Entre les lignes (32): De quoi aimer vivre de Fatou Diome

Par Dominique LANCASTRE

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Avec De quoi aimer vivre, Fatou Diome revient à son premier amour, on peut dire : la nouvelle. De quoi aimer vivre est un hymne à la vie car en brodant et en tricotant tous ces personnages, Fatou Diome nous invite à réfléchir sur le vrai sens de la vie. Ce que nous croyons voir n’est pas toujours ce qu’il en est et très souvent la réalité nous échappe, à tel point que nos vies se trouvent transformées, bouleversées à tout jamais.

Il y a dans chacun des personnages qu’elle nous présente une leçon de vie à retenir. Si certains prêtent à sourire comme celui d’Andy, ou encore le boxeur DD ou Octave et Candice ou bien encore Touty, il n’en reste pas moins que tous ces personnages sont habités par une profonde tristesse ; sans doute que l’auteure est habitée elle-même par une profonde tristesse et une très grande mélancolie. Dans le titre, il y a deux verbes qui attirent l’attention du lecteur averti. Aimer et Vivre. Car en réalité, la chose la plus importante ici-bas est l’amour. L’amour de l’être cher, l’amour de son prochain, l’amour de la vie. Et quand il n’y a plus d’amour, il n’y a plus de vie.

Le premier personnage qui apparaît dans ce recueil de nouvelles très intéressant est le personnage d’Andy. Handicapé, dans la trentaine, toujours à vouloir embrasser toutes les dames et à faire son show dans un monde où la vie s’étiole. Lorsqu’on progresse dans la lecture, il se dévoile comme étant voyeur. Mais, Fatou Diome nous tricote Andy d’une telle façon que la somme de ses défauts devient en réalité des atouts et ce, à tel point qu’il devient si attachant que lorsqu’il disparaît comme cela sans crier gare, le lecteur ne peut s’empecher d’avoir un pincement au cœur. Bien entendu, nous sommes dans l’imaginaire mais on peut penser que l’auteure a rencontré à un moment donné ce personnage d’Andy si attachant.

Autre fait marquant dans cette série de personnages brossés par Fatou Diome, c’est le nombre d’hommes mis en scène.  Qu’il s’agisse d’Andy ou de DD le boxeur qui de prime abord nous apparaît comme un personnage détestable et sans éducation et qui traite le serveur qui prend du temps à le servir comme moins que rien, ou encore d’Octave, amoureux de Candice mais qui n’ose pas le lui avouer. Fatou Diome présente les hommes comme des êtres très faibles, très fragiles mais qui utilisent une carapace en société. Cette façon de décortiquer la sensibilité cachée des hommes pourrait ou pourrait ne pas être le but de l’auteure mais avec la nouvelle, le doute plane toujours. La nouvelle enfant du roman et de la poésie nous surprend toujours.

Cependant, ne vous y trompez pas, si De quoi aimer vivre commence par décortiquer les hommes, deux femmes apparaissent dans cet ouvrage. Touty et Samira.

Touty nous est présentée comme une folle, sans doute est-ce la folie que nous avons tous en nous lorsque par amour nous sommes amenés à nous comporter de façon inattendue, car l’amour rend fou mais vivre peut rendre fou aussi, surtout si cette vie est altérée par des évènements qui nous échappent et alors, d’une certaine manière, la folie devient notre résilience.

Samira la Libyenne est là pour nous rappeler la Méditerranée et son avalanche de morts de personnes en quête d’un nouveau monde en décrépitude et qui pourtant fait rêver au point de mettre sa vie en péril.

La structure géographique de De quoi aimer vivre est intéressante car nous allons du nord au sud. Les premiers personnages évoluent dans un univers européen, puis nous traversons la méditerranée, nous croisons Samira pour arriver ensuite jusqu’au pêcheur qui ne peut plus nourrir sa famille. Le personnage du pêcheur est attachant car il est là pour nous montrer la source du problème : comment en déstabilisant la mer, en ponctionnant trop,  la pêche a un impact sur un simple pêcheur et sur sa famille. L’auteur pointe du doigt le problème de l’immigration inévitable. Les gens ont beau aimer ce qu’ils font,  lorsqu’ils ne peuvent plus le faire et qu’ils ne peuvent plus vivre, quelque part il ne leur reste que le départ vers des terres inconnues où les gens eux-mêmes sont en mal de vivre.

