RENCONTRE AVEC LES MAL-AIMÉS DE L’HISTOIRE…

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Par Philippe Estrade. Auteur-conférencier

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Humanités

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NAPOLÉON III, LOUIS XVI, CATHERINE DE MÉDICIS ET BIEN D’AUTRES NE FURENT PAS EPARGNÉS PAR LES HISTORIENS DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE

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Les historiens, surtout ceux du 19e siècle chargés de façonner les manuels scolaires, n’ont pas toujours été tendres avec certains souverains. La Troisième République, qui a généralisé l’école en la rendant obligatoire à la fin du 19e siècle sous l’impulsion de Jules Ferry, a fixé les règles de l’éducation et orienté les programmes, en prenant parfois quelques distances et fantaisies capricieuses avec la tonalité historique. Il fallait  bien des héros et  des patriotes pour préparer l’opinion à la revanche contre l’Allemagne qui venait d’intégrer dans son empire l’Alsace et la Moselle après la déroute française de Sedan en 1870, mais également des boucs émissaires pour éloigner le danger royaliste et les nostalgiques de l’empire tout juste écroulé. Cette république encore fragile après quatre-vingts ans de chaos politique ou de changements permanents, entre la Révolution, la Première République, le Premier Empire, la Restauration, la Deuxième République et le Second Empire, dut être confortée contre des royalistes toujours menaçants, et renforcée avec une autorité d’ailleurs bien peu républicaine, pour durer et s’inscrire dans le temps. Le redoutable Adolphe Thiers qui n’hésita pas une seule seconde à massacrer le peuple révolté de Paris, vingt mille tués ou fusillés, illustre bien cette Troisième République balbutiante mais terriblement répressive. Pourtant cet homme qui a du sang sur les mains, le sang du peuple, est toujours au Panthéon des gens fréquentables. Inscrire la Troisième République dans le marbre pour écarter définitivement un retour des royalistes fut un objectif atteint, puisque des cinq républiques de notre histoire récente, la troisième justement fut à ce jour la plus longue avec soixante-dix ans de présence sur la scène politique, de 1870 à 1940.

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Des mal-aimés et des héros pour flatter le patriotisme et exalter la république naissante

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Bien que leurs faits d’armes fussent pour l’essentiel authentiques, les actes de bravoure des héros de nos livres d’histoire de l’école primaire furent magnifiés de manière souvent exagérée et parfois trompeuse. Vercingétorix devint à la mode à cette époque, Henri IV qui suggéra la poule au pot le dimanche fut par définition « un type bien » et Napoléon 1er sur le pont d’Arcole à la tête de ses grognards incarna le héros de la nation et le patriotisme romanesque. « Napo, c’est du pipo ! Et Arcole, des fariboles. » Daniel Picouly, fort de son humour féroce et de sa plume insolente, l’a délicieusement écrit dans « Nos Histoires de France ». Glorifiée pour avoir incarné la résistance aux anglo-normands, Jeanne d’Arc que nos manuels scolaires ont présentée comme une simple bergère parlait et écrivait admirablement bien le français, dans une syntaxe remarquable et une sémantique diplomatique, religieuse et militaire constatée lors de son procès, grâce à des documents parvenus jusqu’à nous. Bien éduquée, elle n’était donc pas une simple bergère illettrée et isolée dans sa campagne lorraine. Les mystères de l’histoire ont encore de beaux jours devant eux. Dans leur ouvrage « La France, Histoire curieuse et insolite », Pierre Deslais et Rodolphe Ferron évoquent la bravoure de Joseph Bara à la Révolution. Le jeune républicain tué par les Vendéens aurait probablement crié selon une version très soutenue « Va te faire foutre, brigand ! » ou une formule pittoresque de cette nature plutôt que « Vive la République ! ». En lutte d’influence contre les Hébertistes, c’est Robespierre en personne qui s’est inspiré de cette circonstance de l’histoire pour faire dire à Bara « Vive la République » et alimenter ainsi la propagande révolutionnaire. Très présent dans l’imagerie républicaine, cet épisode apparaît dans les manuels scolaires de la Troisième République pour devenir un modèle politique dans l’éducation scolaire. Et puis, comme à l’école primaire, il y eut les mauvais éléments, les cancres de l’histoire révisée, tout au fond de la classe près du radiateur… Louis XVI qui paya au prix fort le mépris d’un peuple délaissé par ses aînés, Louis XIV et Louis XV, Napoléon III qui condamna la Seconde République au profit de l’Empire mais qui impulsa tout de même une vraie politique sociale, ou encore Catherine de Médicis, redoutable femme de pouvoir que l’on présenta hâtivement comme responsable de tous les maux liés aux guerres de religion. De nos jours, les historiens relisent l’histoire de France d’une manière décomplexée et réhabilitent, au moins partiellement mais avec la sagesse du recul, nos fameux mal-aimés.

