L’ÉBLOUISSANT DESTIN D’ALIÉNOR D’AQUITAINE.

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Par Phillippe Estrade-Auteur-Conférencier

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Immense personnage du Moyen Âge, Aliénor d’Aquitaine alimente toujours la littérature par son audace, son génie politique, sa détermination, sa beauté mais aussi l’admiration qu’elle a suscitée chez ses pairs et sur l’ensemble du vieux continent. Un destin exceptionnel, semé aussi de blessures, de désillusions et de tragédies, l’a conduite sur le trône de France puis sur celui d’Angleterre avant qu’elle ne s’éteigne à Poitiers à l’âge admirable de 82 ans, une exception, un prodige même pour l’époque. Toujours à cheval à 78 ans, cette femme éblouissante sillonnait encore le continent pour gérer les affaires de son duché d’Aquitaine mais aussi les intérêts des royaumes d’Angleterre et de France. Elle mit au monde 10 enfants dont 3 rois d’Angleterre. Redoutablement belle, lettrée, intelligente, d’un tempérament bien trempé et d’une remarquable culture, Aliénor la bordelaise, Aliénor la gasconne a tout simplement fasciné l’Europe entière et l’Orient.

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UNE ÉDUCATION EN TERRE DE GASCOGNE

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Probablement née au château de Belin dans le Bordelais vers 1122 ou peut-être à Bordeaux au palais de l’Ombrière qui abritait aussi les services du Sénéchal de Gascogne et l’administration financière et judiciaire de la grande Aquitaine, Aliénor reçut une éducation particulièrement soignée à la cour d’Aquitaine, l’une des plus raffinées d’Europe au 12e siècle. Elle chevauchait alors entre les différentes possessions de son père Guillaume X, duc d’Aquitaine et comte de Poitiers, à Belin, Bordeaux et dans toute la Gascogne mais aussi dans le Poitou. Elle a appris la littérature, le latin, la poésie, la musique sans oublier l’équitation qui la conduira régulièrement à la chasse et favorisera sa hardiesse. Elle fut éduquée comme une femme de son rang, une noble, future héritière de ce riche duché.

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Une beauté déroutante

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Fille ainée de Guillaume X, Aliénor est aussi la petite-fille du célèbre Guillaume IX le Troubadour, poète mais aussi bon vivant et fougueux coureur de jupons. Aussi, sa passion pour la poésie et les chants a puisé bien sûr ses sources dans cette ambiance de l’apprentissage de la musique et des bons mots, de l’intelligence et de la culture raffinée. Sa légendaire beauté fit l’unanimité et bien que nous ne disposions d’aucun portrait de cette époque, les descriptions dans les chroniques affichent les traits sublimes et flatteurs d’Aliénor. Sa chevelure blonde et ses yeux bleutés font d’elle en quelque sorte une icône de la beauté, de la séduction et de l’indépendance. Les formules pour la décrire abondent : « La perle incomparable du midi » ou encore « La plus belle et la plus riche fleur d’Aquitaine ». Cette femme d’exception, que l’on qualifierait d’indépendante aujourd’hui, saura vivre intensément.

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Héritière du duché d’Aquitaine

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Aliénor fut son nom en terre occitane, usité dans le midi gascon et le Poitou, alors qu’en territoires de langues d’oïl, c’est-à-dire le français médiéval, mais aussi chez les anglo-normands, elle était appelée Eléonore. Aliénor signifie en langue d’oc « l’autre Aénor » en référence à sa mère Aénor de Châtellerault. C’est âgée de 8 ans à peine, en 1130, que la jeune Aliénor devint héritière du duché d’Aquitaine à la mort de son frère Guillaume Aigret, survenue lors d’une chute de cheval. Séduits par son élégance, sa beauté et déjà son autorité naturelle malgré sa jeunesse, tous les notables et seigneurs vassaux des duchés de Gascogne et d’Aquitaine lui jurèrent fidélité en 1136, alors qu’elle n’avait que quatorze ans.

