LA BEAUTÉ EN AFRIQUE

Par Alfred Alain Moutapam

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La notion de beauté en Afrique comme dans le reste du monde est une notion polysémique aux contours variables. Comment donner une définition prescriptive, c’est-à-dire  solide, stricte et scientifique de la beauté avec l’assurance qu’elle fasse l’unanimité ?   D’après le dictionnaire Larousse, est beau tout ce qui suscite un plaisir visuel, auditif, intellectuel, moral, etc.

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Comme on peut donc le constater, cette définition  du beau laisse une large place à la subjectivité. De fait, ce qui est beau pour X est-il nécessairement beau pour Y ? Les canons ou  les standards de beauté en Afrique, par exemple, ne sont pas toujours les mêmes dans le reste du monde. Chaque humain, voire chaque société  produit  ses critères, ses modèles, ses références  dans le domaine du beau.  Une Top Model en Europe  sera-t-elle perçue et appréciée pareillement en Afrique et dans le reste du monde ? La vieille acception scolastique ne dit-elle pas que « Des goûts et des couleurs, il ne faut point en discuter ? » Qui a finalement vocation à dire ce qui est beau et ce qui ne l’est pas ? 

Sans prétendre à l’exhaustivité, nous aborderons cette question sous ses articulations essentielles suivantes : la beauté visuelle, c’est-à-dire physique, corporelle, vestimentaire.

La beauté intérieure, c’est-à-dire spirituelle, celle de l’âme avec des manifestations visibles identifiables. La beauté orale, c’est-à-dire tous les sons qui touchent notre sensibilité, la musique, la poésie, les contes, les chorales, le théâtre et l’art oratoire, etc.

La beauté olfactive, c’est-à-dire les odeurs et les essences aromatiques : les odeurs qui proviennent des  cuisines de différentes régions ou groupes ethniques, les odeurs des essences naturelles.

La beauté esthétique des arts avec les peintures, les sculptures, les masques, les écrits anciens et nouveaux…

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La beauté visuelle en Afrique noire

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Dans la plupart des sociétés humaines, la femme, plus que l’homme, est l’unité de mesure de la beauté. Non pas que les hommes ne soient pas aussi beaux que leurs congénères, mais nos sociétés veulent que lorsqu’on parle de beauté, ce soient les femmes qui l’incarnent prioritairement. Les hommes incarneront en revanche davantage la force et le pouvoir.

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La beauté  africaine de l’antiquité à nos jours

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La beauté africaine descend d’une longue généalogie dont le point de départ se situe exactement dans le continent noir, appelé aujourd’hui Afrique, mais dont l’appellation originale et originelle,  c’est-à-dire celle qu’utilisaient les Africains anciens, j’entends, ici, les Égyptiens de l’antiquité, est kemet, ou kama.  Ce qui veut dire : le pays des Noirs en « Medu Netjer » qui est la langue sacrée des Égyptiens anciens. L’Africain a donc comme ses ancêtres, une apparence physique noire, autrement appelée un phénotype noir. Le terme scientifique pour désigner la femme ou l’homme noir est mélanoderme du fait de la grande quantité de mélanine qui leur octroie cette couleur aux fins de les protéger contre le soleil, et bien plus encore. Les historiens objectifs, qu’ils soient Européens, Africains  ou les savants grecs de l’antiquité nous enseignent que : l’Égypte antique dont on vante tant le génie aujourd’hui  était essentiellement peuplée de noirs.  Les femmes ayant une peau  claire ou blanche comme c’est le cas en Afrique du Nord sont le produit des migrations successives et du métissage par elles engendrées.

Le beau entendu comme notion physique et visuelle se manifeste donc chez  l’Africain et singulièrement chez la femme africaine au travers de son faciès comme partout ailleurs dans le monde mais aussi de ses formes qui contrairement en Occident ne doivent pas être trop minces. Ceci ne veut pas dire que ce sont les femmes ayant une corpulence très généreuse qui constituent le modèle de beauté en Afrique. C’est un juste équilibre entre les 2. L’accoutrement de la femme comme de l’homme africain participe également de son originalité et de sa beauté. Force est de constater que le modèle vestimentaire africain fait de pagnes, de tissus colorés, de boubous, de chéchias, marque la différence avec d’autres peuples du monde. Un célèbre proverbe de nos villages ne dit-il pas que : « l’habit est le premier gris-gris ? »  C’est dire combien l’aspect physique extérieur peut influencer les rapports humains au quotidien. 

La beauté visuelle africaine se manifeste également au niveau des paysages naturels avec de vierges forêts millénaires, des fleuves gigantesques, des rivières et autres paysages  d’une exceptionnelle beauté. Quant à l’architecture traditionnelle africaine, peu connue dans le monde, elle laisse transparaître le beau et le génie des ingénieurs et architectes africains d’autrefois. C’est  précisément l’hypothèse des pyramides de l’Égypte antique, du Soudan, etc., Le talent,  le génie exceptionnel de leurs bâtisseurs est resté inégalé jusqu’à nos jours. Dans le même ordre d’idées, on ne saurait ignorer toutes les belles réalisations architecturales du pays Dogon, de la merveilleuse cité de Tombouctou, etc., qui par leur exceptionnelle originalité et beauté, font partie du  patrimoine mondial de l’humanité protégé par l’Unesco.  Au total, la vraie beauté africaine, qui donne la considération et le respect dans toutes les couches de la société, est celle qui allie la beauté physique à la beauté intérieure.

