Capharnaüm : et s’il fallait le faire ?

À l’intérieur d’un tribunal, Zain, un garçon de 12 ans, est présenté devant le juge. À la question :  » Pourquoi attaquez-vous vos parents en justice ? « , Zain lui répond :  » Pour m’avoir donné la vie ! « . Capharnaüm retrace l’incroyable parcours de cet enfant en quête d’identité et qui se rebelle contre la vie qu’on cherche à lui imposer. (Synopsis)

Sorti en salle le 17 octobre dernier, Capharnaüm est un film bouleversant qui vient déterrer la réalité et nous rappeler que certaines coutumes et traditions bouleversent la vie de familles mais aussi de millions d’enfants, comme si la pauvreté ne suffisait pas à elle seule à porter le coup de grâce. Lauréate d’un prix, celui du Jury au Festival de Cannes 2018, l’actrice réalisatrice et scénariste Nadine Labaki, libanaise, connaît très bien ce quotidien, puisqu’elle nous fait accepter l’inacceptable : l’attitude rebelle d’un enfant mûr de 30 ans de plus que son âge. La misère transforme profondément les gens, quel que soit leur âge. Certains se montrent débrouillards tandis que d’autres se laissent engloutir, et les derniers, se croyant plus malins, profitent de la situation précaire des uns et des autres pour les arnaquer.

Mais revenons au débat que pose ce long métrage. Dans ce film, cela pourrait être une réalité tout à fait acceptable : Zain attaque ses parents en justice pour lui avoir donné la vie. C’est loin d’être de l’ingratitude. La réalisatrice met le doigt sur un sujet brûlant. De nombreux parents dans le monde maltraitent ou cautionnent la maltraitance de leurs enfants. Particulièrement dans les pays sous-développés, ces enfants sont des moyens de revenu. Ils sont vendus, loués comme de vulgaires marchandises pour être simplement de petits esclaves des temps modernes. Au lieu de prendre conscience du mal qu’ils rencontrent déjà à les éduquer et à les scolariser, les parents continuent de s’accoupler, diminuant ainsi toute possibilité de mieux s’en sortir. Donner la vie à un enfant, c’est une responsabilité importante pour lui donner ensuite un avenir. Or, l’avenir de ces enfants est de subvenir aux besoins des parents qui ne travaillent pas et du reste de la famille. Les rôles sont inversés.

La dot : un moyen de revenu

Les jeunes filles ne sont pas données en mariage, elles sont vendues. Un enfant d’une dizaine d’années ne peut pas être donné à un homme qui pourrait être son père pour entretenir des relations sexuelles consentantes. Cela est amoral, voire bestial. Ces enfants dont on force le cœur sont détruites à tout jamais. Il leur reste peu de chances de terminer leur scolarité si elles allaient à l‘école, de plus, il y a une forte probabilité qu’elles soient maltraitées par leur mari et souffrent de complications pendant la grossesse. Cette pratique a également des conséquences très lourdes sur la société et alimente les cycles intergénérationnels de pauvreté.
Le jeune Zain, dans ce film, est terriblement attaché à sa sœur qui va être donnée en mariage. La rage au ventre, ne comprenant pas l’attitude irresponsable de ses parents, comme un homme révolté, il va se faire justice. Ce geste commercial du gendre à la belle-famille n’a rien de valorisant pour ces mariages précoces arrangés.

25 millions de mariages d’enfants ont été évités au cours de la dernière décennie, grâce à une accélération des progrès, selon de nouvelles estimations de l’UNICEF. Selon les dernières données, 12 millions de filles seraient mariées pendant leur enfance chaque année dans le monde. D’après les estimations, 650 millions de femmes actuellement en vie ont été mariées pendant leur enfance.

La couleur

N. Labaki veut montrer que la question du racisme est aussi une question liée à l’adulte. Ce sont les adultes qui inculquent le racisme. On ne naît pas raciste, on le devient. Zain s’occupe d’un petit bébé noir dont la mère s’est fait arrêter. Il le protège, il l’appelle son frère, alors qu’il est un fardeau pour lui, car il peut à peine marcher. Lorsqu’on va l’interroger sur le pourquoi son frère est noir, il a la candeur d’esprit de répondre : que sa maman mangeait beaucoup de chocolat. Il ne l’abandonnera pas, comme font les adultes. Ce comportement puéril n’est pas un simple jeu d’acteur, ainsi sont les enfants. Ils sont capables de se comprendre, de jouer ensemble, même en présence de la barrière de la langue. Spontanément ils se rapprochent alors que nous les adultes enlisés dans notre dédain débile, nous toisons, invectivons, sans même savoir pourquoi nous avons ce comportement destructeur de misanthropie.

Et s’il fallait le faire

La situation des enfants dans le monde est critique. Chaque enfant a le droit à une véritable égalité des chances dans la vie, déclare l’UNICEF. Mais un peu partout sur la planète, ils sont nombreux à être prisonniers d’un cycle de pauvreté qui se transmet de génération en génération et qui menace leur avenir, et l’avenir de leur société. Le choix est clair : soit nous investissons pour qu’aucun enfant ne soit laissé pour compte, soit nous subirons les conséquences d’un monde bien plus divisé et injuste.
La bataille pour sauver les enfants est engagée mais il reste beaucoup de chemin à parcourir. Il serait facile de venir et d’imposer des règles et des sanctions arbitraires à tous ceux qui cautionnent la maltraitance sous quelque forme que ce soit, mais la prise de conscience de la gravité et de l’impact sur l’avenir même de leur propre société serait la meilleure option envisageable et pérenne.

Capharnaüm est un film à voir absolument. 4.5 étoiles/5 la notation de Pluton Magazine pour celui-ci, car on ne se divertit pas devant ce film, on a juste envie de crier sa rage. Cela ne devrait pas exister dans une société soi-disant avancée sur le plan technologique, qui ne peut résoudre ses problèmes fondamentaux et existentiels. Pluton Magazine rejoint N. Labaki qui dit que le cinéma n’est pas seulement fait pour divertir mais pour réfléchir, car le monde est un vrai capharnaüm.

Cocks Georges
Secrétariat rédaction Colette Fournier (Lyon)
©Pluton-Magazine/2019/Paris 16eme Sources :

UNICEF
Photographie affiche : nouveau cinéma

Le Prix du Jury est attribué à « Capharnaüm » de Nadine Labaki – Cannes 2018

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