LOUIS IX : MIEUX CONNU SOUS LE NOM DE SAINT LOUIS, LE PLUS POPULAIRE DES ROIS DE FRANCE FUT UN MODÈLE DE PRINCE CHRÉTIEN

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PAR PHILIPPE ESTRADE-AUTEUR CONFERENCIER

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Progressivement installées en Occident sous la présence romaine à partir du 1er siècle de notre ère, les valeurs chrétiennes ont irrigué le continent européen et identifié sa culture profonde depuis deux mille ans. En 843, lors du partage de l’empire de Charlemagne entre ses petits-fils Charles le Chauve, Lothaire et Louis le Germanique, le futur royaume de France naquit sous le nom de Francie occidentale sur ces territoires fortement imprégnés par la domination de l’Église. Mérovingiens à partir de Clovis, Carolingiens puis Capétiens ont toujours gouverné sous l’influence du christianisme puissant, le modèle religieux en Europe. Marqué par une foi infinie et mystique, le grand roi Louis IX, mieux identifié sous le nom de Saint Louis, fut la référence même des souverains capétiens irrigués par la religion. C’était un prince chrétien pieux et authentiquement charitable.

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LE CLERGÉ PUISSANT SOUS LES CAPÉTIENS

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Au Moyen Âge, l’Église domine les hommes, et en ville ou dans les campagnes, c’est le son des cloches qui rythme la vie de tous les jours, les fêtes et les messes. Le clergé vit notamment grâce à la perception de la dîme, le dixième du fruit des récoltes paysannes. À la tête de vastes seigneuries, l’Église a pu s’enrichir et impulser d’ambitieux projets de cathédrales, en particulier au cœur du Moyen Âge avec les grands vaisseaux de style gothique. Incontournable et puissante, elle s’implanta dans le cercle d’influence des rois et s’efforça même de les inspirer dans la gestion des affaires politiques et spirituelles. Certains souverains en furent incommodés, comme Philippe IV le Bel qui décida de soumettre le clergé à l’impôt, ce qui naturellement provoqua une crise majeure avec le pape et l’installation autoritaire de son successeur à Avignon. Louis IX qui régna au 13° siècle, quelques années avant Philippe le Bel, incarna au contraire la fusion parfaite entre la piété et l’autorité royale.

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La « Paix de Dieu » s’est efforcée de pacifier la société féodale

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Destinée à contraindre les grands seigneurs, qui ne cessaient de s’affronter, à prêter un serment de conciliation et de concorde, la « Paix de Dieu » pacifia enfin les relations belliqueuses et soumit les chevaliers à la protection des paysans et des plus faibles mais aussi des marchands et des clercs. Hugues Capet, le premier roi de la nouvelle dynastie capétienne, l’imposa à la fin du 10° siècle à tous les grands seigneurs des régions vassales. Par extension, la « Trêve de Dieu » finalisa l’interdiction des combats à certaines périodes de l’année, en particulier lors de fêtes religieuses. Ne pas respecter ces dispositions pouvait conduire à de sévères sanctions spirituelles, dont l’excommunication particulièrement redoutée de tous, souverains compris.

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Au 13°siècle sous Louis IX, l’Église officialise le purgatoire

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Prolongement de la « trêve de Dieu », le purgatoire fit son apparition lors des règnes de Louis VII et Philippe-Auguste le grand-père de Saint Louis. Né du latin « purifier », le purgatoire permit aux défunts qui n’avaient pas commis de péchés graves de les expier dans une attente plus ou moins longue offrant à l’âme ainsi purifiée d’accéder au Paradis. Trait d’union et d’espoir pour le peuple chrétien, le purgatoire devint plus tard source de conflit majeur avec les Luthériens lors de la Réforme. L’acte doctrinal officiel du purgatoire intervint en 1254 par une lettre du pape Innocent IV, lors du règne de Louis IX qui précisément adopta une vie humble, pieuse et exemplaire pour éviter ou limiter une période au purgatoire.