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REDOUTABLE FEMME DE POUVOIR, CATHERINE DE MÉDICIS FUT UNE REINE-MÈRE DIPLOMATE ET ÉCLAIRÉE

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Après qu’Henri II eut trépassé, accidentellement frappé à l’œil dans un tournoi, son épouse Catherine de Médicis, reine-mère désormais, prit les commandes du royaume. Avec Henri, elle offrit trois rois à la couronne de France dans une fin de 16e siècle agitée par la guerre civile religieuse, et une reine Marguerite de Valois, la brillante et délicieuse reine Margot, l’épouse bien catholique du protestant Henri de Navarre, le futur Henri IV. La crise religieuse divisa la noblesse de France vers 1545 et prit un tournant politique sous le règne d’Henri II. À la disparition de leur père et trop jeunes pour assurer le pouvoir, François II et Charles IX laissèrent leur mère gérer le conflit, qui se transforma à partir de 1562 en véritable guerre civile, entretenue grâce à la dimension féodale du pays et appuyée par l’indépendance des grands seigneurs et des princes provinciaux qui surent alimenter d’un côté ou de l’autre leurs réseaux d’influence respectifs. Désormais puissants et organisés, les Protestants rivalisèrent avec les grands courants d’influence catholique et tentèrent même, en vain, d’enlever le jeune roi Charles IX en visite dans les provinces avec sa mère.  La légende présente Catherine comme une souveraine bilieuse, intraitable pour maintenir son pouvoir et son influence. Régnant d’une main de fer, Catherine comprit cependant qu’il fallait sans perdre de temps mettre en place une tolérance religieuse qui manifestement déplut au camp des Guise, farouchement attaché au grand parti catholique. La dimension géopolitique intervint à son tour par les manœuvres des nations voisines, ravies de nourrir le foyer d’émeutes et ainsi d’affaiblir le royaume de France.

Catherine de Médicis

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La Saint-Barthélemy ouvre la voie à près de trente ans d’instabilité politique

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De l’incontournable Saint-Barthélemy de nos livres d’histoire, en 1572, jusqu’à l’édit de Nantes, imposé en 1598 par le roi Henri IV, la France offrit le spectacle d’un chaos politique et économique sans précédent avec une succession de guerres de religions. Le 18 août 1572, tous les grands seigneurs et nobles du camp protestant furent réunis à Paris pour le mariage d’Henri de Navarre, futur Henri IV, avec Marguerite de France, la sœur du roi Charles IX. Deux jours plus tard, l’amiral de Coligny, notable chef protestant, échappa de justesse à un attentat, ce qui naturellement choqua toute la noblesse protestante toujours présente à Paris. A priori totalement étrangère à cette opération, mais tout de même inquiète pour sa sécurité, Catherine de Médicis parvint à convaincre son fils Charles IX de faire assassiner tous les chefs protestants menaçant l’autorité royale présents dans la capitale, sauf les princes de sang royal comme Henri de Navarre. L’opération se déroula le 24 août 1572, la nuit de la fameuse Saint-Barthélemy. Pourtant, et c’est tout le pragmatisme de la Reine-Mère, elle fit adopter dix ans plus tôt, en 1562, un édit qui tînt quelques années en fixant la liberté religieuse du culte protestant, une révolution pour l’époque, guère appréciée du camp catholique. Aujourd’hui, la tendance réhabilite Catherine considérée comme une grande diplomate et une exceptionnelle servante de la nation dans une période troublée, délicate et fort complexe. Car c’est bien elle qui instaura la liberté de culte sans pouvoir parvenir cependant à empêcher les hostilités avec les huguenots, au demeurant toujours plus exigeants. Éclairée, elle protégea aussi les hommes de lettres comme Montaigne et Ronsard. Le drame de Catherine de Médicis fut d’avoir gouverné avec l’exigence de l’autorité dans une période fortement perturbée et difficilement maîtrisable. Elle sut avec habileté et pragmatisme mêler la fermeté que la situation désespérée du pays exigeait, avec une forme de virtuosité diplomatique et clairvoyante plutôt surprenante…

