Par Michèle Jullian
MAROC, THAïLANDE : SI LOIN, SI PROCHES !
« J’aimerais que tu écrives un article pour PLUTON, m’a demandé le Rédac Chef du magazine, à condition : que ce soit un sujet original ». Michèle Jullian
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Tombée récemment par hasard sur un article qui titrait « Rencontre en mai dernier, entre l’ambassadeur du Maroc et le président de l’Assemblée nationale thaïlandaise à Bangkok », j’ai pensé que je tenais peut-être là un sujet original, d’autant que les deux personnalités – marocaine et thaïlandaise − se félicitaient de la qualité de leurs relations respectives, et de la « similitude » de leurs institutions législatives … Il existait donc bien des « affinités » entre ces deux pays qu’apparemment tout oppose : situation géographique, politique, religion, climat.
En tant que voyageuse ayant vécu et enseigné plus de 10 ans en Thaïlande et ayant effectué nombre de séjours au Maroc ces trois dernières années, j’ai relevé le défi : trouver d’autres points de convergence entre ces deux pays chers à mon cœur.
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Maroc, Thaïlande: deux dynasties , deux royaumes
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Pour qui connaît l’histoire, une évidence s’impose : Thaïlande et Maroc sont deux royaumes à la tête desquels « trônent » − privilège royal − deux souverains de droit divin : Rama X appartient à la dynastie CHAKRI qui règne sur la Thaïlande (appelée alors le Siam) depuis 1782. Mohamed VI, lui, appartient à la dynastie des ALAOUITES dont les membres règnent sur le Maroc depuis le XVIIe siècle.
En Thaïlande, Maha Vajiralongkorn a été couronné roi en 2016 sous le nom de Rama X. Il incarne la conjonction des croyances bouddhistes, brahmaniques et animistes et il est l’image du Bouddha dans un pays bouddhiste à 95 % (un chiffre officiel, probablement plus rêvé que réel, car l’islam est très présent dans 3 provinces de l’extrême sud ; Yala, Pattani et Narathiwat et il gagne du terrain dans le nord proche de la frontière birmane)
Au Maroc, Mohamed VI, appelé familièrement M6, a succédé à son père Hassan II et a été couronné en 1999. Il est commandeur des croyants et chef spirituel du Maroc (pays musulman à 99 %). D’origine chérifienne, il est descendant direct du prophète Mohammed par sa fille.
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Sacralité de la fonction royale
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La personne de ces deux souverains est sacrée, donc intouchable, donc non critiquable. En 2021, Le Courrier International signalait : « La Cour Criminelle de Bangkok vient de condamner une ancienne fonctionnaire thaïe à 43 années de prison pour crime de « lèse-majesté » : (insultes au roi). « 5 ans de prison par critique. Ce qui m’avait fait écrire à l’époque où je tenais un blog journalier – trop belle occasion ! « les Thaïlandais font du « lèche-majesté ». Ont-ils le choix ?
Les Thaïlandais se prosternent (littéralement) devant leur roi ou tout autre membre de la famille royale, et même devant le caniche royal que Rama X avait élevé au rang de maréchal et qui, à sa mort, a eu droit à des funérailles nationales.
« Au Maroc, on peut critiquer le roi, au risque de finir en prison » titre un autre article du Courrier International. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, du golfe de Siam aux bords de la Méditerranée et de l’Atlantique.
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Le peuple, l’or des rois ?
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On peut comparer les fortunes de ces deux souverains, mais le roi de Thaïlande bat tous les records depuis des années, selon le magazine américain FORBES.
Avec ses 37 milliards d’euros, Rama X est le champion toutes catégories et bat les autres émirs, cheiks, dictateurs, et sultans de la planète. Pour un pays sans pétrole, sans gaz, c’est admirable « n’est-il pas » ? « Au pays du sourire », les sourires valent de l’or. Mais le peuple n’est-il pas l’or des rois ?
Mohamed VI occuperait une place plus modeste d’après Forbes, classé probablement dans les cinq premiers, après le sultan de Brunei et le roi d’Arabie saoudite.
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Palais, Boeings, yacht, etc.
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De tous temps, les rois ont eu des penchants pour l’immobilier, je veux dire pour les palais. Palais royal de Casablanca, Rabat, Marrakech, Fez, Agadir, Tétouan et Meknès pour Mohamed VI.