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LOUIS IX, DANS LA TRADITION DES GRANDS ROIS CAPÉTIENS

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Il fait partie des grandes figures dominantes de toute l’histoire de France. Les plus grands du royaume de France et les plus humbles l’ont remarquablement respecté, en vertu de sa capacité de piété et de justice. Mort en 1270, Louis IX sera rapidement canonisé. Il devint Saint Louis en 1297, soit vingt-sept ans après sa disparition. Ce grand souverain comparable aux plus grands rois de la période capétienne directe, de 987 à 1328, comme Louis VI, Philippe II dit Auguste ou encore Philippe IV le Bel, a doté le royaume d’institutions solides et durables comme la Chambre des comptes et le Parlement. Baillis et sénéchaux, en quelque sorte les préfets de l’époque, étaient chargés de faire appliquer les ordonnances royales. Le développement artistique et culturel sous son règne et la diffusion de la monnaie royale dans tout le royaume en 1263 traduisent la dimension visionnaire et le talent politique centralisateur remarquable de Louis IX. Par ailleurs grand bâtisseur, il fit construire la forteresse d’Angers telle que nous la connaissons aujourd’hui, aux portes de la Bretagne hostile au royaume de France.

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L’influence de sa mère Blanche de Castille

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Tous les souverains capétiens des siècles durant ont manifesté un attachement réel à l’Église, composante incontournable de l’équilibre sociétal et politique du royaume. Petit-fils de l’immense Philippe-Auguste, Louis n’a que douze ans quand son père le roi Louis VIII meurt en rentrant d’une nouvelle offensive contre les cathares. Élevé dans la rudesse de la foi chrétienne par sa mère Blanche de Castille, Louis aurait très bien pu entrer dans les ordres. C’est Blanche qui assura la régence du royaume de France durant la minorité du futur roi, couronné en 1226 à Reims, et lors de ses absences liées à la septième et à la huitième croisades. Pieuse et totalement subordonnée à la foi, Blanche éduqua Louis avec quasiment une rigueur monastique et le prépara remarquablement à la fonction de roi. Il faudra d’ailleurs beaucoup de temps à Louis IX pour s’émanciper de la tutelle écrasante de Blanche de Castille.

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Louis IX, pieux et charitable

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Sensible à la détresse des chevaliers qui eurent les yeux crevés par les Sarrasins, lors de leur détention à l’issue de la septième croisade, le roi Louis IX fonda l’hospice des Quinze-Vingts, capable de recevoir trois cents aveugles. Dans sa rigueur religieuse, sa mère Blanche de Castille, alors régente, avait déclaré au futur souverain selon la chronique « J’aimerais mieux vous voir mort plutôt qu’avoir commis un péché mortel ». Louis IX fut irrigué dans son éducation par cette volonté de servir, d’être humble en demeurant en permanence fidèle aux enseignements de simplicité et de charité de la Bible. D’ailleurs, le roi pouvait régulièrement passer des nuits en prière et assistait à l’office tous les jours, voire même à deux messes quotidiennes. Marié à Marguerite de Provence, il aurait passé les premières nuits de son mariage à réciter son bréviaire. Vif et vigoureux, Louis IX fit tout de même onze enfants à Marguerite, son unique épouse, dont Robert de Clermont, à l’origine de la branche capétienne des Bourbons qui s’installera sur le trône à partir de 1589 avec Henri IV. Charitable, il fit nourrir chaque jour une centaine de pauvres, précise encore la chronique. Il n’était pas non plus surprenant pour les courtisans, dont il se méfiait, de voir les misérables et les mendiants invités à sa table et servis par le roi lui-même. Enfin, à l’abbaye de Royaumont, les annales précisent qu’en signe de soumission, de pénitence permanente, il lavait les pieds des moines et des religieux. C’est grâce à Joinville, ami et fidèle du roi, que la vie de Louis IX nous est parfaitement connue. Il n’hésita pas toutefois à bannir les juifs qui refusaient de se convertir à la foi chrétienne en leur imposant, à partir de 1269, de porter des signes distinctifs sur les vêtements afin de les identifier comme rebelles à la foi officielle et dont il exigea par la suite qu’ils fussent chassés, comme le fit plus tard Philippe IV le Bel qui les spolia pour remplir les caisses de l’État.

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Une justice égale pour tous

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Louis IX a initié l’appel à la justice royale mais il requérait des autres, pauvres ou nobles, la même intransigeance qu’il s’imposait à lui-même. Il renforça une forme de justice d’État et exigea le respect de l’institution. Ce que l’on pourrait qualifier d’image d’Épinal, montrant notamment le roi qui rend la justice assis sous un chêne dans le bois de Vincennes est pourtant totalement avéré. Saint-Louis savait aussi s’opposer aux riches seigneurs et à l’aristocratie lorsque ceux-ci persécutaient abusivement les paysans. Il fut par ailleurs un arbitre juste, sage et remarquablement respecté. En renouvelant le dogme de la « quarantaine-le-roi » institué par son grand-père Philippe  Auguste, le plus prestigieux monarque capétien et d’une manière générale peut-être de toute l’histoire de France, Louis IX permit ainsi d’éviter querelles et guerres privées. Cette ordonnance contraignait les deux parties en conflit à respecter, sous peine de porter atteinte à l’autorité royale, un délai de quarante jours. Un répit qui a souvent permit de résoudre les contentieux avant de faire appel aux armes.