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NAPOLÉON III : DÉSORMAIS, LES HISTORIENS RÉHABILITENT LENTEMENT CELUI QUI ENTERRA LA SECONDE RÉPUBLIQUE MAIS QUI FIT ENTRER LA FRANCE DANS LA MODERNITÉ

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Napoléon III

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La réhabilitation du Second Empire est désormais irréversible, bien que lente, progressive et prudente. Les livres d’histoire de notre école laïque, républicaine, et obligatoire pour tous, fixa l’objectif d’instruire les jeunes gens mais surtout de louer une nouvelle fois les vertus de la Troisième République fragile et ainsi d’écarter définitivement les nostalgies royalistes ou napoléoniennes. Louis-Napoléon Bonaparte, premier et unique président de la Deuxième République en fit donc les frais, lui qui enterra la république nouvelle par son coup d’État du 2 décembre 1851 au profit du Second Empire, cependant plébiscité par le peuple.

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La redoutable plume de Victor Hugo n’épargna pas Napoléon III

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Depuis son exil de Guernesey, outre-Manche, Victor Hugo, le grand homme, l’humaniste, n’a pas manqué de porter des coups terribles, par la plume et non l’épée, à Napoléon III, nouvel empereur des français. Plus forte qu’une simple opposition politique à distance, Victor Hugo voua une haine intransigeante au nouveau souverain par des moqueries littéraires accablantes et peu flatteuses, après l’avoir pourtant  activement soutenu dans les années républicaines. Il le qualifia de « Naboléon », de « nain  tout-puissant »  de « chacal à sang froid » ou « d’escroc du scrutin ». Si l’enterrement en première classe de la Deuxième République au profit de l’empire, suivi d’une dizaine d’années où les libertés furent sensiblement réduites,  aurait pu expliquer la rude persécution qu’orchestra Victor Hugo, l’acharnement et l’entêtement ne se justifiait plus dans la seconde moitié du règne de Napoléon III. Hugo était aussi un intraitable entêté, peut-être furieux de ne pas avoir été nommé ministre… C’est précisément ces années sociales et de modernité de l’empereur qui orientent la réhabilitation du Second Empire, qui s’écroula par ailleurs à l’issue de la guerre perdue à Sedan contre les allemands en 1870.

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Le développement économique et la puissance française au crédit de l’empereur

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Après le musèlement de l’opposition les premières années, le régime prit définitivement une orientation libérale avec l’indépendance de la presse et le droit de réunion définitivement rétablis. Paris fut transformé grâce au célèbre baron Haussmann, le réseau de chemin de fer s’étendit sensiblement, une politique de grands travaux  impulsa le pays, avec l’assèchement de la Sologne et des Landes totalement reboisées. Les grandes villes, Paris au premier rang, mais aussi Lyon,  Marseille ou Bordeaux se dotèrent de grands boulevards et les réseaux d’assainissement et d’évacuation des eaux se généralisèrent avec le raccordement des immeubles aux égouts collectifs. Parmi les legs de Napoléon III figurent aussi les halles de Baltard, le nouveau Paris d’Haussmann, bien sûr, l’opéra Garnier et les parcs aménagés dont Vincennes, Boulogne et les Buttes-Chaumont. Le développement économique considérable, la fondation des banques modernes, dont le Crédit Lyonnais, et l’arrivée des grands magasins comme la Samaritaine ou le Printemps marquèrent le paysage économique du pays et placèrent la France comme la grande puissance européenne et mondiale dominatrice. La seconde décennie de l’empire permit à Napoléon III de devenir l’empereur social, cela surprend toujours, et pourtant… Déjà, dès 1852, il finança en partie les cités ouvrières par la confiscation des biens des Orléans et fut plus tard à l’origine du droit de grève et des caisses de retraite. D’ailleurs, il affecta la plus grande partie de ses revenus au financement des hôpitaux, écoles et établissements de secours aux nécessiteux. Des vérités éloignées des clichés scolaires et des caricatures qui justifient aujourd’hui une réhabilitation et un regard nouveau, juste et plus équilibré, sur l’empereur social.

