Pourquoi le travail fait-il mal ?

Par Georges COCKS

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En deux clics, Armande est déjà impatiente de recevoir sa nouvelle commande en ligne. Dominique, lui, vient de pousser la porte de la prestigieuse boutique, c’est un homme comblé, il va enfin porter la montre de ses rêves. Armande et Dominique accomplissent cet acte d’achat grâce à leur salaire. C’est le cas des milliards d’individus qui travaillent aujourd’hui. Ils échangent leur force contre un salaire, et les conditions de travail ne sont pas les mêmes pour tous. Quand bien même ces travailleurs possèdent des droits au travail, des droits sociaux… ces acquis ne leur confèrent pas pour autant des conditions de travail idéales. Ils sont nombreux à souffrir d’un mal particulièrement compliqué, et soigné seulement quand cela devient une obligation pour la survie.

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Pourquoi ?

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Travailler n’a jamais été une contrainte ni un frein pour l’homme. Le mot même de fainéant est sujet à controverse. Est fainéant, selon la société, celui qui n’exécute pas les choses  par comparaison à un autre ou selon le modèle établi. Pourquoi devrait-il en être ainsi ? Pourquoi avoir privé l’homme de faire les choses comme il en a envie et quand il le veut.  Au fil du temps, nous avons privé l’homme de son opus, sa capacité à réfléchir et à proposer, pour le condamner au labor, le travail imposé, exécuté comme un vulgaire humanoïde sans conscience. Ils sont en grand nombre dans cette forme organisée du travail, aujourd’hui, et aussi nombreux à souffrir du mal induit par le travail. Il ne s’agit plus d’une simple douleur, ou d’une fatigue pour laquelle un peu de repos suffirait à redonner de la vigueur. C’est le mal du temps devenu le mal du siècle, un mal vicieux qui transforme profondément le tissu social. Le travail, devenu une valeur économique, a su tromper les humains en confondant leur besoins primaires et secondaires. Dès lors que la confusion était devenue opérante, elle s’est mise à s’autopropager, avec un peu de markéting, à une vitesse fulgurante.

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Le travail objet d’étude

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Le travail fait continuellement l’objet d’études, pourtant personne ne veut tirer les conclusions nécessaires et prendre les mesures radicales qui s’imposent. Stress, burn-out, bore-out, workalcoolism, risques psychosociaux (RPS)… sont autant de souffrances induites pas le travail, qui font leurs lots de victimes quotidiennes.

Rien qu’aux USA, on évalue le coût du stress à plus de 130 milliards de dollars et 1200 décès seulement au cours de l’année 2017. Le professeur en management, psychologie et sociologie, Jeffrey Pfeiffer de Stanford sonne l’alarme. Il y a trop de dégâts, dit-il. Le stress au travail est considéré comme l’une des plus grandes catastrophes mondiales.

Les conséquences sont là, mais au lieu de s’attaquer à la racine du mal, on continue à créer autour de la souffrance des autres, des métiers et des beaux discours pour des travailleurs en mal de vivre. On dispense des formations aux salariés, ce qui peut se traduire comme cela : c’est de ta faute si tu n’arrives pas à gérer et à t’en sortir. Le patron ne serait plus responsable de la santé physique et mentale de son employé.

Les actionnaires sont les chouchous de l’entreprise. Sur les salariés pèse un autre regard. Victimes des agressions verbales de la part des managers épris de résultats, de la mauvaise ambiance des chiffres, ils subissent la compétition malsaine qui instaure un climat de défiance, de jugement et d’arrogance, qui peut atteindre l’image de l’autre. Les relations se détériorent gravement entre collaborateurs, allant parfois jusqu’au conflit physique. Les mots blessent, séparent et divisent.

Dans l’entreprise, comme pour le pilote de l’avion, dès que quelque chose ne va pas, c’est la faute de l’humain. Les stratégies commerciales et les axes de direction ne sont jamais remis en cause, pourtant ce sont bien eux qui sont à la genèse des maux. Ils sont toujours pensés sans s’adapter à l’humain. C’est là qu’intervient le stress. Censé être passager, parce que l’individu se trouve confronté à une nouvelle situation, ce qui est tout à fait normal, il s’enracine, se multiplie jusqu’à échapper à tout contrôle. À ce moment précis il est trop tard, car le début du mal-être reste toujours imperceptible, ou il n’est tout simplement pas pris au sérieux. 

Le désordre psychique du salarié va également contaminer ses relations familiales et amicales. C’est l’effet de la pollution sociale qui n’est pas mesurable et qui entraîne toute la famille dans une souffrance mutuelle. Les entreprises ne mesurent pas l’importance de leurs responsabilités. Pourtant, comme nous le disons, les études sur la souffrance au travail sont légions. Partout dans le monde, elles démontrent bien qu’il y a un problème relativement grave, mais rien n’est fait. Souvent, il existe des avancées sociales dans certains pays qui pourraient être profitables à tous, mais les barrières nationales se dressent rapidement contre toutes les bonnes initiatives, comme si le stress et les RPS portaient la couleur d’un drapeau et étaient applicables à une race définie.