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Mariée à Bordeaux avec Louis, futur roi de France

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Avant de disparaître en 1137 lors d’un pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle, Guillaume X avait préparé le mariage de sa fille Aliénor avec le futur roi de France Louis VII, fils du grand roi Louis VI le Gros avec lequel il avait noué des liens amicaux. Il voulut ainsi éviter l’éventuel enlèvement de la séduisante Aliénor qui aurait pu être épousée par l’un de ses vassaux. Le roi de France Louis VI parvint à imposer ce mariage à son fils, plutôt orienté vers la réflexion théologique que par vers des épousailles, et vit bien sûr l’intérêt du royaume de France en arrimant à la couronne la riche et très étendue province d’Aquitaine. C’est le 25 juillet 1137 dans la cathédrale Saint-André de Bordeaux que fut célébré le mariage d’Aliénor et du futur Louis VII, deux jeunes gens de 15 ans. Les festivités liées à ce mariage prestigieux durèrent plusieurs jours au palais de l’Ombrière à Bordeaux, où les troubadours et la musique depuis longtemps déjà animaient cette délicieuse résidence bordelaise. Après une nuit de noces au château de Taillebourg dans le Saintonge, terre occitane à l’époque, les jeunes époux atteignirent Poitiers afin d’y être couronnés duc et duchesse d’Aquitaine dans l’ancienne cathédrale Saint-Pierre, alors romane, et enfin retrouver la cour de France à Paris. C’est durant ce voyage qu’ils apprirent la mort de Louis VI, brutalement tombé malade lors d’une expédition punitive contre le seigneur de Saint-Brisson-sur-Loire, un vassal rebelle et pillard.

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ALIÉNOR, UNE REINE DES FRANCS QUI IMPOSE À LA COUR SA CULTURE OCCITANE

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Couronnée reine de France à Bourges le jour de noël 1137, Aliénor va affirmer son autorité et dépoussiérer une cour immensément triste par rapport à celle d’Aquitaine, rayonnante et raffinée. Sa beauté, son audace et son franc-parler vont séduire une aristocratie ringarde, au point que beaucoup tombèrent amoureux de la séduisante jeune reine qui sut parfaitement jouer de son charme et influencer les décisions. En réalité, tout opposait Aliénor et Louis : elle était lumineuse, habile, désirée et dotée d’une immense autorité naturelle, lui était plutôt pieux, triste, réservé et souverain bien moins brillant que son père Louis VI le Gros. Elle parvint à imposer une ambiance occitane et gasconne, en fait une nouvelle cour, en y intégrant musiciens et troubadours. La mode pour les femmes n’était pas en reste avec l’arrivée de l’audace, de la couleur et des décolletés généreux qu’elle portait et qui alimentèrent alors, à tort, une image de légèreté, indisposant tous les intrigants et les conservateurs de la cour.

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Une reine capable d’imposer sa volonté et ses points de vue

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Dès le départ, Aliénor a manifesté la volonté d’accompagner son époux le roi Louis VII le Jeune et de prendre part aux décisions politiques. Faire du crochet près du feu en attendant le souverain n’était pas dans sa construction intellectuelle. La chronique raconte qu’au début, elle surprit le roi et ses conseillers en entrant, sans y être attendue, dans la salle du conseil et en s’installant à la table des débats. Aliénor prenait beaucoup de décisions validées dans un deuxième temps par le roi.  Après que la ville de Poitiers se fut constituée en commune, la cité assiégée par l’armée royale tomba sans que le sang ne coule, et Louis VII exigea que les habitants remettent à l’autorité du roi, tous les enfants garçons et filles, momentanément en otages. Mais le souverain renonça à cette disposition sur l’intervention de l’abbé Surger qui jugea cette initiative totalement inopportune, et dès lors, la reine écarta l’abbé du conseil. Estimant avoir des droits sur Toulouse par sa grand-mère, Aliénor parvint à décider le roi d’intervenir en 1141. Pour le remercier de cet engagement, elle offrit au roi un vase qui aurait été donné à son grand-père Guillaume IX le Troubadour par Imad-al-Dawla, roi de Saragosse. Fixé sur un pied d’or orné de perles diverses, le vase taillé en cristal de roche a surmonté les siècles pour être encore admiré de nos jours au musée du Louvre. La reine savait aussi penser à sa famille, et elle intervint auprès du roi pour le pousser à dissoudre le mariage de Raoul de Vermandois afin que sa sœur Pétronille, particulièrement éprise de lui, puisse l’épouser. Il en résulta un sévère conflit avec le frère de la jeune épouse délaissée, Thibaut IV de Blois.

