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PAR PHILIPPE ESTRADE-AUTEUR CONFERENCIER
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Grande et dernière capitale antique de la Mésopotamie, Babylone fut dominatrice et inégalable. Lieu de rencontre des dieux et cœur spirituel entre Tigre et Euphrate, la grande cité de Mésopotamie a illuminé, il y a plus de trois mille ans, l’ensemble de l’Orient et du monde civilisé parallèlement à la grande épopée égyptienne. Les architectes qui édifièrent Babylone eurent l’ambition d’en faire un véritable centre de l’univers où les dieux pouvaient figurer au cœur d’un ordre cosmologique. La tour de Babel au centre de la cité a marqué ce défi d’autorité, cette ambition fondée sur des modèles théologiques. Avant que l’archéologie moderne n’eût fouillé les derniers vestiges du site, Babylone n’était identifiée et connue qu’à travers les références bibliques. L’Ancien Testament fit ainsi naître le mythe de Babylone, relayé plus tard par les auteurs gréco-romains
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BABYLONE, LA RÉFÉRENCE BIBLIQUE
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Les origines de Babylone, identifiée par des documents il y a déjà plus de 4000 ans, demeurent encore controversées bien que des textes bibliques les eussent clairement mentionnées. C’est à la chute du monde assyrien que les Babyloniens héritèrent de ce territoire riche et fertile, en 605 avant J.-C. Impérialiste avisé, Nabuchodonosor II s’empara de Jérusalem et maintint une menace et une pression sur l’ensemble de l’Orient syro-palestinien, de même que sur la prestigieuse Égypte au crépuscule de son fabuleux destin antique. Jusqu’au 19° siècle, l’histoire de Babylone n’était identifiée qu’à travers la Bible puis relayée par les explorateurs européens avides d’orientalisme et à la recherche de la célébrissime tour de Babel. Né grâce à l’Ancien Testament, le mythe babylonien fut glorifié par tous ces aventuriers et ces voyageurs qui évoquèrent la monumentalité et la richesse opulente de la prestigieuse cité.
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L’incontournable mythe de la tour de Babel
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Évoquée par les récits bibliques, elle traduit l’origine de la création du monde et l’arrivée de la civilisation. Dans la culture judéo-chrétienne, la tour de Babel illustre parfaitement l’orgueil primaire des hommes. D’ailleurs, le livre de la Genèse dans la Bible raconte l’histoire de la tour et l’avenir de l’humanité. Après le déluge, l’Arche et les fils de Noé, l’histoire se poursuit avec Yahvé, le dieu des juifs, qui punit les hommes après qu’ils eurent défié la puissance divine en construisant cet exceptionnel monument synonyme d’immodestie, de sottise, d’arrogance, donc de péchés. L’identification de la tour de Babel biblique mêlée avec celle de Babylone ne fait aucun doute aujourd’hui. Pour comprendre les origines, le mot akkadien de Babilum, « la porte divine », a généré « Babel », traduction de l’hébreu. Depuis le Moyen Âge, l’homme s’est efforcé d’imaginer l’aspect de la tour. Avec une iconographie universelle, il est évident que la tour de Babylone a été le monument le plus représenté de toute l’histoire de l’humanité. Le mythe n’a pas fini de fasciner les hommes car son iconographie justement et sa symbolique mythologique demeurent vivantes et agitent encore le monde en perpétuel bouleversement.
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Une cité à l’histoire complexe
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Les origines de Babylone demeurent floues et son histoire est complexe. Avant qu’elle ne fût prise par les Perses au cours du 6° siècle avant J.-C., elle vécut deux mille ans dominée par des monarques majeurs qui s’y distinguèrent, dont Hammurabi et Nabuchodonosor Ier. Puis vint l’âge d’or de la ville, entre le 6° et le 7° siècle avant J.-C. autour du grand Nabuchodonosor II dont le règne identifie la période néo-babylonienne classique. Ce grand souverain parvint à gagner le respect des puissances voisines, dont l’Égypte. Les rédacteurs gréco-latins et les auteurs de l’Ancien Testament saluèrent alors la beauté époustouflante de la majestueuse cité de Mésopotamie. Cependant, séquencer l’histoire complexe de Babylone se heurte aux nombreuses lacunes qui divisent historiens et archéologues, néanmoins unanimes pour admettre que l’histoire de la prestigieuse cité débute avec la première dynastie fondée par le roi Samu-Abun vers 1894 avant J.-C., pour s’éteindre avec la conquête de Babylone par les Perses en 539 avant J.-C.
