Entre les lignes(25): Damas, le scintillement des larmes de Catherine Le Pelletier

Par Dominique Lancastre.

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« Damas, le scintillement des larmes » aux Editions Neg Mawon

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D’une écriture fluide et limpide Catherine le Pelletier nous plonge dans l’univers de l’un des artisans de la négritude, Léon-Gontran Damas. De la Guadeloupe à la Guyane et au Brésil, à travers Manoune, la nièce de Léon qu’elle appelle Tonton Léon, nous découvrons peu à peu l’histoire de cet auteur, poète fabuleux.

Le livre se divise en plusieurs petits chapitres qui permettent une lecture assez agréable, et permettent aussi au lecteur de saisir toute la progression de la vie de ce tonton Leon.

 Le lecteur est tout de suite happé par le récit de Mamoune.  Mamoune vit en Guadeloupe et c’est avec une très grande joie et beaucoup d’enthousiasme qu’elle raconte son tonton Léon. La Côte-sous-le-vent, en Guadeloupe, est mentionnée dès les premiers paragraphes du livre, ce qui permet à l’auteur d’asseoir les bases de son roman. Car, bien que Catherine le Pelletier parle de Damas, il ne sagit pas d’un essai ni d’un mémoire mais bien d’un roman qui excelle par sa capacité à faire revivre les souvenirs de Damas à travers sa nièce, dont nous hésitons à savoir si elle existe vraiment ou bien si c’est un personnage fictif. Nous apprenons beaucoup de choses sur l’enfance de Damas. Damas enfant, Damas et sa famille, Damas et la politique, Damas et sa vie privée et enfin Damas face à la maladie. Tout cela à travers Mamoune.

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Les chapitres les plus longs sont consacrés à la vie politique de Damas.  Là encore, Catherine le Pelletier réussit à nous raconter cette partie sans nous embarquer dans de la technicité. Les faits sont là et brillamment ordonnés de façon à ce que le lecteur ait une idée précise de la manière dont les choses se sont déroulées.  Il n’est pas toujours facile de parler de sujets politiques épineux mais le lecteur prendra connaissance de certains faits sans se lasser. C’est un roman bien documenté avec des dates précises.

La partie la plus touchante, est selon moi la découverte de la vie privée de Damas et des femmes qui ont compté dans sa vie. C’est à la fin du roman que nous découvrons le Brésil et la compagne brésilienne du poète. Un récit en toute simplicité qui remet Damas dans sa condition d’homme.

Enfin, le livre met l’accent sur l’embrouille entre le poète et les autres pères de la Négritude. Si le lecteur n’a pas connaissance de cette partie de l’histoire concernant la Négritude, quelques paragraphes y sont consacrés sans pour autant que l’auteur ne porte de jugement ni de parti pris.

Damas, le scintillement des larmes est un excellent roman et j’invite tous les lecteurs qui s’intéressent aux pères de la Négritude à s’y attarder. En effet, le roman brille par l’aptitude de Catherine le Pelletier à mettre en exergue un LéonGontran Damas très connu, mais il manque certaines pièces au puzzle et c’est à travers Mamoune que ce puzzle s’harmonise. Afin de compléter cet article, Catherine Le Pelletier a bien voulu répondre à quelques questions concernant son travail sur Damas. Ce qui va permettre d’éclairer cette critique littéraire.

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1. Pourquoi Damas ?

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Léon-Gontran Damas est une figure majeure non seulement du mouvement de la négritude, mais aussi de la littérature de Guyane. Ses écrits sont toujours aussi vibrants, ils interpellent le lecteur, lui parlent et enfin s’immiscent dans ses émotions. Aujourd’hui, la force poétique de Damas est bien présente, même si l’homme s’en est allé pour le plus long voyage en 1978.

Et puis, Damas a été un fin politique, dont les préconisations pour la Guyane restent plus que jamais d’actualité. Député, il est intervenu plusieurs fois à l’Assemblée pour affirmer sa vision du développement de la Guyane. Ensuite, alors même qu’il n’était plus député, il a fait entendre sa voix. Par exemple, il a été farouchement opposé à la loi sur l’Assimilation, défendue par Césaire, Monnerville et d’autres.

Enfin, j’ai eu envie de redonner vie à Damas le temps d’un roman, que l’on se rappelle sa forte personnalité et également celle de quelques-uns de ses amis.

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2. Comment as-tu réuni toutes ces informations, surtout celles concernant la partie politique ?

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La vie de Damas est associée à une période politique intense. Heureusement, les témoignages ne manquent pas. C’est ainsi que je me suis appuyée sur les écrits de l’époque, pour donner la parole à des personnages que l’on retrouve aisément dans la presse guyanaise. Ainsi, chaque affirmation se réfère à un élément de la réalité passée que je donne au lecteur.

Autour de Damas, il est aussi question de René Maran, dont on célèbre en 1921 le centenaire du Goncourt pour son roman Batouala ; il est également question de Auguste Horth, une personnalité que les Guyanais connaissent bien pour ses prises de position politiques. Là encore, les écrits sont accessibles, notamment aux Archives territoriales.

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3. Concernant Mamoune, est-ce un personnage fictif ou l’as-tu vraiment rencontrée ?

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Le personnage de Mamoune relève bien de la fiction. Cela dit, de nombreuses Mamoune existent, ce sont ces personnes qui se démènent pour saisir la moindre étincelle de vie, la contempler, la savourer, avant que leur flamme ne vacille et ne s’éteigne définitivement. Elles sont amoureuses de l’existence et lui rendent hommage comme elles le peuvent.