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Aliénor s’engage lors de la deuxième croisade

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La croisade française sera déterminante pour l’avenir du couple royal. Aliénor s’est engagée dans cette deuxième croisade sans pour autant renoncer à la qualité de vie de la cour. En effet, sa suite l’a accompagnée et les épouses des autres croisés furent aussi du voyage, formant ainsi un long et lourd convoi qui chemina à travers l’Europe continentale. Musiciens, gens de lettres et le troubadour Jaufré Rudel également invité, agrémentèrent le périple de la reine. La richesse et les fastes de l’Orient ont fasciné Aliénor mais rebutèrent Louis VII dont l’austérité et la piété étaient désormais devenues légendaires. Au printemps 1148, à Antioche en Asie Mineure, Aliénor retrouva son oncle Raymond de Poitiers et s’émerveilla de la beauté de la ville et de sa délicieuse cathédrale. Après des mois de peur, de batailles où le sang avait beaucoup coulé, elle put enfin jouir totalement des fêtes offertes pour elle par son oncle Raymond. Elle y retrouva sa cour d’Aquitaine car Raymond était entouré de croisés gascons et poitevins. La relation très particulière d’Aliénor et de son oncle qui passèrent beaucoup de temps ensemble et isolés, fit naître de réels soupçons quant à sa nature précise. Louis VII s’en irrita fortement et une nouvelle dispute éclata. Le doute historique persiste et les spécialistes de cette période n’ont pas tranché réellement, et en tout état de cause n’ont aucune preuve d’une liaison adultérine entre Aliénor, merveilleuse femme de 25 ans, et son oncle âgé de 50 ans. La crise entre les jeunes époux s’accentua dès lors que Louis VII, contrairement aux recommandations de Raymond qui suggéra de concentrer les efforts des croisés sur le comté d’Edesse, eut décidé d’engager son armée directement à Jérusalem. Refusant cette décision et préférant demeurer auprès de son oncle et soutenant sa stratégie, Aliénor afficha une fermeté qui dérouta Louis, probablement jaloux et dépité. Cependant, il l’obligea à le suivre vers Jérusalem pour accomplir le pèlerinage qu’ils s’étaient imposés.

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Un retour chaotique en France

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À Antioche, la dispute entre les jeunes souverains avait conduit Aliénor à rappeler à son royal époux leur degré de consanguinité, et que dès lors, elle pourrait demander l’annulation de leur mariage. La chronique précise que cette consanguinité était connue depuis 1143 et qu’elle ne présentait aucune gravité selon même Bernard de Clairvaux, le grand promoteur de l’Ordre cistercien. En tout état de cause, les époux décidèrent de quitter la Terre sainte en direction de l’Italie sur des navires différents. Alors qu’une bataille navale opposait l’empereur byzantin Manuel Comnène aux forces de Roger II de Sicile, la nef d’Aliénor tomba momentanément aux mains des byzantins. Les Normands installés en Sicile parvinrent à la libérer et Aliénor put ainsi rejoindre Louis VII en Calabre. Momentanément souffrante, elle demeura quelques temps sur place avant d’entreprendre l’ultime voyage vers Paris. Finalement, l’intervention du pape Eugène III, soutenu par l’incontournable Suger, parvint à réconcilier les époux à l’abbaye de Mont-Cassin. Mais la naissance de la seconde fille du couple royal ne changera rien au destin de la rupture annoncée. Aliénor rentra aussitôt à Poitiers et faillit être enlevée car la nouvelle de son cheminement encouragea certains nobles comme un certain Thibaud de Blois, à se saisir du plus beau parti du royaume pour convoiter sa main