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La beauté intérieure

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Comme la beauté physique, celle dite intérieure  peut être aussi diversement appréciée. Toutefois, les qualités de générosité, d’humilité, d’empathie, la capacité à aimer son prochain,  d’être au service des autres, en commençant par les siens  sont  les critères qui déterminent qui est véritablement une belle personne et qui ne l’est pas.  La considération d’un être humain au sein de son espace social, j’allais dire, de la cité, dépendra non seulement de sa beauté physique et autres apparats  mais aussi et surtout de sa beauté intérieure. Cette dimension non visible par les yeux physiques mais par ceux de l’esprit, va apporter davantage de lumière, de grâce, de beauté et de considération pour ladite  personne au sein de sa communauté et au-delà. N’est-il pas vrai que les lumières qui jaillissent de l’intérieur d’un humain finissent par éclairer son être tout entier ?

Les contes et légendes retransmis depuis la nuit des temps par les griots en Afrique, et même  dans la Bible, et notamment dans le Cantique des Cantiques, nous racontent l’histoire d’une femme extraordinaire à la beauté et à la sagesse  exceptionnelles. Il s’agit de la reine Makeda, encore appelée la reine de Saaba. Elle entendit parler du roi Salomon et de ses rares dons de sagesse. Elle manifesta le souhait de le rencontrer et fit le voyage  qui la mena de l’Éthiopie à Jérusalem aux fins de rencontrer et d’écouter l’homme sage dont la renommée allait au-delà de sa contrée. 

Le roi Salomon fasciné par les lumières de la reine de Saaba lui écrivit un poème connu sous l’appellation de Cantique des Cantiques.

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La beauté dans les arts ou l’esthétique artistique africaine

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De fait, la beauté dans l’art africain n’est pas le but recherché principalement ; ce qui n’enlève rien à la beauté des œuvres d’art proprement dites. Que ce soit la sculpture, la peinture, l’artisanat, etc., l’art en Afrique a une mission d’abord sociale et spirituelle. Il sert de trait d’union entre les hommes du monde visible et les âmes du monde invisible. En d’autres termes, il permet de relier le monde des vivants à celui des morts.  La quasi-totalité des masques, sculptures, cannes, balais, et autres qui se trouvaient dans les chefferies africaines qui se retrouvent aujourd’hui aussi bien dans les collections privées comme dans  les musées  occidentaux : notamment celui de Berlin, du Louvre ou du quai Branly, sont tous des objets rituels qui servaient aux initiés lors des cérémonies cultuelles. Leurs auteurs, qui se considèrent uniquement comme les intermédiaires entre eux-mêmes et le créateur, vivent et meurent très souvent dans l’anonymat sans la reconnaissance réelle de leurs contemporains africains.

Faut-il le rappeler, les masques et les sculptures africains anciens valent de l’or sur les sites internationaux de ventes aux enchères  tels que Chrities, Sothebys, Artprice. Ce, du fait de leur exceptionnelle originalité et beauté mais aussi du fait de leur ancienneté.

D’autre part, le débat sur la restitution des œuvres pillées pendant la période d’agression de l’Afrique par l’Occident (esclavage et colonisation ) est ouvert  en France depuis l’avènement du Président Emmanuel Macron. Après des centaines  voire des milliers d’années de séjour hors de leur espace africain naturel, faut-il restituer ces chefs-d’œuvre africains à leur continent originel ? La question majeure est celle de savoir si ces objets désacralisés, démythifiés,  pourraient retrouver la place qui était la leur dans l’Afrique traditionnelle ?  Plus encore, l’Afrique, en son état  actuel, confrontée à de multiples crises : identitaires,  géographiques, politiques, économiques, monétaires, dispose- t-elle de tous les moyens garantissant leur parfaite réintégration et exploitation ? Les Africains qui n’ont pas la culture des musées et galeries  pourraient-ils apprécier et valoriser l’esthétique globale de ces œuvres  qui par leur voyage hors du continent et hors de leur cosmogonie,  ont perdu leur son, c’est-à dire, leur sacralité ?  

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La beauté olfactive et sonore

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L’Égypte du Pharaon Ptah-Hotep était déjà considérée comme le berceau de la parfumerie. Les parfums égyptiens étaient appréciés de par le monde et justifiaient d’une célébrité certaine. Cette tradition de parfumeurs découlait des cérémonies rituelles et funéraires. Le beau olfactif est donc d’origine africaine.