Rama X possède des palais somptueux dans toutes les grandes villes de Thaïlande. Mais si Mohamed VI aime les yachts (d’après le magazine marocain Tel Quel), Vajiralongkorn, lui, a la passion des avions. « Il est pilote et ne se prive pas de sillonner le ciel thaïlandais et allemand », écrit le journaliste et ami Andrew McGregor Marshall. Toujours d’après le journaliste écossais, Rama X aurait plus d’avions personnels que de palais dans son pays ! dont un fameux Boeing transformé – précisément − en « Palais volant ».
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Harems : réalité ou fantasme ?
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Comment ne pas évoquer le harem lorsqu’on parle des souverains du monde arabe ? Le mot HAREM, issu du turc ottoman, vient lui-même de l’arabe HARYM (endroit ou choses interdites ou tenues secrètes)
Pour le roi de Thaïlande, il est de notoriété publique qu’il entretient une sorte de harem en Allemagne, dans sa villa de Bavière (d’après « Nikkei Asia »). Andrew McGregor Marshall parle d’une secte militaire. « Certaines femmes seraient droguées, à la merci du roi, dans ce qu’il appelle « la salle des plaisirs ». Vajiralongkorn a fait reine son ancienne maîtresse, et d’une deuxième maîtresse, il aurait fait sa concubine royale avant de la répudier quelques semaines plus tard.
Au Maroc, les harems ont prospéré de tout temps auprès de sultans, rois, pachas, caïds, chefs de tribus, le plus fameux étant celui du Glaoui à Fez. Harems fantasmés ? Qui ose en parler ? Des journalistes ont été poursuivis pour « diffusion de fausses informations » après avoir osé écrire dans Al Ayam, un hebdomadaire marocain : « Secrets de harem du palais entre trois rois. Une histoire des harems du palais sous Mohamed V, Hassan II », soulignant que « Mohamed VI a décidé de couper avec cette ère du harem ». Ouf.
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Polygamie et « mia noï »
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Si la polygamie est interdite depuis un siècle en Thaïlande – sauf pour les souverains − tout homme riche se doit – pour son image − d’entretenir une ou plusieurs « mia noï » ou concubines, littéralement « petites épouses », considérées comme « femmes secondaires » face à l’épouse officielle (« mia luang » : épouse principale). Une tradition qui remonte à l’époque des concubines en Chine. La capitale Bangkok héberge une des plus importantes communautés chinoises du monde. (Le Petit Journal de Hong Kong). Et ce n’est un secret pour personne : les rois de Siam (Thaïlande) ont du sang chinois dans leurs veines
Au Maroc, la polygamie n’est pas interdite officiellement, puisqu’un musulman peut avoir plusieurs épouses. Mais depuis l’entrée en vigueur en 2004, d’un nouveau code de la famille, « les conditions sont si draconiennes qu’il devient presque impossible d’avoir une seconde épouse. Pourtant les demandes se comptent par milliers dans les tribunaux », explique Nadia Mouhir, avocate du barreau de Rabat. « Et beaucoup d’hommes mariés ont recours à des subterfuges pour détourner la loi ».
En ce qui me concerne, dans le Sud-Est du Maroc, j’ai rencontré des hommes en recherche d’une seconde épouse, plus jeune que la première, bien sûr.
Au Maroc, ne dit-on pas que tout s’achète ?
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Religion : minarets et clochetons dorés
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Au Maroc, terre d’Islam, il y aurait 55 000 mosquées. Chaque village en possède une ou plusieurs. Parfois, une mosquée se dresse entre deux maisons, ou même isolée au milieu de nulle part.
En Thaïlande, pays du bouddhisme theravada (branche ancienne du bouddhisme hinayana), ce serait environ 40 000 temples qui égaieraient le paysage de leurs formes gracieuses.
Je demandais un jour à une amie enseignante la raison d’une telle débauche de temples et de statues de Bouddha à travers le pays. « Parce que bouddha doit être présent partout », me répondit-elle, tandis que je pensais, « avec les minarets marocains, ce sont les appels à la prière qui doivent être entendus partout ».
Qui finance les mosquées au Maroc ? « 172 nouvelles mosquées ont été construites en 2021 dont 157 privées, donc argent des particuliers, et 15 avec l’argent du gouvernement et pour un montant total de 120 millions de dirham ».