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Aliénor redevient simple duchesse d’Aquitaine

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Certaines chroniques ont été abusivement sévères s’agissant du jugement porté sur la reine. Elles avaient naturellement une ambition et une finalité politique, orchestrées par la famille capétienne. Hélinand de Froidmont dans la « Chronique universelle » affirma qu’elle se conduisait plus « en putain qu’en reine ». Évidemment, cette femme de caractère, indépendante, aimait la vie mais le procès ici est naturellement excessif car Aliénor a toujours été habile et sut garder son prestige et son rang. En réalité, cette chronique orientée avait pour mission de mettre en valeur la dynastie capétienne, qualifiée de vertueuse, et justifier sa domination sur la cour d’Aquitaine et sur la lignée des Plantagenêt, elles bien sûr affublées d’immoralité. Au printemps 1152, le mariage fut enfin annulé et Aliénor redevint ainsi simple duchesse d’Aquitaine.

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ALIÉNOR, PUISSANTE REINE D’ANGLETERRE

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Deux mois après l’annulation de son mariage avec le roi de France Louis VII, Aliénor épousa à Poitiers, désormais plaque tournante de son action politique sur le duché d’Aquitaine, un fougueux jeune homme, Henri de Plantagenêt, le futur Henri II d’Angleterre, dont par ailleurs le degré de consanguinité était encore plus proche que celui de Louis VII. D’une dizaine d’années son cadet, Aliénor a alors 32 ans, Henri de Plantagenêt, comte d’Anjou, du Maine et duc de Normandie, devint par le jeu de la succession des rois français issus de Normandie depuis 1066 avec Guillaume le Conquérant, soit près d’un siècle, le nouveau roi d’Angleterre en 1154. Ainsi, le fabuleux destin d’Aliénor n’était pas achevé, et elle fut reine d’Angleterre après avoir été reine de France, le 19 décembre 1154, couronnée par Thibaut du Bec, archevêque de Canterbury.

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Une action politique de tout premier plan

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Bien qu’elle eût mit au monde huit enfants avec Henri II, cinq garçons et trois filles, Aliénor demeura bien présente dans les affaires du royaume, surtout après ses grossesses, entre 1167 et 1173. Dans cette période, la reine prit de nombreuses décisions politiques sans être contrainte à une confirmation systématique du roi. Elle le remplaça même à plusieurs reprises à Londres en 1158 et en 1160. Aliénor fut aussi mécène et la cour Plantagenêt a toujours protégé les artistes, et même Henri II tint un rôle important dans une forme de patronages des artistes. Elle permit notamment au troubadour Bernard de Ventadour qui d’ailleurs lui dédia l’une de ses chansons « la duchesse de Normandie », d’intégrer sa cour en 1153. Active sur le plan économique, elle impulsa également des accords commerciaux avec les ports d’Orient et de Terre sainte, mais aussi avec l’incontournable Constantinople. Travailleuse et touche-à-tout, Aliénor a aussi fixé de nouvelles conventions maritimes en établissant une forme de droit maritime. En faisant adopter en 1160 les « Rôles d’Oléron », elle mit déjà en place des dispositions encore à l’origine des lois actuelles de l’amirauté britannique.

