Entre les lignes (28) : L’Iran à fleur de peau d’Elodie Bernard

Par Dominique LANCASTRE

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L’Iran à fleur de peau est un fascinant récit de voyage sur un pays que l’on connaît peu. On entend parler de l’Iran surtout de l’extérieur entre embargo, guerre Iran-Irak, élection présidentielle tumultueuse, révolution des jeunes et nucléaire. Mais connaissons-nous vraiment ce pays et pouvons-nous vraiment en parler de la sorte sans jamais y avoir mis les pieds ? Élodie Bernard nous propose une autre alternative, celle de visiter ce pays à travers ses nombreux voyages.

« C’est mon premier séjour en Iran et ce qui en ressort le plus, c’est le décalage existant entre ce qu’on lit dans les médias en Occident et ce que je vis ici même. »

Le récit n’est pas en continu comme cela se fait en général pour les voyages. Ici, c’est une succession de voyages qui s’étalent de 2005 à aujourd’hui. Invitée par Maryam, une amie iranienne étudiante en arts plastiques à Paris, Élodie découvre l’Iran pour la première fois en passant un séjour dans sa famille à Kashan. Une aubaine, car quoi de plus intéressant pour découvrir un pays que de le vivre de l’intérieur dans une famille. Elle est surprise dès son arrivée par la chaleur car il faut savoir qu’en Iran, quand il fait chaud il fait chaud. Elle revient assez souvent sur cette chaleur accablante tout au long du récit.

Puis, l’accueil chaleureux mais aussi les codes. Nous sommes en terre musulmane et donc tout est régi selon des codes. Pour une occidentale, il n’est pas toujours facile de comprendre mais elle s’adapte tant bien que mal. Notamment en ce qui concerne le port du voile. Elle est là pour découvrir un pays sans idées préconçues.

« Aujourd’hui, Maryam ne cesse de me dire “ tu ne dois pas attirer la lumière ou encore réajuste ton voile s’il te plaît, on voit tes cheveux. La difficulté de mon intégration aux codes sociaux iraniens s’accorde parfaitement à sa volonté de se dérober à ses problèmes intérieurs. Revenir dans son pays et dans sa famille, après avoir vécu deux ans seule expatriée à Paris, n’est pas facile pour elle. »

Ce qui rend le récit très intéressant, ce n’est pas seulement qu’on découvre page après page les us du pays mais c’est aussi la capacité d’ Élodie Bernard à nous décrire avec précision ce qui se passe car elle voyage en bus.

En 2006, elle fait un deuxième voyage en Iran mais pas en tant que touriste car elle a réussi à trouver une place de journaliste à La Revue de Téhéran et nous explique alors le mode de fonctionnement de la presse en Iran.  Elle sympathise avec Arefeh, une jeune étudiante en litterature française à l’université de Téhéran et qui manie très bien la langue française. Arefeh lui explique alors le fonctionnement de la presse.

Étant dans un pays où les hommes sont séparés des femmes, il est normal qu’Élodie Bernard soit en contact avec plus de femmes que d’hommes pendant ses nombreux séjours. Elle comprend rapidement la condition féminine dans ce pays mais c’est un récit de voyage et non un pamphlet politico-religieux même si la politique et la religion sont omniprésentes. Et au fur à mesure qu’elle comprend le pays, son désir de le visiter en long en large croît.

« Mes pérégrinations en Iran cette année ont été façonnées par le hasard des rencontres, libres et fortuites, d’un rythme peu régulier, variant de la frénésie au calme plat. J’ai avalé des kilomètres en autocar à travers le pays. Plus j’en avalais, plus il m’en fallait. Plus long est le chemin, plus riches sont ses promesses ».

De 2009 à 2012, Élodie Bernard visite le pays un peu plus longtemps et essaie d’en saisir la profondeur. Elle rencontre plusieurs personnes et quel que soit le pays, lorsqu’il y a des interdits, il y a toujours des transgressions. Donc des fêtes non autorisées sont monnaies courantes. Et même si elle accepte par moment de telles invitations à Téhéran on ne sait jamais comment cela va se terminer, elle le souligne elle-même. Mais étant une occidentale et se sachant dans un pays où les lois sont très strictes, ce n’est pas sans crainte qu’elle y assiste lorsqu’elle est invitée à ces rassemblements. Cela réveille en elle certains questionnements.

« Transgresser les lois d’un pays qui m’invitait, cela me mettait mal à l’aise. Mais d’un même coup, je m’interroge. Il y a chez moi cette propension à suivre avant tout mon intuition, quitte à ne pas m’en remettre exactement aux recommandations d’autrui. C’est ma manière de ne pas rentrer dans une case ou de ne pas être là où l’on m’attend. »

Rien n’arrête sa soif de connaître ; en 2012 elle se rend au Kurdistan. Un voyage à risque mais très intéressant. Elle visite Erbil et rencontre Kanan Mufti, l’un des conseillers du ministre de la Culture. Une rencontre qui s’avère très enrichissante puisqu’elle sera invitée en des lieux inespérés. Le passage au Kurdistan est ponctué de quelques anecdotes que le lecteur aura plaisir à découvrir.