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Le domaine royal agrandi et la menace anglaise maîtrisée

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Le roi a dû faire face aux révoltes des barons et seigneurs vassaux, par ailleurs matées, comme ce fut souvent le cas dans cette période capétienne pour tous les souverains qui se sont succédé sur le trône du royaume de France. Orchestrées ou soutenues par les Anglo-normands et le roi Henri III d’Angleterre, elles permirent toutefois à Louis IX d’imposer son autorité par d’éclatantes victoires contre ses voisins anglais, à Taillebourg puis à Saintes en 1242. Soucieux des grands équilibres et ne jetant pas d’huile sur le feu, le grand roi de France n’annexa pas pour autant la riche Aquitaine. Se reconnaissant vassal du roi de France, Henri III d’Angleterre obtint le duché de Guyenne tout en renonçant à la Normandie, la Touraine et l’Anjou. Après un accord avec le roi d’Aragon, Louis IX annexa le Languedoc et le Roussillon et parvint à agrandir sensiblement le royaume.

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La Sainte-Chapelle, joyau gothique flamboyant pour abriter les saintes reliques

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En 1239, bien avant ses croisades, Louis IX acheta à des commerçants vénitiens, pour une somme colossale, la couronne d’épines qu’aurait portée Jésus au moment de la crucifixion, puis entreprit des investigations pour identifier et retrouver de nouvelles reliques. C’est ainsi qu’un fragment de la Vraie Croix de la Passion et un Saint clou notamment furent acquis par le roi. Ces reliques et la châsse qu’elles intégrèrent atteignirent plus de deux fois le coût de la construction de la Sainte-Chapelle. Élevée dans le palais même du monarque en moins de trois ans, la Sainte-Chapelle qui offre d’immenses vitraux dont la beauté étourdissante témoigne du savoir-faire des maîtres-verriers de l’école de Chartres, est un joyau saisissant du style gothique flamboyant. Une galerie la rattachait directement aux appartements de Louis IX. Sauvées en partie à la Révolution, les reliques ont été miraculeusement épargnées par l’incendie de Notre-Dame au printemps 2019 et attendent patiemment dans les réserves protégées du Louvre de retrouver leur écrin dans la cathédrale.

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L’IRRÉSISTIBLE ENGAGEMENT DANS LES CROISADES

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Saladin, émir de Damas et sultan d’Égypte, avait mené de redoutables campagnes militaires contre les États latins d’Orient, c’est-à-dire les possessions franques en Terre Sainte et dans la région, reprenant même Jérusalem en 1187. Tellement marqué par la foi et la religion, Louis IX était tout naturellement destiné à s’engager dans les croisades, la septième et la huitième contre l’occupant ottoman. Organisée et conduite par ses soins, la septième croisade devint un désastre, dès lors qu’il fut fait prisonnier. Comme une revanche, il organisa la huitième croisade destinée à définitivement libérer les lieux saints de l’occupation musulmane mais disparut en 1270 à Carthage près de Tunis, alors que les renforts conduits par son frère s’apprêtaient justement à rentrer dans la ville. Avant ces deux croisades, Louis IX géra la fin de la crise cathare avec sa mère, l’incontournable Blanche de Castille.

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L’offensive en Égypte

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Après de lourdes pertes subies par les armées franques en 1248, le Terre sainte fut reprise par les musulmans et le sultan d’Égypte alors qu’elle avait été restituée aux européens à l’issue de la sixième croisade. Louis IX décida donc de reprendre les lieux saints, accompagné dans cette septième croisade par son épouse Marguerite de Provence et deux de ses frères. En escale à Chypre, il prépara une offensive en Égypte puis entreprit le siège de Damiette pour enfin y débarquer et frapper le pays au cœur en marchant sur Le Caire où résidait le sultan. Hélas, les croisés furent sévèrement défaits à Mansourah et le roi accompagné d’une grande partie de l’armée se retrouva emprisonné. Libéré grâce à une rançon payée pour une part par les templiers, le roi de France se rendit en Palestine où il séjourna quatre ans puis revint enfin dans son royaume de France en 1254.

