Entre les lignes (35) : Le Royaume sans soleil et l’Attente de Maïa Brami.

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Par Dominique Lancastre

À l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage l’Attente, Pluton-Magazine vous propose de parcourir l’univers de Maïa Brami. Elle nous raconte l’Attente, mais aussi le fabuleux conte le Royaume sans soleil.

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1/ L’Attente.  Pourquoi ce titre ?

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À l’origine, l’album s’intitulait L’oiseau de Paradis, mais les éditeurs ont judicieusement proposé de changer le titre afin de ménager l’effet de surprise.

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2/ Avec l’Attente, vous mettez l’homme au centre de la nature. Pourquoi ?

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L’homme n’est rien sans la nature. Il en fait partie au même titre que les plantes ou les animaux. Moi qui suis parisienne, j’ai toujours été fascinée par la nature et affligée par la façon dont l’être humain l’utilise comme une ressource inépuisable. On est arrivé à un point de non-retour et j’aimerais que les enfants apprennent à respecter la planète, à s’émerveiller de chaque brin d’herbe qui perce dans l’asphalte, à s’ouvrir à la beauté de la nature, à prendre le temps de vraiment regarder ce qui nous entoure, de s’initier à la contemplation. Nous devons retrouver nos racines, réapprendre à vivre en harmonie avec ce qui nous entoure. Avec la pandémie, beaucoup de gens ont quitté les villes pour avoir un jardin, cultiver son potager… Ils ont senti l’urgence d’aller à l’essentiel, de redonner un sens à leur vie.

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3/ Ce qui frappe avec l’ouvrage, c’est le choix des couleurs. Y aurait-il un message derrière ce choix ?

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Il s’agit d’une envie de la talentueuse Clémence Pollet qui, dans ses illustrations, a voulu montrer les deux grands personnages de ce livre − l’homme en orange fluo et la nature dans différents tons de vert −, afin d’éclairer la quête de l’explorateur et montrer comment peu à peu, il arrive à faire un avec la jungle autour.

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4/ Il me semble que jusqu’à la première dédicace, vous n’aviez jamais rencontré l’illustratrice. Comment la conception de cet ouvrage s’est-elle passée ? 

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C’est exact et c’est la première fois que cela m’arrive en vingt ans de métier ! Chun-Liang Yeh et Loïc Jacob, les éditeurs de HongFei, ont d’abord travaillé le texte avec moi pour dégager leur vision de l’album, ensuite, ils m’ont confié l’envie de collaborer avec Clémence Pollet, qui a déjà signé plusieurs ouvrages chez eux. J’étais partante et ils lui ont donc confié le texte. Chun et Loïc avaient une vision très précise de ce qu’ils voulaient dès le départ et ils nous ont fait évoluer chacune de notre côté pour y arriver. Ils ont fait un véritable travail d’orfèvre. Vous savez, ce sont des éditeurs qui ne publient que de l’album, ils en publient dix par an et chacun est leur bébé ! Tout est pensé dans le moindre détail, dans un souci de perfection.

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5/ Dans les deux ouvrages, on remarque la présence des oiseaux. Pourquoi cet animal ?

Bonne question ! Je n’en ai moi-même aucune idée. Sans doute représentent-ils pour moi une forme de liberté.

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6/ Le royaume sans soleil est un conte inspiré d’un conte amérindien. Comment êtes-vous arrivée à ce conte ?

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Ce texte a été écrit il y a quinze ans. Comme L’Attente, d’ailleurs ! À l’époque, je m’inquiétais déjà du désastre climatique qui planait sur nous, mais ni les éditeurs ni le public ne se sentaient encore très concernés. À chaque fois que je prenais l’avion d’un aéroport parisien pour me rendre à l’étranger, je constatais la couche épaisse de pollution qu’il fallait traverser pour trouver le ciel au-dessus, car il ne s’agit pas de simples nuages. Et je me disais : comment accepte-t-on de vivre asphyxiés sans voir le véritable ciel ? Quelles seront les conséquences pour l’Homme, les animaux et la nature en dessous ? C’est ainsi qu’est né Le Royaume sans soleil, qui a fini par trouver sa place aux éditions Saltimbanque, magnifiquement illustré par Karine Daisay. Sacagawea, la femme oiseau, a croisé ma route plus tard, c’est une héroïne amérindienne qui a vraiment existé. Une femme au parcours fascinant fille de chef indien, enlevée par une autre tribu, mariée très jeune à un trappeur canadien, elle a accédé à la postérité en sauvant l’expédition Lewis et Clark du désastre. En 1804, c’est la première fois que des hommes traversaient le continent américain d’est en ouest. Sacagawea a négocié avec les différentes tribus afin que l’équipée puisse traverser sans danger les territoires qui se trouvaient sur leur route, elle savait comment s’adapter au terrain, aux intempéries, elle les a soignés avec des plantes quand certains sont tombés malades, elle nageait comme un poisson et a sauvé les précieux journaux de Clark tombés dans un rapide, il y aurait encore tant de choses à raconter sur elle, sachant qu’elle avait seize ans au début de l’expédition et qu’elle venait juste d’accoucher de son premier enfant, qu’elle portait sur le dos ! À la princesse Sacagawea, on prête des paroles magnifiques qui sont retranscrites à la fin de l’album. Elles éclairent la philosophie des Indiens d’Amérique, leur modestie face à la mère nature, leur façon de vivre en harmonie avec elle et en intelligence. Plutôt qu’aux princesses Disney, c’est à cette princesse-là que j’aimerais que les filles (et les garçons) d’aujourd’hui s’identifient, ainsi qu’à ma petite Blanche, princesse de ce royaume sans soleil, qui, grâce à la sagesse de la femme oiseau, va trouver comment sauver son royaume.