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Les dynasties amorrite et kassite fixent les bases du prestige de Babylone
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Hammurabi fut incontestablement le souverain le plus remarquable de la dynastie amorrite autour de 1890 avant J.-C. C’est précisément ce grand souverain qui a fixé les bases de l’immense renommée de la grande cité qui devint alors le cœur politique, religieux, économique et culturel de la Mésopotamie. L’époque qui a suivi sous la dynastie kassite fit de la ville la grande puissance de la région qui sut habilement entretenir des relations diplomatiques étroites avec Akhenaton, pharaon d’Égypte, ainsi qu’avec tous les royaumes du Proche-Orient.
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Marduk et le panthéon babylonien
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Déjà, à la fin du second millénaire avant J.-C., la ville abritait une cinquantaine de temples et autant d’autels dédiés à Marduk, le roi des dieux. C’est sous le règne du grand roi Hammurabi, entre 1792 et 1750 avant J.-C., que Marduk, d’abord divinité agraire, devint le dieu national des babyloniens. Deux grandes familles de divinités ont illustré le panthéon des dieux babyloniens. D’abord un monde divin organisé autour d’une famille royale avec ses serviteurs et ses fonctionnaires, formant ainsi le groupe des dieux principaux. Puis apparut un deuxième niveau de dieux, qualifiés de mineurs et d’inférieurs. Les divinités suprêmes étaient constituées d’Anu, père des dieux, et de sept autres grands dieux. Probablement la plus célèbre d’entre eux, Ishtar, déesse de l’amour et de la guerre, Ninhursag, la déesse-mère ou encore Shamash, le dieu-soleil, constituaient les références du dessein religieux babylonien.
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L’ÂGE D’OR DE BABYLONE SOUS LA DYNASTIE CHALDÉENNE
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L’histoire propose une ultime période qualifiée de « néo-babylonienne » entre 1026 et 626 avant J.-C., suivie de la grande période « classique » qui s’écoule de 626 à 539 avant J.-C. C’est précisément dans ce dernier espace qu’apparaissent le grand Nabuchodonosor II et l’immense Babylone. Après avoir vaincu l’empire assyrien, cette dynastie chaldéenne régna sur la quasi-intégralité du Proche-Orient. Le règne du puissant Nabuchodonosor II, Nabû-Kudurri en langue akkadienne que l’on peut traduire par « Dieu Nabu, protège ma descendance », a duré 43 ans. Nabuchodonosor II s’est inspiré dans son action de trois modèles : d’abord celui de Sargon, fondateur du premier empire mésopotamien vers 2330 avant J.-C., du grand Hammurabi à l’origine de la première grandeur de Babylone et enfin de Nabuchodonosor Ier qui écrasa le peuple élamite voisin qui avait envahi Babylone.
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Nabuchodonosor II, un conquérant respecté
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Dès le début du 7° siècle avant J.-C., ce conquérant infatigable, souverain qualifié partout de juste, gagna le respect et l’admiration des États voisins et fut un ardent promoteur d’une vie urbaine marquée par d’audacieux programmes de constructions civiles et artistiques sans omettre la restauration de Babylone. Le commerce fluvial était d’une importance capitale et stratégique sur les fleuves assyriens, et bien qu’ils fussent praticables, les nombreux méandres du Tigre et de l’Euphrate pouvaient ralentir les navires qui remontaient le courant vers les différentes cités. Avec la construction de canaux, le bassin mésopotamien se dota d’une ingénierie hydraulique performante et remarquable pour l’époque, il y a près de trois mille ans. L’Ancien Testament et tous les grands auteurs grecs et latins ont souligné le génie de cette civilisation, la beauté incomparable de la cité et la dimension exceptionnelle du grand souverain que fut Nabuchodonosor II.
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L’empire agrandi du sud de l’Anatolie et aux terres syro-palestiniennes
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Ce roi conquérant a mené de nombreuses opérations militaires pour étendre l’empire et consolider ses frontières. Déjà, en 605 avant J.-C., il parvint à écraser les troupes égyptiennes à Karkemish dans la région syro-turque, et dès lors, Babylone connut une période dominatrice en Orient et un faste sans précédent durant une quarantaine d’années. L’Anatolie, l’actuelle Turquie d’Asie occidentale, et les terres syro-palestiniennes connurent à leur tour l’audace et l’hégémonie de Babylone.