De 2012 à 2015, Élodie Bernard continue à visiter l’Iran mais le lecteur se rend rapidement compte qu’elle se passionne pour ce pays qui semble à la fois très loin et fermé pour nous mais qui est en réalité tout à fait accessible, en ayant à l’esprit en bon voyageur qu’on doit toujours rester à sa place d’étranger et respecter les codes du pays. C’est valable pour l’Iran mais pour n’importe quel autre pays.

« Comme une évidence, les chemins de traverse se sont imposés dans ma vie, le Tibet, l’Himalaya, l’Iran, l’Irak, le Moyen-Orient tout entier. Aussi paradoxal soit-il, moi qui m’obstine à n’entrer sur aucun rail, je vais dans un pays où les rails de la vie et du parcours professionnel sont plus rigides, restreints, clandestins, invisibles à l’œil nu que dans mon propre pays. »

ISBN : 9782072898587 Collection Le sentiment géographique, Gallimard

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Interview

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Vous racontez beaucoup de choses dans ce récit de voyage. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué en Iran ?

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Dans L’Iran à fleur de peau, j’ai raconté ma rencontre avec le pays, ses habitants et sa culture. Ce fut une rencontre progressive. L’Iran n’est pas un pays facile d’accès, notamment sur le plan des mœurs. Tout est codé, les marques de politesse sont très importantes, parfois trop pour moi qui suis tant attachée à ma liberté ! C’est sur ce point que j’ai beaucoup appris lors de mon premier séjour à Kashan, petite ville du centre du pays. Je vivais dans une famille qui m’avait invitée pour tout l’été et à leurs côtés, j’ai assimilé les bonnes règles de conduite. Lors de mon deuxième séjour, j’ai travaillé dans la rédaction d’un magazine iranien, La Revue de Téhéran, affilié au groupe de presse Ettelaat. Cette fois, ce sont aux codes professionnels que je me suis confrontée. De plus, j’étais logée dans le dortoir de Téhéran, un lieu fantastique pour rencontrer tout un tas de monde ! Je me suis fait des amis que j’ai revus à chacun de mes passages en Iran, notamment après les évènements de 2009 − ce qu’on a appelé la révolution verte. J’ai écouté leur récit.

         À chaque fois, mes voyages me faisaient découvrir un pan différent de la société iranienne : des classes traditionnelles aux plus aisées, des conservateurs aux libéraux. Ce furent des rencontres qui me marquèrent : un berger dans son champ, le cinéaste Abbas Kiarostami, des étudiants, des journalistes… Comme si le pays s’effeuillait au gré de mes séjours, tout en gardant une part de mystère à soulever pour la fois d’après. D’où le sous-titre de mon livre : « Moments et réflexions de voyage de 2005 à nos jours ».

         Ce qui m’a le plus marquée après toutes ces années à pérégriner dans le pays, c’est la gentillesse des Iraniens, leur attachement à l’hospitalité. Toutes les familles qui m’ont accueillie à Qom, à Kashan ou encore à Téhéran. Les vieillards, fumant l’opium au pied du château d’Alamut, fief des sanguinaires hashishins, qui m’ont spontanément hébergée chez eux. On se retrouve alors vite en décalage avec les discours de leurs dirigeants − parfois très agressifs envers l’Occident et les Occidentaux.

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Avez-vous eu un moment peur en Iran et pourquoi ?

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Je n’ai jamais vraiment eu peur. En revanche, j’ai connu de vrais instants de bonheur ! Les Iraniens savent faire la fête. Qu’importe s’il y a du vin ou non ! Il y aura des chants et de la musique. Je me souviens d’une soirée de premier de l’an. Un ami iranien, Hamid, m’avait emmenée à une soirée clandestine chez une amie commune. La soirée avait lieu dans un garage transformé pour l’occasion en petite discothèque. Boules à facette et sono à fond ! Nous avons dansé toute la nuit ! Très étonnant quand on sait que la nuit, les patrouilles veillent au silence.

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Deux scènes ont retenu mon attention : la scène où vous avez regardé dans les yeux un guide religieux et la scène de la matraque. Qu’avez-vous ressenti à ces moments-là ?

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Ces deux scènes ont donné lieu à de petites altercations. Pour la première scène que vous citez, je regardais un homme religieux avec défiance selon lui, c’est-à-dire droit dans les yeux. Pour la deuxième scène, un homme a sorti à ma hauteur un bâton pour me faire mal, alors qu’il roulait à vive allure en mobylette. Que ce soit l’homme religieux ou le motard, tous deux m’ont pris pour une Iranienne et qui, par conséquent, ne respectait pas l’ordre de la société. En effet, on ne doit pas regarder les gens droit dans les yeux, c’est plutôt malpoli en Iran. Aussi ma curiosité a-t-elle été perçue comme un affront. Dans le deuxième cas, mon léger voile blanc sur la tête ne correspondait pas aux mœurs des Iraniennes du lieu où je me trouvais et qui portaient en grande majorité le tchador noir. Le motard m’a probablement prise pour une snob de Téhéran !