Les instances du personnel et notamment les CHSCT essayent vainement de limiter les dégâts. Le pouvoir syndical est affaibli par le patronat appuyé par le gouvernement. Les lois du travail ressemblent plus à des lois de marché et tendent à protéger de moins en moins les salariés. Dans un contexte économique difficile où peu d’emplois sont proposés, le salarié a peur de perdre son travail et finit par tout accepter, même dans l’illégalité absolue de ses droits. La mode, aujourd’hui, est de se donner bonne conscience en instaurant des journées de ceci ou de cela. Sont ainsi apparues les journées de la qualité de vie au travail, de bien-être au travail… mais les discussions autour de ces forums et tables rondes restent des palabres bien argumentés et les sujets de tension au travail se tendent de plus en plus au lieu de se relâcher.

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Personne n’y échappe

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Cadre, simple employé, directeur… il suffit de ne pas être au sommet de l’organigramme  pour que la souffrance au travail nous guette, chacun d’une certaine façon. Restructuration, déménagement, départ à la retraite, open-space, délocalisation… tous les éléments sont bons et favorables à l’entreprise pour rentabiliser au détriment des conditions du travail. Les mises au placard, les oubliés d’un site, le harcèlement moral, les sédentaires payés à rester chez eux… les cas sont nombreux et les résultats sont les mêmes. Le plus ahurissant, c’est que ce sont souvent les personnes qui ont le sens du travail bien fait qui en souffrent le plus. Elles ont à cœur avant tout de satisfaire la demande de leur client, tandis que l’employeur veut à tout prix faire passer le bizness, même si le client reste encore en panne ou n’est pas satisfait. Les items de calcul d’insatisfaction intègrent un seuil de tolérance qui peut représenter un volume conséquent par rapport à la taille de l’entreprise. Le salarié consciencieux ne voit pas les choses de la même façon. Selon son éducation, il peut avoir du mal à baisser ses valeurs pour contribuer à une richesse déloyale. C’est là que commencent le mal, la souffrance. Toutes les années qu’il passera à résister, petit à petit finissent par l’affaiblir sans qu’il s’en aperçoive. Il est tagué, pointé du doigt comme celui qui ne respecte pas les règles, celui qui plombe les chiffre, l’indésirable du mois et de l’équipe.

Nous restons des humains, pas des supers héros. Ce qui fait notre fragilité est une perle sensible de la vie, nous devons le choyer et non le rudoyer.

Un médecin italien du 18e siècle s’interrogeait déjà. Bernardino Ramazzini disait : Ne sommes-nous pas forcés de convenir que plusieurs arts sont une source de maux pour ceux qui les exercent, et que les malheureux artisans, trouvant les maladies les plus graves là ou ils espéraient puiser le soutien de leur vie et celle de leur famille, meurent en détestant leur ingrate profession ?

La voix des sociologues s’élève sans écho, comme une fumée qui se dissipe mais dont l’odeur rappelle qu’il y avait un feu, et ce feu, la mort, est le comburant du système. N’ayons pas honte de le dire, le travail fourni par toutes ces victimes a une empreinte quelque part : un chiffre, une virgule, une courbe… dans la grande base de l’économie mondiale.

Qui veut bien changer les choses ?

Devenu rare, le travail est devenu aussi un moyen de chantage et de pression au licenciement et au harcèlement. Depuis longtemps, nous sommes entrés dans une nouvelle guerre. On tombe au travail comme sur un champ de bataille. Le rêve de vie est le même pour tout le monde mais le réveil est souvent bien différent et difficile pour beaucoup. Les hommes ont fait du travail un bourreau universel, et de chaque salarié, le responsable de sa situation individuelle. En voulant supprimer la pénibilité, ils ont créé de nouveaux problèmes de santé qu’ils ne veulent pas trop reconnaître.  Alors que nous pouvons nous affranchir du travail au détriment des machines, nous préférons asservir notre semblable, affaiblir la race humaine, la rendre plus vulnérable, pour finir par juger une partie des hommes comme étant des fainéants, de sans-dents, en étirant leur vie sur le Trepalium jusqu’à leurs dernières forces et leur dernier souffle. Par sa structure physique, l’homme a été merveilleusement conçu pour travailler, jouir et être fier de son travail. Le travail est tout simplement contre nature aujourd’hui, voilà pourquoi il est responsable de tant de souffrance inutile. Il serait peut-être mieux de concevoir l’I.A comme une nouvelle opportunité pour offrir la qualité de vie tant nécessaire à tous les humains.

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©Pluton-Magazine/2019/Paris 16eme

Photopraphie : PXhere – libre de droits

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Par Georges COCKS
Ecrivain-poète-Romancier
Rédacteur Pluton-Magazine
Site :
www.cocksgeorges.jimdo.com

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