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La révolte de 1173-1174 conduit à l’emprisonnement d’Aliénor

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Les infidélités du roi, notamment sa relation avec la « Belle Rosemonde », irritent de plus en plus l’intrépide Aliénor. Cette relation accéléra la désunion du couple royal. Par ailleurs, l’autoritarisme de plus en plus rigide d’Henri II auprès des barons saxons eût pu menacer la couronne, et même certains grands seigneurs normands s’agitèrent à leur tour. Aliénor dont la dynastie royale constituait une priorité ne s’opposa pas à ses fils, Henri le Jeune, Richard et Geoffroy, impatients d’hériter pour faire vivre leurs cours respectives, dans un complot destiné à écarter leur père du trône, et pour Aliénor de se saisir de la couronne et dans son esprit de sauver le royaume d’Angleterre. Soutenue par le roi d’Écosse Guillaume 1er et le roi de France Louis VII, son ancien époux, la manœuvre échoua et Aliénor fut arrêtée alors qu’elle tentait de rejoindre la cour de Louis VII à Paris. Quant à Richard, désabusé, il se résigna à rallier son père. La captivité monastique de la reine, d’abord emprisonnée à Chinon puis à Salisbury notamment, a duré quinze ans, jusqu’en 1189.

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La révolte d’Henri le Jeune

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Très endetté depuis longtemps déjà, Henri le Jeune réclamait à son père le duché de Normandie que ce dernier lui refusait obstinément. À l’évidence mal inspiré mais soutenu à nouveau par son frère Geoffroy et le nouveau roi de France Philippe-Auguste, ravi d’affaiblir le trône d’Angleterre, il tendit une embuscade à son père Henri II à Limoges en 1183, dix années après la première tentative de coup d’état. Ce nouvel échec contraignit Henri le Jeune à fuir vers l’Aquitaine après qu’il eut tout de même plaidé la libération de sa mère Aliénor ou au moins d’adoucir sa captivité. Sa sœur Mathilde d’Angleterre intervint à son tour en faveur de sa mère mais c’est à l’issue d’une nouvelle révolte en 1185, cette fois-ci de Richard, qu’Henri II se résolut à alléger la détention de la reine et à faire revenir Aliénor sur les terres continentales pour apaiser Richard, puis le ramener à la docilité et à la sagesse.

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Richard Cœur de Lion, fils préféré d’Aliénor

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À la mort d’Henri II en 1189, Richard 1er devint roi d’Angleterre et s’empressa immédiatement de libérer sa mère. La dimension de femme d’État d’Aliénor, notamment sa volonté de renforcer la couronne, la conduisit à nouveau sur les routes du royaume pour libérer les prisonniers d’Henri II en échange d’un serment de fidélité au nouveau roi Richard, son fils aimé et préféré. Aliénor occupa à nouveau le pouvoir au départ de Richard pour la 3e croisade en 1190, qu’il fera d’ailleurs avec Philippe-Auguste, dans un geste d’apaisement souhaité par le pape. Elle sut parfaitement dans cette régence faire preuve d’autorité à 68 ans, en affirmant le pouvoir de Richard Cœur de Lion, contesté par son frère Jean sans Terre, alors allié au roi de France ravi d’affaiblir l’Angleterre. Cependant, lorsque Philippe-Auguste tenta de prendre Gisors en Normandie et d’agrandir le domaine royal, c’est Aliénor elle-même qui défendit la ville.

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Richard captif, libéré par Aliénor

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Alors que le roi Richard Cœur de Lion était parti pour la 3e croisade, Aliénor pensa à la future succession sur le trône d’Angleterre et s’engagea, à presque 70 ans, à cheval à travers l’Europe avec la douce Bérangère de Navarre, sur la route de la croisade afin de rejoindre son fils Richard et le marier avec Bérangère. Les épousailles eurent donc lieu à Limassol sur l’île de Chypre, base arrière des Croisés, le 16 mai 1191. Face aux trahisons régulières et aux manœuvres politiques de Jean sans Terre, Aliénor rentra hâtivement pour faire la police et empêcher Jean de poursuivre ses agissements belliqueux contre Richard. Mais en 1193, Jean céda la région du Vexin au roi de France Philippe-Auguste. Sans hésiter, Aliénor la guerrière intervint et assiégea son fils à Windsor, soutenue par tous les barons anglo-normands. Puis, apprenant la capture de Richard et sa captivité dans l’actuelle Autriche, à son retour de la croisade, Aliénor fut indignée par le silence du pape mais parvint toutefois à rassembler la rançon colossale exigée par Frédéric Barberousse, cent cinquante mille marcs d’argent, l’équivalent de deux années du budget de l’Angleterre. C’est alors qu’à 70 ans, elle chevaucha à nouveau à travers l’Europe pour remettre elle-même la rançon à Mayence au fils de Barberousse, Henri VI, puis se retira à l’abbaye de Fontevraud. La mort de Richard Cœur de Lion en 1199 lors du siège de Châlus-Chabrol dans le Limousin, l’affecta terriblement.