En Thaïlande, une série de scandales financiers a secoué le clergé bouddhiste ces dernières années Une douzaine de temples auraient détourné un million et demi d’euros, alors que les moines sont sous l’autorité de l’État. La tentation est grande quand de telles sommes entrent en jeu.
Les temples bouddhistes marquent un point sur les mosquées, ils reçoivent indifféremment hommes et femmes, ensemble, pour des moments très informels de bavardages et de rencontres, tandis que les mosquées, elles, sont des endroits exclusivement réservés aux hommes et cinq fois par jour. Les femmes prient à la maison, quand elles en ont le temps ! Ou pas.
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« Homme libre berbère » contre « Peuple libre thaïlandais »
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« Les Berbères sont les aborigènes du Maroc », ai-je lu quelque part, les habitants originels du Maghreb. Ils vivent dans les villages de l’Atlas et le désert mais aussi dans les villes où ils se sont métissés avec des descendants d’Arabes et de Subsahariens. Ils clament fièrement leur appartenance à un drapeau dont la représentation – le Yaz et les 3 couleurs de la mer, des oasis et du désert − signifie « l’homme libre ».
Les Thaïs, eux, se revendiquent « peuple libre » car « thaï land » signifie « pays jamais colonisé ».
Sont-ils libres pour autant ? et quel est le sens de ce mot pour ces deux populations ? un objet d’étude très sensible à traiter dans un autre article sans doute, tout comme son corollaire, la liberté d’expression
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Inégalités : villes versus campagnes
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Comme beaucoup d’autres pays dans le monde, Maroc et Thaïlande sont divisés en deux entités : celle des villes et celle des campagnes. Avec parfois un certain mépris des uns vis-à-vis des autres.
En Thaïlande, les habitants des cités aux gratte-ciel vertigineux sont, majoritairement sino-thaïs, et regardent avec condescendance le peuple des rizières qu’ils appellent « baan nok »,(« ploucs » lourdauds). En fait ce sont ces mêmes « ploucs » qui effectuent les travaux les plus pénibles de la ville : constructions, chantiers, chauffeurs de taxi, marchands ambulants, personnel d’entretien et de nettoyage, etc.
Au Maroc, se souvenir du jugement lapidaire du maréchal Lyautey du temps du Protectorat : « Le Maroc se divise en deux : le Maroc “ utile”, celui de la côte et des plaines, et “ le Maroc inutile”, celui de la montagne et des tribus berbères. »
Deux entités, deux populations, deux régions : le Sud-Est du Maroc avec ses soi-disant « inutiles » et le Nord-Est de la Thaïlande (province isaan), avec ses riziculteurs lourdauds. Les deux, depuis leurs oasis et les montagnes, font vivre ceux des cités.
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Tourisme de masse et environnement
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Depuis des décennies, et avant l’épidémie du Covid, Maroc et Thaïlande recevaient des millions de touristes, pour un total de 7 % du PIB au Maroc et 12 à 15 % du PIB en Thaïlande.
Raisons de cette attirance pour le Maroc ? ses merveilles naturelles, ses villes impériales et l’accueil chaleureux des Marocains, sans oublier les prix attractifs de ses structures hôtelières : de la modeste auberge des vallées jusqu’aux plus luxueux des riads de la Médina de Marrakech.
Pour la beauté de ses plages de sable blanc, un certain exotisme et la gentillesse de sa population, la Thaïlande attire un large tourisme : des jeunes « sac à dos » jusqu’aux séniors en retraite, en passant par les amoureux du luxe des hôtels 5 étoiles.
Un tourisme de masse qui n’est pas sans conséquence sur l’environnement : destruction des coraux des îles du sud de la Thaïlande par exemple, profanation du calme du désert par des visiteurs de passage, amateurs d’engins polluants (quads et 4X4) dans les dunes du Sahara.
Autre danger pour ces deux pays : la « folklorisation » de leurs traditions : danses sacrées des temples en Thaïlande, « haïdous », poèmes chantés au cours des mariages berbères au Maroc. Ce qui faisait partie du patrimoine est en train de devenir spectacle payant pour touristes.