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L’exil du peuple de Judée sous Nabuchodonosor II
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À deux reprises entre 597 et 568 avant J.-C., les territoires de Palestine et de Samarie subirent les assauts de l’armée de Nabuchodonosor II, et Jérusalem fut chaque fois le théâtre de saccages et de pillages en règle. Le désastre total de ces terres juives et de Jérusalem a marqué un tournant pour le peuple de Palestine, le peuple judéen. L’élite juive politique et religieuse, dont la famille royale, prit alors une fois encore la route de la déportation, vers Babylone cette fois-ci. La chronique mais aussi l’Ancien Testament précisent très clairement que ces conquêtes militaires ont conduit à un nouvel exil du peuple juif. Mais les années de domination de la grande Babylone étaient comptées. En effet, Cyrus II le Grand, roi perse achéménide, assiégea la ville vers 539 avant J.-C. et mit fin à l’hégémonie de la prestigieuse cité dans ce Moyen-Orient agité qui vit régulièrement l’émergence de nouvelles et ambitieuses civilisations. La grande aventure d’une Babylone puissante, indépendante, hégémonique et libre prit alors progressivement fin au profit de la Perse conquérante.
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LA CITÉ DE NABUCHODONOSOR II ADMIRÉE ET CRAINTE
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Sous la domination de ce grand souverain, Babylone avait le statut de plus grande cité du monde antique, et sa dimension culturelle et sa force spirituelle éclairaient et dominaient tout le Moyen-Orient jusqu’à l’Anatolie que l’on qualifiait d’Asie Mineure. Il fallut protéger ce nouveau centre du monde, et la ville traversée par un bras de l’Euphrate se dota d’une immense enceinte entourée d’eau et d’une ziggourat qui illuminait et dominait son cœur comme un phare spirituel. C’est à l’issue de la conquête de Ninive, capitale de l’empire assyrien, par Nabuchodonosor II vers 612 avant J.-C. que Babylone fut progressivement perçue comme une cité unique, une capitale universelle. C’est par une prodigieuse voie processionnelle, parfaitement identifiée aujourd’hui par les archéologues, que se déroulaient les cérémonies en l’honneur de Marduk, le dieu majeur du panthéon babylonien, après avoir franchi la célébrissime porte d’Ishtar. Figurant sur la liste des Sept Merveilles du monde, les jardins suspendus de Babylone que l’on a cependant des difficultés à localiser, illustrent la grandeur et la douceur des terrasses luxuriantes du palais des souverains.
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Les premières fouilles archéologiques
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La découverte des premiers vestiges de la porte d’Ishtar à la fin du 19+ siècle par l’allemand Robert Koldewey suscita un enthousiasme considérable en Europe alors que français et anglais, déjà sur place, avaient fouillé le nord de la Mésopotamie. En se polarisant sur l’ancienne Babylone qui devint le siège des fouilles du musée de Berlin, Koldewey commença à travailler en 1899 après s’être arrêté à Baalbek dans l’actuel Liban, à Damas et à Alep en Syrie. L’archéologue allemand, comme souvent au 19° siècle, était accompagné d’un dessinateur, le talentueux Walter Andrae. C’est en 1913 que Koldewey parvint à localiser la ziggourat, identifiée comme la mythique tour de Babel de l’Ancien Testament.
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La porte d’Ishtar, œuvre majeure de Nabuchodonosor II
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La principale porte de la ville qui en comptait huit, dédiée à Ishtar déesse de l’amour et de la guerre, décorée de briques émaillées bleutées, ouvrait la voie processionnelle. Ce fut l’œuvre majeure du grand roi Nabuchodonosor II. Serpents-dragons et taureaux composaient la décoration de la célèbre porte flanquée de deux tours. De chaque côté de la voie sacrée, soixante lions à l’attitude menaçante décoraient une frise somptueuse. La porte est aujourd’hui reconstituée au musée Pergame de Berlin. Taureaux et dragons y ont été dessinés d’une manière magistrale et à l’identique des originaux. Les bas-reliefs de serpents-dragons étaient nombreux à Babylone. Ces créatures de la mythologie babylonienne, attribuées à Marduk le grand dieu majeur, ornaient l’intégralité des murs de la délicieuse porte d’Ishtar. Puis loin, l’immense palais royal, complexe trapézoïdal de 300 mètres de long, pouvait être parcouru en traversant par les toits-terrasses les patios centraux qui communiquaient les uns avec les autres.