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Aliénor, une femme d’état jusqu’à la fin

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Alors âgée de 77 ans, Aliénor fit prêter serment à Jean sans Terre qui devint enfin roi d’Angleterre puis rendit l’hommage féodal pour les terres situées dans le royaume de France au grand roi Philippe-Auguste qui avait su multiplier par trois le domaine royal durant son règne. En janvier 1200, Aliénor se rendit en Castille pour choisir une épouse à l’héritier du trône de France, le futur Louis VIII le Lion, et ramena l’une de ses petites filles Blanche de Castille qui deviendra la mère du grand Louis IX devenu Saint-Louis. Même dans les dernières années de sa vie, elle joua un rôle majeur dans les affaires du royaume d’Angleterre mais aussi dans celles du royaume de France. Lasse et malade, elle se retira en 1200 à l’abbaye de Fontevraud mais n’hésita pas néanmoins à sortir de sa retraite pour ramener à l’obéissance en 1201 le vicomte de Thouars qui s’était révolté. Enfin, en 1202, à 80 ans, quand Philippe-Auguste eut traité le roi Jean de félon et se fut saisi de ses terres dans le royaume de France, Aliénor quitta l’abbaye de Fontevraud menacée et s’abrita à Mirabeau avant d’être mise hors de danger par Jean sans Terre. De retour à Fontevraud, Aliénor jouira de deux années beaucoup plus paisibles et s’éteindra à Poitiers en 1204, à l’âge de 82 ans. Aujourd’hui, les gisants bleutés d’Aliénor et d’Henri II jouxtent ceux de Richard qu’elle voulut à ses côtés dans l’au-delà et de sa belle-fille Isabelle d’Angoulême, épouse du roi Jean sans Terre.

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Autour de cette exceptionnelle figure de l’histoire du Moyen Âge européen, c’est la rivalité des rois de France et d’Angleterre qui a illustré ce 12e siècle et préparé la future guerre de Cent ans. Dans ce choc politique permanent entre les deux couronnes, Philippe-Auguste s’est impitoyablement imposé face aux Plantagenêt en étendant sensiblement son domaine royal. Tous les qualificatifs ont inspiré les historiens mais aussi les contemporains d’Aliénor, devenue bienfaitrice de Fontevraud : belle, intelligente, cultivée, charmeuse, courageuse, intrépide, travailleuse, guerrière, politique et diplomate. Rarement l’histoire a offert des personnages aussi immenses.

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Philippe Estrade

Philippe Estrade Auteur-conférencier

Pluton-Magazine/Paris 16eme/2021

Photo capture d’écran.

Journaliste en début de carrière, Philippe Estrade a vite troqué sa plume pour un ordinateur et une trajectoire dans le privé et le milieu des entreprises où il exerça dans la prestation de service. Directeur Général de longues années, il acheva son parcours dans le milieu de l’handicap et des entreprises adaptées. Ses nombreux engagements à servir le conduisirent tout naturellement à la mairie de La Brède, la ville où naquit Montesquieu aux portes de Bordeaux. Auteur de « 21 Merveilles au 21ème siècle » et de « Un dimanche, une église » il est un fin gourmet du voyage culturel et de l’art architectural conjugués à l’histoire des nations. Les anciennes civilisations et les cultures du monde constituent bien la ligne éditoriale de vie de ce conférencier « pèlerin de la connaissance et de l’ouverture aux autres » comme il se définit lui-même. Ce fin connaisseur des grands monuments issus du poids de l’histoire a posé son sac sur

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