surtout que le festival a pu se développer, grandir, notamment depuis l’arrivée à nos côtés du Château d’Yquem qui a évidemment donné un prestige, un label de qualité exceptionnel, bénéfique, à notre manifestation. Pour le reste, c’est-à-dire l’esprit, on a essayé de garder le même qui nous anime depuis tout ce temps, même enthousiasme, même esprit d’aimer ce qu’on fait, mais surtout d’être très rigoureux sur la qualité de ce qu’on propose, que ce soient les artistes avant toute chose, les lieux, la beauté du patrimoine, oui, pour répondre à votre question, c’est un changement mais dans la continuité… Mais il y a aussi et surtout l’enrichissement permanent auquel nous tenons, il y a de nouvelles têtes dans ce festival, que j’ai eu envie d’inviter depuis très longtemps, ce que je n’avais pas eu l’occasion de faire jusqu’à présent. Notre critère, c’est d’abord le talent artistique, quels que soient le parcours, l’âge de celui ou celle qui nous rejoint, et voyez, ce mois-ci, il se trouve que les deux tiers des artistes viennent pour la première fois aux Grands Crus Musicaux, sans être forcément des très jeunes mais le choix est immense en matière d’artistes de très haute qualité et donc le plus difficile, c’est de le faire, ce choix, mais on y parvient, oui !

  

Château d’Yquem, un peu d’histoire

C’est à la demande de l’empereur Napoléon III, pour l’exposition universelle de Paris, qu’en 1855, le domaine est élevé au rang de seul et unique premier cru supérieur de la classification établie à sa demande, hommage posthume, ainsi en quelque sorte, à la dame d’Yquem pour le beau travail accompli. Ainsi, avec le petit-fils de Françoise-Joséphine, Romain-Bertrand de Lur Saluces, c’est une possession de famille (famille dont les racines remontent aux croisades) qui est reconnue internationalement. Dès la moitié du XIXe siècle, le domaine va connaître une longue période de prospérité, des visiteurs venant de fort loin pour goûter le déjà célèbre vin. La descendance familiale poursuivra l’exploitation avec notamment le marquis Bertrand de Lur Saluces, homme de caractère qui s’oppose à la chaptalisation pour son vin, en garant de la philosophie d’Yquem, conduisant le domaine de main de maître, le développant à l’international jusqu’à sa mort en 1968, son neveu Alexandre de Lur Saluces lui succède alors.

Au crépuscule du XXe siècle, Château d’Yquem est acquis, sous l’impulsion de Bernard Arnault, par le groupe LVMH Moët Hennessy-Louis Vuitton. Pierre Lurton, issu de l’une des plus grandes familles du vignoble bordelais, en est le président directeur général. (Alexandre de Lur Saluces est aujourd’hui propriétaire du Château de Fargue, il a publié chez Gallimard :  D’Yquem à Fargues. L’excellence d’un vin, l’histoire d’une famille.

Un bond dans le temps, depuis cette année 1453, lorsque Charles VII rattacha la région à la couronne de France, donnant au domaine sa présente nationalité. (Sources et lien : http://yquem.fr/fr-fr/histoire)

Pour en savoir plus sur Les Grands Crus Musicaux : www.grandscrusmusicaux.com

 

 

Reportage Jean-louis LORENZO

Secrétaire de rédaction Colette FOURNIER

Pluton-Magazine/2018

 

 

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