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LOUIS XVI, LE MAL-AIMÉ DES HISTORIENS, A PAYÉ POUR SES PRÉDÉCESSEURS


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L’histoire a régulièrement servi l’idéologie dominante. Réellement humaniste et bien plus démocrate qu’il n’y paraît, Louis XVI n’a pas eu une réputation élogieuse, et pourtant, à y regarder de plus près, il fut beaucoup plus lumineux et sage que ne le dit la chronique républicaine. Louis XVI que les manuels ont présenté parfois comme un « nigaud dépassé par les évènements » fut dépassé, certes, comme probablement l’eurent été n’importe quels souverains dans ce climat imprévisible qui s’accélérait tous les jours. Capet, comme l’a appelé le tribunal révolutionnaire qui l’a expédié à la guillotine le 21 janvier 1793, à l’issue d’un procès orienté et à charge, était pourtant affable, bon de l’avis de tous, plein d’esprit, intelligent mais réservé. Un constat bien éloigné des premiers manuels d’histoire.

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Sa volonté de réforme se heurta souvent à la noblesse

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Cultivé, il parlait couramment l’anglais, lisait la presse anglaise précisément et avait des connaissances encyclopédiques en sciences, en histoire mais surtout en géographie, matière qui fut pour lui une véritable passion. D’ailleurs, quelques jours avant d’être décapité, il s’interrogea sur l’expédition de La Pérouse et demanda si l’on avait des nouvelles du grand aventurier. Louis XVI a payé pour ses prédécesseurs Louis XIV et Louis XV,  pour leur mépris du peuple qui grondait, car il avait faim, et pour l’absence de réformes dans un siècle des Lumières qui éclaira les consciences et contribua au raz-de-marée révolutionnaire. Les grands philosophes et penseurs anticonformistes, avides à juste titre de justice, ont  préparé les esprits  et jeté indirectement les bases de la Révolution. En convoquant les États Généraux pour résoudre les problèmes financiers du pays, le 5 mai 1789, le roi a malgré lui impulsé le courant révolutionnaire qui naissait, marqué par les révoltes du 12 juillet liées au renvoi du populaire Necker, et la prise de la Bastille deux jours plus tard.

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Entre août et novembre 1789, treize siècles de monarchie s’écoulent

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Deux textes majeurs de l’assemblée Constituante, qui naquit le 9 juillet 1789, vont porter un coup fatal à la monarchie qui fut définitivement abolie de facto après que l’assemblée eut proclamé la République trois ans plus tard, le 21 septembre 1792. Les terribles nouvelles s’abattirent sur Louis XVI, d’abord le 4 août 1789 où l’Abolition des privilèges issus de la féodalité vit le jour, puis un an plus tard le 26 août avec le texte majeur de la Révolution, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Ce fut un séisme politique, mais avec la nationalisation des biens du Clergé qui intervint le 2 novembre de la même année, Louis XVI comprit que tout lui échappait et que ce bouleversement à marche forcée, ce raz-de-marée allait tout emporter. Quand Turgot lui proposa une réforme fiscale mieux équilibrée, avant la Révolution, avec l’objectif de plus de justice, en mettant plus à contribution la grande bourgeoisie et le haut clergé, le roi d’abord hostile y adhéra mais se heurta à la noblesse et aux conservatismes. Necker, son ministre aimé du peuple, dont l’épouse géra le fameux hôpital Necker qui existe toujours, avait mis en place des structures sociales pour nourrir les plus pauvres et les accueillir. Rien n’a finalement changé plus de deux siècles plus tard. Louis XVI fut aussi le souverain tolérant qui a aboli dès 1780 la torture et signé l’édit de Versailles accordant l’état civil aux juifs et aux protestants. Si un Bourbon ne méritait pas de monter sur l’échafaud, c’est à l’évidence celui qui fut appelé Louis Capet avant de mourir, emporté par la tornade révolutionnaire.

Prudents mais désormais déterminés, intellectuels et historiens rétablissent donc des vérités, s’écartent des manipulations politiques de la fin du 19e siècle et restaurent avec impartialité, sincérité et équité, comme il se doit, l’image des mal-aimés de nos livres scolaires. Le récit de l’histoire exige toujours du recul, de la prudence et de la sagesse. Il faut que le regard intellectuel porté par des valeurs de bon sens, de justesse et d’impartialité, domine la dimension affective  liée à la lecture immédiate, intéressée et souvent manipulatrice des évènements.

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Philippe Estrade. Auteur-conférencier

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