Que dire sur le son ? Sinon qu’il est à l’origine de tout. On l’entend, on l’écoute, on l’apprécie dans le silence comme dans son articulation. Il se décline alors dans le chant, dans la poésie et dans la musique. La  beauté du son est identifiable en Afrique traditionnelle dans les champs au temps de la semence ou de la récolte ; pendant les naissances, ou encore dans les chansons des femmes qui réconfortent leurs enfants malades ou en pleurs. Mais le lieu d’expression véritable du son sacré décliné en chants pleurés, se trouve être le moment d’au revoir aux défunts, le temps du deuil. C’est ici que les griotes, les griots, les poètes ou Djellis, font la démonstration de leur talent à nul autre pareil. Ces moments sont souvent des rares moments de félicité ; car c’est là que le beau est sublimé par le chant pleuré ou les pleurs chantés.

La beauté  du son se manifeste également dans la musique moderne telle que pratiquée par les Africains d’aujourd’hui. Quelques grands noms de cette musique et du son créés par les Noirs d’Afrique et de sa diaspora font l’unanimité dans le monde aujourd’hui : Manu Dibango, Richard Bona, Salif Keita, Oumou Sangaré, Youssou Ndour, Alpha Blondy, Louis Amstrong, Duke Ellington, Miles Davis, John Coltrane, Billie Holliday, Ella Fitzgerald, Nina Simone.  Michael Jackson, Bob Marley,  Beyoncé, etc. 

Plus encore, contrairement à une fausse opinion largement répandue selon laquelle : « la tradition africaine est strictement orale » donc, l’Afrique n’aurait pas d’écriture, force est de constater que le célèbre livre intitulé : Le livre des morts ou mieux articulé, le livre de la sortie à la lumière, est un exceptionnel condensé de textes anciens retrouvés en Egypte antique et notamment sur les sarcophages et en d’autres lieux. Cette belle écriture géométrique nommée hiéroglyphes n’était en son temps accessible qu’à une élite. De fait, l’acte d’écrire ainsi que le contenu des écrits  étaient eux-mêmes sacrés.

C’est le lieu d’évoquer également les ouvrages à la beauté savante des manuscrits de Tombouctou qui datent d’avant les premières grandes universités occidentales et dont la divulgation contribue à présenter, à faire découvrir la belle histoire inconnue des peuples du continent noir.

Enfin, on peut également déceler la beauté dans les profondeurs des articulations de la célèbre charte du Mandé qui pose les fondements des premiers droits humains au 12e siècle, lorsqu’elle affirme dans ses dispositions que tous les Humains sont égaux indépendamment de leur couleur, de leur  origine et de leur sexe. 

Que conclure sinon que la beauté existe et a toujours existé en Afrique sous de multiples formes.  Malheureusement, du fait d’une histoire  marquée du sceau de la violence qui a caractérisé la rencontre entre l’Afrique et le monde blanc, le beau en Afrique comme les africains eux-mêmes, a été victime de  dénigrement, de rejet, de marginalisation, avec quelques rares exceptions. Le seul modèle du beau qui fut imposé à l’inconscient collectif des peuples africains est celui venant de l’Occident. Ainsi donc, pour la majorité de jeunes femmes et hommes, ainsi que pour l’élite, victimes millénaires de ce que l’écrivain Frantz Fanon appelle : « l’imposition  culturelle », la référence en tout domaine et notamment en matière de beauté est nécessairement blanche ou occidentale. C’est ce que les intellectuels noirs américains ont dénommé : « white man supremacy » Ainsi, pour ne pas se sentir isolé, méprisé, mis à l’écart d’un monde dominé et contrôlé par l’Occident,  l’Africain est presque contraint dans tous les domaines de : copier,  singer, imiter, jusqu’à la caricature, ce qui vient de l’homme blanc. Ce sera ainsi dans l’architecture, l’habillement, la littérature, dans les arts, le sport, la gouvernance politique et économique, etc.    C’est fort de cette culture d’assimilation victimaire que vous verrez de nombreuses jeunes africaines citadines pour la plupart, se blanchir la peau, arborer des cheveux qui ne sont pas les leurs et adopter des modèles vestimentaires totalement exogènes.  Ce ne sont heureusement pas les plus nombreuses, bien que ce soit parfois hélas les plus visibles. Comme vous l‘aurez remarqué, l’Afrique comme le reste du monde est aussi belle voire très belle. Mais il faut la découvrir dans ses profondeurs, dans son âme. Elle n’est définitivement pas ce qui est très souvent montré dans les  télévisions occidentales. L’Afrique traditionnelle dans sa spiritualité millénaire est encore très belle et  porteuse de valeurs vertueuses. Elle pourrait en ces temps difficiles où les hommes ont perdu de leur humanité, devenir un  modèle, un indicateur du chemin à suivre, mieux, une référence dans le vivre ensemble, la solidarité, le respect de l’environnement, la place sacrée accordée aux  personnes âgées, le don de soi pour autrui, etc. Cette Afrique-là, où l’humain prime sur le capitalisme dévastateur, doit rester une référence et une boussole pour tous les hommes de la terre. C’est bientôt le temps de l’Afrique : sa beauté intrinsèque sauvera notre monde.

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Par Alfred Alain Moutapam

Pluton-Magazine/2019/Paris16eme

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