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4. Quel est l’intérêt de faire ce travail-là sur Damas actuellement?

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Chaque pays possède son propre Panthéon. Au Panthéon de la Guyane, Damas bénéficie d’une belle place. Et puis, chaque territoire constitue ses propres repères historiques et parfois légendaires. La richesse de la vie de Damas associe par exemple le poète Robert Desnos, dont la contribution aux mondes de la poésie, du surréalisme, de la création littéraire en général est incontestable. Avec Damas, il y a de la vie, de l’amour aussi.

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5. Le roman commence par la côte sous levant en Guadeloupe et notamment Vieux-Habitants est nommée. Pourquoi ce choix ?

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Aujourd’hui, nous vivons à l’heure de l’hyper communication. Au temps pré-Covid, nous nous déplacions vite et nous nous rendions dans des pays, des endroits qui, autrefois n’étaient accessibles qu’après une longue traversée. Dans nos contrées aussi, des ponts ont été installés entre les peuples et les pays. Tant et si bien que rares sont les Caribéens (au sens de la Grande Caraïbe), qui ne connaissent pas les pays voisins : un Guyanais va au Surinam, au Brésil, en Martinique ou en Guadeloupe. Les Guadeloupéens, tout comme les autres, ont aussi tissé des liens avec leurs voisins, comme la Dominique ou Haïti.

Pour autant, chacun de nos territoires possède d’immenses forces et richesses. C’est ce que j’ai voulu montrer pour la Guadeloupe avec la promenade de Mamoune dans le Sud-Basse-Terre. Vieux-Habitants regorge d’authenticité et de beauté.

Mais dans l’ouvrage, il est aussi question d’autres lieux de Guadeloupe et de Guyane : nos géographies intérieures rejoignent souvent le réel.

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Par Dominique Lancastre

Pluton-Magazine/Paris16/2021

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L’auteur

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Catherine le Pelletier est auteure d’une dizaine d’ouvrages. Ses oeuvres s’organisent en un triptyque. D’un côté les recherches scientifiques dont le coeur, la littérature caribéenne, pose la question d’identité.

Ses fictions offrent une place de choix à l’interrogation identitaire, l’affirmation féminine et l’environnement de la Grande Caraïbe. une autre partie de ses créations concerne la transmission des cultures.

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Extrait

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Triste constatation que celle de Mamoune, lorsqu’elle me confie :

            — La parole aura joué bien des tours à mon oncle, sa vie durant. Une parole dont il s’est beaucoup servi, qu’il a utilisée parfois pour rire et imiter les autres avec son immense talent de dialecticien. Il avait toujours la répartie qu’il fallait, le mot pour rire. Son discours était juste aussi. Le verbe était son ami. Mais, finalement, c’est bien cette parole qui s’est bien moquée de lui et qui a eu le dernier mot.

            Mais oui, tu sais bien, souviens-toi, Damas resté muet pendant presque sept années, au tout début de sa vie. Prononcer un seul son cohérent lui était impossible. Arrivé au bout de son chemin, il est mort à l’hôpital de l’Université Georges Washington, ce 22 janvier 1978, sans pouvoir articuler un seul mot, un cancer à la langue l’en empêchait. Tonton Léon a bouclé sa boucle, terminé son petit tour sur terre avec nous. Lui pour qui les mots avaient une signification si grande s’en est allé sans même pouvoir dire au revoir. Alors, puisque nous n’avons pas eu d’adieu, il me plaît d’imaginer qu’il est toujours là. Tu vois, ses petits yeux tout pleins de vie, derrière ses lunettes, ils nous disent de continuer, de poursuivre notre route, au nom de nous-mêmes, et des autres.

            Il n’aura pas eu le temps non plus de voir la petite maison en bois, celle de Man Piéro, entièrement repeinte en orange-latérite, avec ses volets vert-anis. Les rideaux, dis-tu ? Ils sont d’un blanc scintillant, celui grâce auquel la lumière se diffuse dans les moindres recoins. Man Piéro et Mouché Piéro n’ont pas eu d’enfant. Lui est parti en premier, fatigué de la vie. À la fin, il n’avait plus assez d’énergie pour répondre aux demandes de travail que de nombreuses personnes lui faisaient passer, connaissant son sérieux et son talent. Il a toujours été très actif, tu sais. Son immobilité forcée par la maladie l’a entraîné, et, jour après jour, lui a ôté toute envie de lutter. Man Piéro a pris soin de lui jusqu’à la fin. Quand il est parti, elle a demandé à me voir. Cette toute dernière conversation m’accompagne désormais. C’est là qu’elle m’a parlé, pour la première et toute dernière fois.

            Man Piéro me demande de m’asseoir sur un petit banc, tout à côté de sa berceuse. Doucement, le mouvement l’entraîne, c’est une cadence répétitive qu’elle marque, les mains à plat sur les rebords lisses de son fauteuil ancien. Le plancher de la maison craque ici et là, jouant ainsi avec les pressions de la chaleur extérieure.

            Elle ferme les yeux, esquisse un sourire. C’est la marque de son arrivée sur le pas de son univers onirique. On l’y reconnaîtrait entre mille, tant son expression reflète la joie.

            Elle commence son récit.

(Extrait Damas, le Scintillement des larmes, pp.100-101, éd. Neg Mawon, 2020)

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Liens

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