CHARLES V : APRÈS AVOIR CHASSÉ LES ANGLO-NORMANDS ET RESTAURÉ LE ROYAUME, LE SOUVERAIN VALOIS FIGURE PARMI LES PLUS GRANDS ROIS DE FRANCE

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PAR PHILIPPE ESTRADE-AUTEUR CONFERENCIER

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Depuis 1337, la guerre de Cent Ans empoisonne les relations entre français de chaque côté de la Manche. Plantagenêts en Angleterre et Capétiens sur le continent se déchirent sur la question de la succession du trône du royaume de France. Les débuts du conflit furent pitoyables pour les armées françaises. Philippe VI le Valois a subi d’éclatantes défaites et son successeur Jean II le Bon fut même capturé à Poitiers et emprisonné à Londres. L’arrivée au pouvoir du roi Charles V, un souverain brillant, sage et remarquable administrateur, fut un miracle pour les français, perdus et aux abois depuis quelques années déjà et soumis à la domination anglaise. Il parvint à redresser le royaume et à chasser les Anglo-Normands de la quasi-intégralité du territoire, les obligeant même à ne maintenir une présence que sur quelques ports, dont Bayonne, Cherbourg, Calais et bien sûr, Bordeaux, la grande ville anglo-gasconne. Hélas, son fils Charles VI, appelé le Fol, le roi devenu fou puis marginalisé,  imprima un règne pitoyable durant lequel se déchirèrent les grandes familles influentes pour contrôler le pouvoir. Cette crise permit une nouvelle offensive anglo-normande fatale pour la France. Il faudra attendre Charles VII le Victorieux, aidé par la fougue de Jeanne d’Arc puis par son alliance avec Philippe le Bon de Bourgogne pour que les Anglais soient définitivement chassés de France à l’issue de l’ultime bataille de Castillon en 1453, qui mit un terme au conflit. Il aura épuisé les deux nations durant 116 ans.

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JEAN II LE BON, PÈRE DE CHARLES V, PRISONNIER A POITIERS

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Bien que son nom fût associé à sa bravoure, Jean II le Bon est apparu dans l’histoire comme un piètre stratège sur les champs de bataille. La guerre qu’il reprit contre Édouard III d’Angleterre a conduit à un nouveau désastre. Son armée décimée à Poitiers en 1356, le roi de France tomba aux mains des Anglais qui l’envoyèrent en captivité à Londres. C’est alors que son fils Charles, pourtant très jeune, le futur grand Charles V, assura une surprenante régence.

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Le désastre de Poitiers

C’est précisément lors de cette bataille que son jeune fils Philippe aurait déclaré : « Père, gardez-vous à droite, Père, gardez-vous à gauche ! » Jean II le Bon est alors à la manœuvre à la tête de l’armée française, en riposte aux attaques répétées du Prince Noir, fils d’Edouard III, qui ravage alors Poitiers et ses environs. Encerclés et défaits, les soldats français ont sombré partout et le roi capturé prit la route de l’emprisonnement vers Londres. Quatre années plus tard, en 1360, le traité de Brétigny permit à Jean II de recouvrer la liberté contre d’immenses territoires cédés aux Anglais et une énorme rançon qui ne sera d’ailleurs jamais totalement payée, ainsi que la remise d’otages aux Anglais, dont certains de ses fils. La Gascogne et d’une manière générale tout le sud-ouest de la France tombèrent sous l’autorité du roi d’Angleterre Edouard III. C’est le futur Charles V, régent du royaume pendant la captivité de son père Jean II, qui va gérer les affaires du pays avec un vrai génie politique et un brio époustouflant.

La régence éclatante du futur Charles V

Durant quatre ans, de 1356 à 1360, grâce au traité de Brétigny qui permit la libération de Jean II le Bon, le dauphin Charles a entrepris un premier redressement du royaume et a montré un caractère fort et une brillante autorité à dix-huit ans tout juste. Il fut alors confronté à la bourgeoisie parisienne, lasse du chaos généralisé dans le pays depuis la captivité de Jean II, qui se dressa contre son autorité. Le jeune régent dut aussi affronter des révoltes paysannes et l’opposition des bourgeois parisiens manœuvrés par Étienne Marcel.

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JACQUERIES RÉPÉTÉES ET RÉVOLTES BOURGEOISES

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Les révoltes paysannes survinrent autour de 1358 et agitèrent surtout le nord de la France, la Picardie, la Champagne et le bassin parisien pour l’essentiel. La Grande Jacquerie de 1358 a regroupé un ensemble de révoltes des paysans, épuisés par la guerre, la misère et la faim. Le mot jacquerie puise sa source dans le prénom Jacques qui désigne les paysans. En effet, à une époque où la foi demeurait forte, notamment durant les pèlerinages vers Saint-Jacques-de-Compostelle, il n’était pas rare que dans les familles de la ruralité, le prénom de Jacques soit donné à l’aîné des garçons. Le milieu du commerce et la grande bourgeoisie parisienne, profitant également du chaos, se dressèrent aussi pour imposer leurs exigences.