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La huitième croisade fatale pour Louis IX

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À partir de 1267, le roi de France se consacra avec une grande énergie à préparer une nouvelle croisade, celle qui devait définitivement chasser les musulmans de la Terre sainte. En effet, l’échec de la précédente le blessa énormément et fut même perçu comme une forme de punition divine. Bien que le danger musulman parût moins aigu dès lors que les musulmans furent expulsés de Sicile et reculèrent irréversiblement en Espagne, Louis IX organisa tout de même cette dernière croisade pour libérer le tombeau du Christ. Cependant, la ferveur et l’enthousiasme religieux reculèrent car beaucoup avaient admis que la colonisation aisée de ces terres devenait difficile face à un islam désormais conquérant et organisé. En juillet 1270, le roi s’embarqua pour Tunis vers une ultime offensive. Déjà âgé et après quarante-trois ans de règne, il mourut épuisé par le manque d’eau et la chaleur éprouvante aux portes de la cité à Carthage, probablement d’une dysenterie plutôt que de la peste comme on l’a longtemps pensé.

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Canonisé vingt-sept ans après sa mort, Louis IX devint Saint Louis

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Au nom de la religion, Louis IX pouvait être rude et intraitable dans cette volonté de faire respecter la loi royale et la loi divine, et le pape lui-même, bien qu’il saluât l’ardeur de l’homme de foi, invita parfois le grand roi à la clémence. On rapporte ainsi qu’outrager le nom de Dieu pouvait conduire à des châtiments corporels, voire à la mort. Les enfants eux-mêmes coupables du même délit pouvaient être fouettés en place publique. Mais sa vie exemplaire, sa bonté reconnue, sa fidélité à l’Église et sa lutte permanente et implacable pour libérer le tombeau du Christ à Jérusalem lui valurent une canonisation en 1297, et c’est ainsi que le grand roi Louis IX devint Saint Louis pour l’histoire.

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La prospérité du royaume illustre parfaitement le règne de Louis IX, soutenue par sa mère Blanche de Castille. Son agriculture organisée a permis d’ignorer les crises majeures et les famines. Puissant et dominant en Europe depuis Philippe-Auguste et son éclatante victoire à Bouvines en 1214, le royaume de France était le carrefour du commerce et des échanges. Le rayonnement culturel de cette France du 13° siècle s’appuyait aussi sur l’université de Paris, premier et éclatant centre intellectuel de la chrétienté, et tous les grands axes européens traversaient obligatoirement le royaume capétien. D’ailleurs, le latin, bien sûr, était la référence des élites et du clergé, mais la langue française, déjà imposée en Angleterre par les normands, devint un phare de communication à peu près partout sur le continent. Louis IX fut un grand homme d’État, un immense prince chrétien, un monarque bon pour le peuple, un grand chef de guerre mais aussi un négociateur exceptionnel. Si l’on y rajoute la simplicité de vie, la bonté et la générosité auprès des plus faibles, on comprend aisément que ce monarque fut auréolé d’un immense prestige dans le royaume et bien au-delà de ses frontières. Blâmé parfois par son entourage et l’aristocratie qui jugeaient sa générosité auprès des misérables et des plus démunis excessive, il déclara : « Si je dépense quelquefois beaucoup d’argent, j’aime mieux le faire en aumônes pour l’amour de Dieu que pour mes frivolités et choses mondaines ». Saint Louis est ainsi entré dans la légende.

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Philippe Estrade.

Pluton-Magazine/2020/ Paris

Prochain évènement partenaire: les samedis de l’histoire à l’Esprit Des Vins La Brède par Philippe Estrade.

Philippe Estrade donne régulièrement des conférences à la Brède en Aquitaine. La prochaine conférence aura lieu le Samedi 17 Octobre 2020. Reprise des samedis de l’histoire à l’Esprit Des Vins La Brède par Philippe Estrade. Le siècle des lumières. De 10h00 à 11h30.
Uniquement sur réservation : merci de téléphoner au 05 56 68 72 60 ou de venir sur place enregistrer votre réservation. Nombre de places limité à 15 personnes.
Merci de se présenter à 9h45.
Masque obligatoire
Salle aménagée

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