Le Vieil homme sur la barque est un brillant hommage poétique au grand-père de l’auteure car il ne faut pas l’oublier, Fatou Diome est aussi poétesse et il n’y a pas mieux que de se remémorer ses souvenirs d’enfance pour se recentrer, même si c’est difficile, et comme elle le conclut elle-même par ces mots qui en disent long :

«  Je n’ai toujours pas le pied marin mais la navigation continue et, quelle que soit la houle, je sais que mon grand-père ne me quittera jamais. Hemingway non plus. »

De quoi aimer vivre est d’une très grande sensibilité car au fil de la lecture, chaque personnage nous renvoie vers des questionnements intérieurs sur la place que nous occupons et notre mission sur cette terre. Bonne lecture !

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Extrait1

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[…] En exil, une graine fait le pain, puisque la nostalgie remplit l’estomac en permanence. La question, souvent, ce n’est pas tant de quoi vivre, mais plutôt de quoi vivre encore. En pérégrination, de quoi se réchauffent les pélicans aux réveils esseulés, si ce n’est du regard des drôles d’oiseaux qu’ils rencontrent ? Alors, imaginons-les à bout de souffle, enlisés dans une crique du vivre, au bout du monde. Que donneraient-ils pour l’attention d’une cigogne, même trainant des ailes de plomb ? Les blessés de l’existence sont comme les blessés de guerre, se reconnaître mutuellement leur détresse ne les guérit peut-être pas, mais ça les éloigne de l’humeur délétère qui achève les éprouvés invisibles, emmurés seuls dans leur blues […] ( De quoi aimer vivre, une fenêtre pour les anges)

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Extrait-2

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[…] -La chance ! Ah, parce que tu mets ce que qui nous arrive sur le compte du sort, toi ? Les bateaux occidentaux ratissent nos côtes, nous affament sans le moindre scrupule ! C’est la volonté divine, ça !? Nous sommes des insulaires : un lopin de terre pour les céréales, un bout de jardin pour les fruits de légumes, le reste nous le trouvions en mer ! Des siècles, nous avons ainsi vécu de notre sueur ! Aujourd’hui, plus de capitaines ou de mérous, encore moins d’espadons dans nos filets ! Le poisson de valeur se raréfie. Partout au Sénégal, le thiéboudiène coutumier devient un plat de luxe, même sur nos îles ! Soles, raies, requins, nous mangeons maintenant des espèces que nous dédaignions. Même les sardines que nos enfants grillaient en chantant sont vendues en boites dans les supermarchés européens ! Déboussolés, les poches vides, de vaillants pêcheurs restent à quai, quand, quand ils ne vont pas grossir les foules de chômeurs en ville. Alors crois-moi, il n’y que les bœufs pour s’étonner que ces désespérés finissent par risquer leur vie d’émigration clandestine ! De quoi auraient-ils peur, hein, de quoi ? Tout leur paraît préférable au tourment qui les chasse de chez eux ! L’incapacité de subvenir aux besoins de sa famille, c’est une hantise à tous. Et, crois-moi, pour qu’il en soit autrement, la solution ne sortira pas d’un poulailler… […] (De quoi aimer vivre, La marmite du pêcheur)

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L’auteure

Fatou Diome Crédit photo Astrid di Collalanza document Albin Michel

Fatou Diome est franco-sénégalaise. Née au Sénégal, elle arrive en France en 1994 et vit depuis à Strasbourg. Après des études de Lettres à Strasbourg, elle a enseigné à l’Université Marc BLOCH de Strasbourg et à l’Institut Supérieur de Pédagogie de Karlsruhe, en Allemagne. Elle s’est fait connaître avec Le Ventre de l’Atlantique (Anne Carrière, 2003), grand succès traduit en une vingtaine de langues. Ont suivi plusieurs romans publiés chez Flammarion, dont Kétala (2006), Inassouvies, nos vies (2008), Celles qui attendent (2010), Impossible de grandir (2013). En 2019 est paru Les Veilleurs de Sangomar chez Albin Michel. (Document et photo Albin Michel)

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Dominique LANCASTRE (Ceo Pluton–Magazine)

Pluton-Magazine/ Paris 16/2021

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