L’ordre du désordre

Mais pourquoi parle-t-on de désordre ? Pourquoi faut-il ranger son bureau, sa chambre, son atelier… ? Pourquoi le regard des autres sur nous change-t-il quand nous ne sommes pas ordonnés ? Et l’ordre, qu’est-il en réalité ? Ces questions semblent bien rimer avec une question de liberté et de contrainte.

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Le sens du désordre

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Parler de désordre revient à connaître et maîtriser la loi suprême de l’ordre. Or, l’ordre ne semble pas avoir été donné aux humains qui le réclament à tort et à travers. La notion de désordre semble bien farfelue face à la leçon d’ordre ou de désordre que nous donne la nature. Lorsque nous plantons un potager, nous réalisons un jardin, nous avons tendance à tirer des lignes pour mettre les plants droits. Si nous omettons de le faire, nous sommes immédiatement critiqués pour avoir planté dans le désordre. Or, personne, lorsqu’il se promène dans la forêt, ne trouve que les arbres ne sont pas en ligne. Personne ne se plaint de zigzaguer entre eux. Personne ne les critique, pourtant à nos yeux, ils devraient être en désordre selon notre sens de l’ordre.

La question d’ordre est souvent liée à un point de départ déterminé et restreint à notre entendement de l’espace. Les arbres sont tous ordonnés et en ligne, non selon notre notion de l’ordre mais de celle de l’ordre universel des choses dont nous ne connaissons pas la quintessence.

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La création

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Les étoiles semblent être jetées pêle-mêle dans l’univers et pourtant il règne un ordre parfait là-haut. Car, immuables, les corps célestes ont permis à l’homme d’établir des prouesses en matière de déplacement depuis la nuit des temps dans des univers dépourvus de repères (océans, déserts de sable et de glace, conquête de l’espace). Nous avons pu lancer des programmes spatiaux et mettre en orbite avec une précision extrême des satellites qui nous permettent, par exemple, d’avoir un point GPS qui ne bougera jamais. L’infinie précision d’un cristal de neige, des nervures d’une feuille, de la disposition des pétales d’une fleur est d’une composition complexe qui nous laisse sans voix. Les distances restent précises et les détails aussi se répètent en parfaite photocopie. Il y a un gène mathématique complexe dans la loi naturelle.

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La conception de notre corps, une preuve

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Nous acceptons sans broncher la disposition de tout ce qu’il y a sur nous. Notre anus ne se trouve pas près de notre bouche ni près du nez, pourquoi ? Pourquoi il se trouve là où il est, et pourquoi ne trouvons-nous rien à y redire ? Les questions sanitaires y répondent ainsi que la loi de la gravité.

L’emplacement de notre cœur aussi, ainsi que celui de nos bras, qui sont les gardiens de nos organes vitaux, méritent d’être salués.  Face à un danger, le cerveau envoie un signal, le reflexe.  Dans le cas, par exemple, où nous tombons, nos bras essayent de parer la chute. Pour se protéger d’objets qui tombent, on se protège la tête. En cas d’agression à l’arme blanche on se protège le ventre, le thorax et tout ce qui se trouve au-dessus de la hanche, par exemple, parce que nous savons que c’est vital. Bien placé, on parvient à accéder soi-même à 100 % du corps extérieur, même si certaines zones peuvent être maladroitement explorées. L’ordre naturel obéit à une loi naturelle.

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Le sens de l’ordre chez l’homme

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Nous parlons de désordre parce que ce que nous créons n’est pas soumis à un ordre naturel. Nos objets, même s’ils sont faits à partir de matière naturelle n’ont rien de vivant ni de conscient. Ils n’appartiennent pas à la nature, voilà pourquoi nous sommes leurs esclaves et que nous devons les ranger parce qu’ils occupent rapidement l’espace. Et, contrairement à l’univers et à la nature, nous sommes confinés à occuper des mètres carrés en fonction de ce que notre situation socioprofessionnelle peut nous procurer. Nos créations super géniales réduisent nos champs de liberté et nous contraignent sans cesse. La nature ne nettoie pas son sol, elle ne ramasse pas ses ordures, tout est dans un cycle cradle to cradle. Or, nous, il nous faut sortir la poubelle, enterrer le chat mort, et balayer constamment. Il y a de la poussière dans la nature, pourtant, elle est plus inoffensive que celle qui s’amoncelle chez nous.

Le concept même de l’ordre chez les humains se résume aux désordres permanents que nous cultivons depuis des siècles, parce que nous imitons la loi naturelle sans pouvoir l’atteindre et nous sommes incapables de la suivre parce que notre sagesse vise un ordre économique.

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L’ordre mondial

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Nous voulons arriver à cette fin pour rétablir l’ordre dans notre désordre. Cette finalité va-t-elle s’ouvrir réellement sur des perspectives meilleures, à toute épreuve pour l’humanité ?

L’ordre des hommes est aussi basé sur l’abus du pouvoir incontrôlé. Du désordre sortira toujours un chaos. Nous employons des termes comme forces de l’ordre pour faire respecter les lois. Ce terme est inapproprié parce qu’on ne force pas l’ordre. L’ordre se soumet et se suffit à lui-même. Il s’autorégule. Il s’équilibre. La nature forcée devient invasive et létale pour certaines espèces lorsque l’on pense bien faire en introduisant des espèces qui ne sont pas de cet écosystème.

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Mon désordre

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Chacun a sa gestion de l’ordre. Sauf que nous vivons dans une société mondiale axée beaucoup plus sur la vue et sur des modèles inculqués. Il y a une façon de faire le lit, de faire le tri, d’agencer les pièces, la forme carrée est maîtresse et les angles très répandus. Ce formatage est devenu permanent et universel.

Les personnes qui rangent tout et bien ne sont pas meilleures en tout que les autres et vice- versa.  On prétend qu’il faut ranger pour mieux trouver, mais celui qui trouve toujours ses affaires dans son fouillis a peut-être quelque chose de génial, une capacité étonnante de mémorisation. Car, en effet, il se souvient où il avait déposé son objet et est capable de le retrouver. C’est exactement comme votre immense bibliothèque que vous avez arrangée au fil du temps. À première vue, cela semble bien rangé. Mais si vous demandez à un étranger de vous trouver L’Étranger de Camus, ce sera une tâche ardue pour lui alors que vous savez où ce livre se trouve précisément. Il est facile de se retrouver dans un pays étranger parce que les rues ne bougent plus. Seules les enseignes changent.

La mémorisation semble étonnamment plus facile dans l’ordre que le désordre. Or, si l’on se retrouve dans son désordre, c’est fabuleux. Ce qui s’apparente à un manque d’organisation peut s’avérer être un stimulus de la mémorisation.

Ordre ou désordre, l’un et l’autre ne doivent pas nous priver de notre liberté de bien-être tout en étant soumis quand même à une loi naturelle qui exige l’hygiène, sinon on pourrait bien compromettre notre existence. Tout pousse dans la nature mais tout ne pousse pas partout. Cet ordre contribue à la survie des organismes vivants. Des lors, y-a-t-il un ordre à donner ? Peut-être pas, mais il faut l’admettre, nous sommes constamment rattrapés par notre besoin d’ordre pour que tout fonctionne en apparat dans le désordre organisé de notre monde d’aujourd’hui. La nature est le seul modèle par excellence et nous aurions tant à gagner à l’imiter et à abonder dans son sens.

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Rédacteur Georges Cocks

©Pluton-Magazine/2020/Paris 16eme

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Par Georges COCKS
Écrivain- Éditeur-Poète-Romancier

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