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Par Georges Cocks
Parti de Saint-Malo le 4 novembre dernier toutes voiles au vent, cap sur Pointe-à-Pitre en Guadeloupe, les 123 skippers ont commencé leur marathon sur les ponts, des allées et venues incessantes, seuls au milieu du grand bleu ; même les géants de la mer deviennent tout petits, comme des goélands rasant de près l’eau de leurs pennes. Abandon, casses, avaries et réparations dès les premières 24 h, la route du rhum rappelle qu’il ne faut pas jouer avec l’alcool même avant de l’avoir bu. La mémoire nous rappellera toujours cette petite fille, Manuréva, et son papa Alain Colas, qui regardent passer ces hordes de matelots lancés à l’épreuve de la mer de la force physique et mentale. Cette année, les femmes ont décidé d’en mettre une couche par-dessus le ciré et gare aux hommes, car les 6 sirènes n’ont pas récité leur dernier chant.
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Les guadeloupéens rêvent toujours d’une victoire, mais ce ne sera pas cette année, une fois de plus. Willy Bisssainte, échoué au large de la Bretagne, ne pourra pas repartir et ceux qui sont derrière ne pourront pas faire la différence. C’est François Gabart qui, dès samedi, est pressenti à la première arrivée dans la classe des ultimes avec peut-être un record à battre sauf incidents. Parrainé par la Macif, il était à 1500 km de son objectif. Il pourrait ainsi remporter cette 11e édition et exploser le record détenu par Loïck Peyron en 2014, qui le talonne à portée d’étrave de 7 jours et 15 heures. Gabart est donc attendu entre 16 h et 18 h dimanche 11 novembre (heure locale), mais une bataille se jouera sans doute avec l’ex champion.
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Sécurité
Avec des bateaux encore plus grands et très peu manœuvrables, la sous-préfecture et la Direction de la Mer ont édicté des règles de navigation pour tous ceux qui voudraient partir à la rencontre de ces géants pour les accompagner. Les marins-pêcheurs ne sont pas en reste. Ils ont reçu une préparation et des équipements pour encadrer la sécurité des bateaux en course pour la RDR jusqu’à l’arrivée du dernier concurrent. Les lieux de l’événement sont aussi sécurisés par des patrouilles de la gendarmerie.
La Fiesta
L’esprit de la fête était déjà là même avant l’arrivée de la course. Un plateau artistique de choix est venu s’ajouter au programme alléchant pour assurer l’animation permanente des villages. La mise à disposition de transports gratuits a permis à la population de se déplacer par mer ou par route (navette, bus) sur les différents sites d’animation autour de Pointe-à-Pitre jusqu’à une heure du matin.
Quel que soit le vainqueur, le fairplay des guadeloupéens reste remarquable. Après le tour cycliste international de la Guadeloupe, cet événement rassemble la foule. D’ailleurs, les skippers se demandent s’ils n’ont pas tourné en rond et rallié à nouveau Saint-Malo, tant le lieu fourmille de monde même à l’arrivée des retardataires à des heures tardives ou matinales. Le chant du tambour est là, la chaleur des habitants aussi, sans oublier le sèk, (ti-punch) qui leur assure qu’ils ont bel et bien franchi la ligne d’arrivée sous les tropiques.
Quelle course !
L’arrivée en Guadeloupe n’est pas si facile que cela. La tête têtue – la Tête à l’Anglais – est un drôle de passage où il faut contourner cet ilot rocheux. Ensuite, il faut longer la côte, on peut y perdre des heures, voire être scotchés à l’eau avant de rallier la ligne d’arrivée qui n’est pas si loin que ça, faute de vent. On peut prendre de 5 à 7 heures interminables pour franchir une ligne d’arrivée pourtant très proche. C’est exactement ce schéma qui va se produire. Arrivés en premier en Guadeloupe, Gabart VS Joyon engagent la bataille entre mousse et loup de mer. Vers 21 h 10, Joyon prend la tête tandis que Gabart cherche le vent et reste près des côtes. Il va moins virer quand Gabart finira une manœuvre qui semble lui faire perdre du temps, mais ce dernier revient sur Joyon. Jusque-là, personne ne sait encore qui va gagner. Un mano à mano débute entre les deux hommes. Les bateaux sont côte à côte comme sur la ligne de départ. Joyon traîne encore un filet de pêche accroché dans son safran tribord.
22 h 58 : à moins de 300 mètres de l’arrivée (en mer), on ne sait pas encore. L’immense foule rassemblée au Macte serre les dents. Il y a une dernière manœuvre à effecteur pour rentrer sur cette ligne. Joyon se lance tout d’abord, il y parvient, Gabart prendra plus de temps.
Joyon remporte magistralement cette belle course, pulvérisant le record en 7 jours 14 heures et 47 secondes et efface le record de Peyron de 7 jours et 15 h. Gabart s’octroie la deuxième place bien méritée, car depuis la mi-course, le jeune homme victime de casse a décidé de rester en course et a dominé celle-ci avec un bateau à 80 % de sa capacité. Il l’aurait donc bien méritée, cette victoire !
La dernière victoire jouée dans un mouchoir de poche remonte à la première route de 1978, quand Mike Birch ravit la victoire à Michel Malinovsky. Joyon, quant à lui, s’offre un doublé consécutif.
La fête prend une autre allure ici en Guadeloupe en attendant les autres concurrents. Le temps maussade qui règne depuis deux semaines ne changera pas les choses. Les groupes mythiques Vikings et Aiglons, chouchou des guadeloupéens, ont assuré l’ambiance Kompa d’antan, chargée de souvenirs qu’on ne veut pas oublier. La mer, les hommes et le rhum ; une histoire mitigée mais démystifiée et le progrès et l’effort soutenu de l’industrie navale pour nous offrir des bateaux plus beaux, plus grands, plus rapides, font monter le plaisir extrême pour suivre cette belle régate Saint-Malo/Guadeloupe et l’envie de voir la prochaine. En attendant la Guadeloupe, Karukéra, l’île aux belles eaux, vous offrira de nombreux trésors à visiter, le rhum est sur toutes les tables, il vous suffit de le demander. Attention, on peut vite s’y attacher !
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Suivre la course sur le site officiel de la route du rhum
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Rédacteur Cocks Georges (correspondant permanent en Guadeloupe)
Secrétariat de rédaction Colette Fournier (Lyon)
© Pluton-Magazine/2018/Paris 16eme
Photos Georges Cocks