Les soulèvements paysans matés

Le terme de jacquerie désignera désormais tous les soulèvements populaires, de la paysannerie au petit peuple des villes. Les meneurs dans les campagnes se sont attaqués dans un premier temps à la noblesse qui a perdu et échoué à Poitiers et qui n’a pas hésité à prélever impôts et taxes nouvelles. Comme à chaque fois, les insurgés paient un lourd tribu et sont finalement arrêtés et torturés. À Clermont-Ferrand, le meneur Guillaume Carle a même été décapité après qu’il eut tenté une alliance avec les insurgés de Paris.

Étienne Marcel, maître de l’insurrection parisienne

Le jeune régent Charles dut par ailleurs faire face à la révolte des bourgeois parisiens, conduite par Étienne Marcel qui aspirait à faire chanceler son pouvoir. La grande ordonnance de 1357 chercha à imposer au roi une importante réforme de l’administration et de la fiscalité au profit de la bourgeoisie commerçante ou encore la justice. Les amis d’Étienne Marcel voulaient ainsi profiter du désordre engendré par l’emprisonnement en Angleterre de Jean II le bon pour remettre en cause l’autorité politique du jeune régent. Puissant drapier, Étienne Marcel se fit élire prévôt des marchands de la ville de Paris. Outre ses obligations commerciales, il profita de sa notoriété pour jouer un rôle politique majeur en tant que représentant officiel de la bourgeoisie et de la finance parisienne au tiers état, dans le cadre des états généraux. La fameuse grande ordonnance pouvait même conduire au contrôle du pouvoir royal. C’était beaucoup trop pour le dauphin du trône, d’autant plus qu’Étienne Marcel manœuvra contre lui au profit de Charles II de Navarre, favorable lui aussi à une monarchie contrôlée, pour peu qu’elle puisse lui permettre d’accéder au trône et d’en chasser Charles. Particulièrement habile, Charles joua avec finesse, et Étienne Marcel, jugé trop ambitieux et suspecté de vouloir jouer le jeu des Anglais, perdit le soutien des parisiens qui l’assassinèrent en 1358 avec la bénédiction du jeune Charles.

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LA RECONQUÊTE DU ROYAUME DE FRANCE

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Habile en politique et en diplomatie, remarquable organisateur, cultivé et passionné par les livres, Charles V dit le Sage fit face avec brio à l’héritage désastreux de son père Jean II. Pourtant, au retour de ce dernier de sa détention anglaise, en 1360, Charles fut provisoirement écarté du pouvoir jusqu’en 1363 pour enfin devenir officiellement roi de France un an plus tard, à la disparition de son père qui avait dû retourner en captivité à Londres, pour y retrouver probablement quelques maîtresses… Avec une gestion sage, Charles V restaura la grandeur du royaume et y ramena une réelle prospérité économique. De son accession au trône en 1364 jusqu’à sa disparition en 1380, il n’aura de cesse de combattre les Anglo-Normands. Outre sa réussite économique et financière, il va également exceller dans la guerre et parviendra à reconquérir tous les territoires perdus sous les régimes de Philippe VI et Jean II le Bon. En outre, avec Charles V, il n’y aura plus de querelles familiales pour la succession au trône. Désormais, l’héritier mâle le plus proche montera sur le trône d’un domaine royal désormais indivisible, bien que cette disposition eût été déjà inscrite dans le fonctionnement de l’État depuis les premiers capétiens.

La création du Franc, au crédit du roi de France Charles V

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Charles V le Sage a su s’entourer de brillants conseillers tant sur le plan économique et financier que sur celui de l’art de la guerre, grâce notamment à l’habileté de Bertrand du Guesclin. Le roi est finalement parvenu à imposer une réorganisation des impôts et de leurs collectes, notamment la fameuse gabelle sur le sel. Alors qu’il n’était encore que dauphin occupé aux affaires de la régence, il fit frapper en 1360 une nouvelle monnaie qui devint le franc. En effet, il était urgent de verser trois millions d’écus d’or à l’Angleterre en vertu du traité de Brétigny. Il décida donc par une ordonnance royale de frapper cette monnaie à l’effigie de son père Jean II, représenté en cavalier, afin de commémorer sa libération. Le premier franc était ainsi né, c’est-à-dire la monnaie qui affranchit. La chronique précise qu’il fut appelé « franc à cheval » afin de le différencier du « franc à pied » émis plus tard, représentant Charles V couronné, alors officiellement aux affaires.