         Ces deux scènes ont eu lieu lors de mon premier séjour en Iran. Et je ne connaissais encore que trop peu les us et coutumes du pays. J’ai été plutôt mal à l’aise, surtout vis-à-vis de la famille qui m’invitait. Mais je ne me suis pas sentie en danger pour autant.

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Il semblerait que vous avez visité l’Iran avant le Tibet. Pourtant, vous avez écrit sur le Tibet avant. Pourquoi ?

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Le but narratif de cette longue aventure, cette immersion en territoire persan, c’est de faire connaître l’Iran de l’intérieur et de suivre à mes côtés mon cheminement qui a été progressif. Je ne fais pas que le traverser. Je n’y suis pas arrivée en disant que je connaissais tout ce pays, avec des préjugés ou à l’inverse avec beaucoup d’enthousiasme. J’y suis entrée avec humilité, en ouvrant grand mes yeux et mes oreilles, comme tout voyageur le fait en pénétrant un territoire inconnu. Malheureusement pour ses habitants, l’Iran est un pays qui engendre un discours idéologique lourd qui est fortement relayé, que ce soit à l’intérieur de ses frontières ou sur la scène internationale. J’ai pris du temps pour écrire sur le pays afin d’être libre de tout discours idéologique.

         Mon aventure au Tibet, quant à elle, a été intense. Ce sont les Tibétains qui l’ont rendue intense par leur bienveillance et leur extrême générosité, alors qu’ils vivent sous le joug d’une répression innommable. Aujourd’hui, le Tibet est identifié comme le pire endroit au monde, sur le plan des droits de l’homme, aux côtés de la Syrie ! J’y suis allée pour les Jeux olympiques d’été de Pékin 2008. Âgée alors de 24 ans, je m’étais lancé le défi d’être aux côtés du peuple tibétain le premier jour du lancement des jeux. Défi réussi ! Le 8 août 2008, j’étais à Lhassa, après un périple loin d’être ordinaire ! J’étais rentrée sans autorisation en Région autonome du Tibet, lieu complètement quadrillé par les forces militaires chinoises et où il faut absolument une autorisation pour entrer. Je ne suis pas restée sur les marches tibétaines, ces franges du plateau tibétain où Tibétains et Chinois coexistent et où les voyageurs étrangers peuvent se rendre sans autorisation. Je suis allée en plein cœur du Tibet, à Lhassa, terre des dieux. Et là-bas, la résistance se fait au quotidien, elle est loin d’être affaiblie. Je le raconte dans mon livre Le Vol du paon mène à Lhassa, publié également aux éditions Gallimard. Je connaissais déjà le peuple tibétain en exil en Inde et au Népal, dans les montagnes himalayennes où j’avais beaucoup voyagé quand j’étais adolescente.

         L’aventure tibétaine a été comme une fulgurance. Le départ a été pris sur un coup de tête. L’écriture a jailli en chemin.

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J’ai retenu que vous piétinez beaucoup dans votre appartement à Paris, quand le désir de partir vous démange. Avez-vous l’intention de partir pour une nouvelle destination. Et si oui, laquelle ? Pourquoi ?

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En toute franchise, je ne connais pas encore ma prochaine destination ! Pendant les années où j’ai voyagé en Iran, je souhaitais aussi dévorer les pays à proximité, l’Irak par exemple. J’étais consultante en stratégie à l’international, j’avais donc beaucoup de possibilités de voyager. Aujourd’hui, ce sont vers d’autres destinations que je souhaiterais aller. J’en ai beaucoup à l’esprit, je verrai bien laquelle se concrétise en premier.

Élodie Bernard

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A propos d’Elodie BERNARD

Crédit photo Gallimard Montovani Francesca

Élodie Bernard a parcouru très jeune avec son père la Cordillère des Andes, L’Himalya, le Karakorum et l’Hindu Kush ce qui l’a rendue familiere des aventre au long cours. Ses parents sont chirurgiens-dentistes. 

Élodie Bernard est diplômée de l’ Institut d’études politiques de PAris, de L’université Panthéon-Sorbonne en relations internationales et a suivi diverses formations transversales , notamment en psychanalyse à l’Université Paris-VII et l’ecole de guerre économique

Elle est membre de la Société des explorateurs français. Elle est consultante en stratégie à l’international depuis plusieurs années.*

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Dominique LANCASTRE

Pluton-Magazine/ Paris 16/2021

* Bio extrait Wikipedia

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