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La ziggourat de Nabuchodonosor II
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La ziggourat, tradition mésopotamienne, symbolise l’art religieux et architectural des peuples qui évoluèrent en Mésopotamie et au Proche-Orient. Véritables tours à étages, elles n’existaient que dans les cités majeures. Montagne artificielle réalisée en pisé et en brique, la ziggourat supportait un temple à son sommet, dédié à Marduk, auquel l’on accédait par des rampes et des escaliers monumentaux. Les plus anciennes furent réalisées dans les pays de Sumer vers 2100 avant J.-C. En revanche, la plus récente est bien attribuée à Nabuchodonosor II. Robert Koldewey a parfaitement identifié la ziggourat de Babylone dans l’immense champ de ruines, et les fouilles entreprises en 1913 permirent de comprendre l’architecture détériorée du monument. Les pierres de la ziggourat ont plus tard servi à dresser des maisons des environs du site, comme souvent hélas, et même un barrage sur l’Euphrate à une époque où la prise de conscience du patrimoine archéologique n’était pas une préoccupation prioritaire.
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Les jardins suspendus de Babylone
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Entourés de mystères, les jardins suspendus de Babylone apparaissent dans la liste des Sept Merveilles du monde, établie probablement par Philon de Byzance il y a plus de 2000 ans. Dans l’Antiquité déjà, Diodore de Sicile, à qui l’on attribue aussi parfois la fameuse liste, s’était ému devant la somptuosité des jardins et indiqua qu’ils furent réalisés à la requête d’une courtisane d’origine perse qui inspira le roi pour imiter à Babylone les prés et les jardins de Perse. Néanmoins, aucun texte des souverains babyloniens dont Nabuchodonosor II ne mentionne la présence des jardins. La plus crédible des possibilités situerait les jardins près du palais sud où des fouilles ont mis à jour des canalisations d’eau et des puits. Bien que les jardins suspendus fussent toujours associés à Babylone et à Nabuchodonosor II, certains historiens sembleraient les identifier plutôt à Ninive, en vertu du déchiffrement d’une inscription syrienne qui évoque des jardins édifiés à Ninive près du palais. Ils sont même définis comme « une merveille pour tous les peuples ».
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Le prestige de Babylone, dernière capitale de l’antique Mésopotamie, fut exceptionnel. Idéologues religieux et architectes en ont fait une ville inégalable qui marque toujours notre imaginaire. Cité considérée comme le centre de l’univers, elle a impulsé l’astronomie, les mathématiques, l’astrologie et les principes divinatoires. Déjà, le « planisphère de Ninive » sous Assurbanipal qui a précédé la grande Babylone présentait sur des tablettes d’argile des représentations saisissantes de constellations. Avec l’arrivée du colonialisme arabo-musulman au 7° siècle, Babylone disparut, et seul un bourg perdu rappelait plus tard qu’ici le génie d’une civilisation antique s’était exprimé et avait dominé tout l’Orient. Le souvenir vibrant de Babylone fut néanmoins véhiculé en Occident par les auteurs classiques jusqu’au relais pris au 19° siècle avec les archéologues qui s’attachèrent à éclairer nos connaissances sur l’envoûtante cité. La réalité historique, issue de la recherche archéologique, terrassa les mythes et les doutes car Babylone et ses symboles jaillirent alors à la face du monde.
PAR PHILIPPE ESTRADE-AUTEUR CONFERENCIER
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Journaliste en début de carrière, Philippe Estrade a vite troqué sa plume pour un ordinateur et une trajectoire dans le privé et le milieu des entreprises où il exerça dans la prestation de service. Directeur Général de longues années, il acheva son parcours dans le milieu de l’handicap et des entreprises adaptées. Ses nombreux engagements à servir le conduisirent tout naturellement à la mairie de La Brède, la ville où naquit Montesquieu aux portes de Bordeaux. Auteur de « 21 Merveilles au 21ème siècle » et de « Un dimanche, une église » il est un fin gourmet du voyage culturel et de l’art architectural conjugués à l’histoire des nations. Les anciennes civilisations et les cultures du monde constituent bien la ligne éditoriale de vie de ce conférencier « pèlerin de la connaissance et de l’ouverture aux autres » comme il se définit lui-même. Ce fin connaisseur des grands monuments issus du poids de l’histoire a posé son sac sur tous les continents