Avec Bertrand du Guesclin, les Anglais perdent tous les territoires annexés depuis le début de la guerre

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Issu de la petite noblesse bretonne, Bertrand du Guesclin devint connétable, c’est-à-dire chef des armées de Charles V et son principal conseiller militaire. Sur ses recommandations avisées, Charles V reprit la guerre contre les Anglais et créa une nouvelle flotte. Pendant une douzaine d’années, c’est une guerre d’usure méthodique que les Français vont appliquer, des opérations de guérillas en quelque sorte. Du Guesclin s’était fait remarquer dès l’âge de 17 ans dans un tournoi et prit par la suite une part active dans la guerre de succession en Bretagne. il parvint à défaire l’étau imposé par les Anglais à Dinan. Tout de même fait prisonnier, c’est Charles V en personne qui paya une rançon pour le libérer et s’attacher ses services. À la fin du règne de Charles V le Sage, en 1380, le royaume de France brillait à nouveau et les Anglais, acculés sur les côtes, ne se maintinrent qu’à Bayonne, Bordeaux, Brest, Cherbourg et Calais. À ce stade, la guerre était gagnée sur le principe. Mais la folie qui frappa Charles VI, successeur de Charles V,  et qui politiquement le marginalisa, ouvrit l’appétit des grandes familles de la noblesse qui voulaient ainsi influencer la reine Isabeau de Bavière, désormais à la tête du royaume, et jouer un rôle politique majeur. Les Anglo-Normands profitèrent du chaos politique intérieur pour reprendre les hostilités et une nouvelle fois renverser à leur profit le destin de la France, en attendant les nouveaux succès de Charles VII le Victorieux, qui s’imposera définitivement contre les Anglais en 1453 à Castillon la Bataille, en terre de Guyenne.

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CHARLES V, L’HOMME CULTIVÉ ET PASSIONNÉ PAR LES LIVRES

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À l’évidence, le roi Charles V était un homme complet. Il a repris tous les territoires perdus contre les Anglais, restauré la grandeur de la France et assuré sa prospérité économique, aidé par des juristes de qualité, des savants talentueux et des nobles éclairés. Émancipé de l’influence du clergé, il a même conçu la Bibliothèque royale qui deviendra la Bibliothèque nationale, un outil de culture remarquable, enrichie de textes rares et de manuscrits précieux, et fit construire ou restaurer un grand nombre d’abbayes, de chapelles et d’églises. Admiratif des philosophes anciens et doté d’une grande culture, il était un passionné des livres et de la connaissance sous tous ses aspects.

Bâtisseur, collectionneur et mécène

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Charles V a aussi pris le temps de faire bâtir la Bastille et le château de Vincennes. Il a également agrandi et rénové le Louvre construit par Philippe-Auguste. D’autre part, son spectre est sans nul doute l’un des objets les plus raffinés et les plus beaux d’une cour redevenue prestigieuse et très élégante. Il témoigne de l’essor exceptionnel des arts précieux. Le roi, collectionneur particulièrement avisé, était aussi un mécène remarquablement actif auprès du milieu lettré et a contribué à éclairer d’un lustre exceptionnel la cour de France. Après avoir repris vigoureusement Paris, ce brillant souverain dota la ville d’une nouvelle enceinte et parvint en une dizaine d’années à restaurer le prestige du royaume capétien, à chasser les Anglais de pratiquement tout le territoire et à devenir le nouveau maître de l’occident et l’un de ses arbitres, désormais incontournable.

Un souverain savant et homme de lettre éclairé

Le redressement du pays et les réformes politiques ont aussi alimenté une réflexion sur le sens de l’État, conduite par tous les conseillers et intellectuels de l’époque présents dans le sillage de ce souverain instruit, clairvoyant et lumineux qui apparaît en quelque sorte comme un « monarque-philosophe », le Marc-Aurèle des Valois. Il est aussi reconnu pour son appétit de culture et son goût de la science. Ses milliers de manuscrits purent ainsi satisfaire sa soif de connaissances. De nombreux traités d’histoire, d’astrologie ou de philosophie ont nourri sa réflexion et son exigence des savoirs.

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Le règne de Charles V a façonné un État moderne et une monarchie affranchie de l’influence pontificale. Son surnom de « Sage » attribué déjà de son vivant, illustre parfaitement l’image de cet homme éblouissant et courageux, pourtant méconnu et un peu oublié de nos jours dans la liste des rois majeurs de notre histoire. Ce souverain a pratiquement tout réussi. Ce qu’il touchait se transformait en or, de la diplomatie au choix de ses conseillers militaires, financiers ou politiques. Il a su faire rayonner le royaume de France en plaçant la dimension culturelle, architecturale et intellectuelle au cœur même de son action, et ses qualités d’homme d’État majeur firent de lui le grand roi des Valois et probablement l’un des tous premiers souverains de l’histoire de France.

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PAR PHILIPPE ESTRADE-AUTEUR CONFERENCIER

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Journaliste en début de carrière, Philippe Estrade a vite troqué sa plume pour un ordinateur et une trajectoire dans le privé et le milieu des entreprises où il exerça dans la prestation de service. Directeur Général de longues années, il acheva son parcours dans le milieu de l’handicap et des entreprises adaptées. Ses nombreux engagements à servir le conduisirent tout naturellement à la mairie de La Brède, la ville où naquit Montesquieu aux portes de Bordeaux. Auteur de « 21 Merveilles au 21ème siècle » et de « Un dimanche, une église » il est un fin gourmet du voyage culturel et de l’art architectural conjugués à l’histoire des nations. Les anciennes civilisations et les cultures du monde constituent bien la ligne éditoriale de vie de ce conférencier « pèlerin de la connaissance et de l’ouverture aux autres » comme il se définit lui-même. Ce fin connaisseur des grands monuments issus du poids de l’histoire a posé son sac sur tous les continents

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