Toutefois, la Thaïlande vient de décider d’attirer désormais un tourisme plus « huppé » (plus « friqué » ont écrit certains résidents), en établissant des prix d’hôtels différents : nettement plus élevés pour les visiteurs, et moindre pour les locaux. Une pratique qui existait déjà pour les entrées des principaux sites touristiques.
Au Maroc, un ami m’a fait cette réflexion : « Pourquoi ne recevons-nous que ce tourisme de base ? Nous sommes la poubelle de l’Europe ». Choisir le nombre ou la qualité ? Dilemme et prochain challenge pour le Maroc ?
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« Bouche sucrée » versus « langue sucrée »
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.Dans un pays étranger, il est essentiel de savoir décoder les signes. Ça vaut pour le sourire thaïlandais et les mots de miel des Berbères marocains.
Au « pays du sourire », le sourire est une seconde langue, un véritable art de vivre. Il exprime gentillesse ou admiration, timidité ou embarras, il est surtout convention et politesse, un masque qui cache tristesse, déception ou colère. L’essentiel pour le Thaï étant de ne jamais gêner « l’autre » avec ses propres problèmes.
Les femmes thaïlandaises ont aussi une prédisposition à la flatterie, principalement vis-à-vis des Occidentaux d’un certain âge : « Your’re so handsome » ! Soit le retraité succombe au charme de la jeune femme, et il est marié avec elle en moins de 3 mois, soit – lucide −- il lui répond, moqueur : « Paak Houan », littéralement « bouche sucrée », en fait : flatteuse, va » !
(« langue sucrée » pour « flatteur » Tadfi n imi (en Amazigh) Hlawt Isan (en arabe marocain : le darija)
Au Maroc, les mots d’accueil et les invitations résonnent chaque jour dans l’air, quelle que soit la province, mais plus particulièrement au Sud-Est du pays. « Marhba (bienvenue) Viens prendre le thé à la maison », « Chez moi, tu es chez toi ». De beaux Berbères ont des réserves de mots de miel pour les occidentales voyageant seules, des mots qui séduisent et ensorcèlent, et si la femme est naïve, elle est mariée en moins de trois mois, avec papiers pour la France ou tout autre pays d’Europe pour le séducteur. Quelle femme ne serait tentée de prendre ces flatteries « tu es ma princesse », « la plus belle des gazelles », « lune des lunes » pour argent comptant ?
Au Maroc, on peut, tout comme en Thaïlande, répliquer « langue sucrée », « Bouche sucrée » ou « mots de miel », toujours gratter la surface de ce qui séduit trop vite.
Il existe un adage en Thaïlande qui dit « yim laeaw ko ying », « souris et tue » ou « tue en souriant ». Au Maroc, certains mots sucrés cachent parfois un poison trompeur sous leur apparente douceur.
Les jeunes femmes pauvres de la province isaan en Thaïlande, cherchent un sponsor pour aider leur famille. Les beaux Berbères du Maroc inutile, diplômés et sans travail, cherchent un(e) sponsor(e) pour aller travailler en France et éventuellement aider la famille.
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Il y aurait bien d’autres « similitudes » entre ces deux pays d’Asie et d’Afrique, mais ne faut-il pas laisser à chaque visiteur le bonheur ou la surprise de les découvrir par lui-même ?
Ma conclusion : est-ce que ce qui nous ressemble nous unit ? ou n’est-ce pas ce qui nous différencie qui nous relie ?
À vous de jouer !
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» Voyager a toujours été une évidence depuis mon enfance : mariée, avec enfants ou pas, célibataire, amoureuse ou non, j’ ai toujours eu soif d’ apprendre. Pour le plaisir.
J’ai appris à travers le regard de mon objectif, avec une oreille toujours à la traîne, avec ma soif d’aventures, sans jamais me mettre à l’abri des coups de coeur ou des passions. Ils m’ont permis d’écrire quelques romans. J’ajouterai mon goût pour les langues (mandarin, thaï, indonésien. Pour le berbère je me suis contentée d’apprendre l’alphabet Tifinagh, celui des Touaregs).
Chaque voyage m’a ouvert – avant ou après – de vraies bibliothèques. Pas de voyages sans livres.
La soif d’ apprendre s’entretient, la mienne est inextinguible. Pourquoi ? Juste pour le plaisir du savoir, bien plus jouissif que tous les alcools. » Michèle Jullian
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Pluton-Magazine/ 2022
Crédit photo: Michèle Jullian