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7/ Je vois dans Le Royaume sans soleil un conte philosophique ? Confirmez-vous et pourquoi cet angle ?

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(Rires) Je vous ai devancé en donnant une partie de la réponse dans la question précédente. Je pense qu’il s’agit d’un conte et que, comme tout conte, il a un aspect philosophique. Dans cette histoire, l’axe est écologique, tourné vers la nature, sa protection. Comme dans L’Attente, j’essaie de montrer que l’Homme n’est rien sans la nature. A priori, il ne lui survivrait pas. Récemment, dans un salon du livre, une dame d’un certain âge s’est arrêtée devant le Royaume et m’a dit : « ElleElleElle a l’air triste cette enfant sur la couverture, ce n’est pas ce que j’ai envie d’offrir à ma petite-fille ! La vie est déjà suffisamment difficile ! ». Je lui ai répondu que ce livre est pourtant rempli d’espoir. Alors que les enfants aujourd’hui sont confrontés à l’angoisse du cataclysme climatique, de la pandémie, ce texte leur permet de mettre des mots sur la situation mais aussi de comprendre qu’en modifiant notre façon de vivre, pas grand-chose parfois, en adaptant certaines de nos habitudes (tri, recyclage etc.), nous pouvons renverser la vapeur. Si l’on peut être acteur du changement, l’angoisse cesse. Dans mon histoire, c’est Blanche qui sauve le royaume de son père. Nos enfants ont l’imagination et la créativité en eux pour construire un monde meilleur. Chez Saltimbanque, nous sommes d’ailleurs en train de travailler à la suite de Le Monde est ma maison − qui vient d’être réimprimé à mon grand bonheur pour la quatrième fois ! et qui sera centré sur l’écologie, le rapport des enfants à la nature et ce qu’ils font ou peuvent faire pour elle au quotidien. Mais avant ça, il y a une étape intermédiaire, une prise de conscience indispensable − comme le père de Blanche va le comprendre à la fin de l’histoire − il faut être capable de s’émerveiller, de s’émouvoir devant la nature. C’est la clef… Alors l’humanité sera sauvée ! (rires)

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8/ Quel est selon vous le ou les messages à retenir de ces deux ouvrages ?

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Eh bien, je crois y avoir largement répondu dans mes réponses précédentes !

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9/ Ces ouvrages s’adressent aux enfants. Est-ce une manière de vous adresser aux adultes à travers la lecture faite aux enfants ?

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Je crois que les albums peuvent s’adresser tout autant aux enfants qu’aux adultes. Ce sont les adultes qui offrent les livres et les lisent aux petits de toute façon. En Salon, il m’arrive de dédicacer mes albums pour des adultes. « Je le dédicace pour qui ? » « Pour moi, je crois que je vais me l’offrir ! » répondent-ils émus et joyeux. Mais mes ouvrages jeunesse ne sont pas une façon biaisée de m’adresser aux adultes. J’écris aussi des romans, des biographies, du théâtre, de la poésie qui leur sont directement adressés.

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10/ Enfin, quel a été votre plus beau souvenir d’enfance ?

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Ouh la, question difficile ! Plutôt qu’un souvenir factuel, j’évoquerais un souvenir sensoriel : la danse. La danse a été mon premier mode d’expression, dès que j’ai su marcher. Et j’ai des souvenirs de quand j’avais trois, quatre ans, inventant des chorégraphies sur des musiques diverses — notamment Kalinka chanté par les Chœurs de l’Armée Rouge. La musique m’élevait, me mettait dans une sorte de transe, de plaisir inouï. J’avais l’impression de faire à la fois corps avec elle et l’univers, d’entrer dans une autre dimension, d’arriver à devancer les notes à venir et d’exprimer à la perfection par le mouvement l’émotion ressentie. Sans doute était-ce de la création pure, une forme de liberté totale que j’ai perdues en grandissant, mais qui, malgré tout, irriguent mon écriture — c’est la sensorialité, la musique, le rythme que je recherche dans mon travail. Avant de vous quitter, puis-je vous remercier Dominique pour cet entretien ? Merci et belle vie à votre revue et à votre site.

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L’auteure

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Maïa Brami est écrivaine et elle dirige des ateliers d’écriture, notamment au MAHJ et à la BPI. Elle ne se limite à aucun genre littéraire et à aucun public. Sa langue est son champ d’exploration, qu’elle fait résonner avec les autres arts. Citons entre autres Sur un sentier recouvert, l’un de ses récitatifs pour comédien et chambristes créé au Festival de Lucerne en 2017. L’enfance et la femme restent au coeur de son travail, sous-tendu par les questions de maternité et de PMA : L’inhabitée (L’Amandier, 2015), Paula Becker, la Peinture faite femme, (L’Amandier, 2016), Tout va bien se passer (La feuille de thé, 2019), créé à Paris, au théâtre de la Reine Blanche en 2018. Lauréate de plusieurs Bourses et Résidences littéraires, elle a publié plus d’une vingtaine de livres pour petits et grands traduits dans différents pays, notamment Vis ta vie Nina (Grasset Jeunesse), Prix Chronos 2002, Norma (Folie d’encre), Prix du Festival du Premier Roman 2007, réédité aux Editions d’Avallon en 2020 et Toute à Vous (Thierry Magnier, 2020).

Derniers ouvrages parus : Le Royaume sans soleil (Saltimbanque, 2020), L’Attente (HongFei Cultures, 2021)

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Dominique LANCASTRE (Ceo Pluton–Magazine)

Pluton-Magazine/ Paris 16/2021

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