La fin de l’abondance : l’heure a-t-elle sonné ?

Par Georges COCKS

Parler de fin de l’abondance suscite des interrogations cruciales et des mises en  responsabilité qui méritent un jugement sévère.

Mais que ce passe-t-il dans ce monde, où l’abondance est la devise inculquée à tous, à tort et à travers ? Il faut vivre dans l’abondance pour les jours sombres. Il faut faire abonder ses avoirs… et même quand il n’y a plus d’abondance, il faut la créer par tous les moyens, même si cela peut être nuisible. Parler de fin de l’abondance suscite des interrogations cruciales et des mises en  responsabilité qui méritent un jugement sévère. Il est paradoxal de parler d’une fin quand le gaspillage reste une réalité de notre mode de vie décadent. Ce discours soutenu par des hommes politiques dont l’exemplarité laisse à désirer pose un vrai problème de devoir et de civisme sociétal envers ceux à qui on demande de fournir des efforts.

Un motif illégitime

Depuis bien longtemps, nous savons que notre façon de vive sur cette planète est contraire à toutes les valeurs existentielles ; pourtant, nous n’avons pas décrété la fin des choses inutiles que nous produisons et qui réduisent considérablement l’abondance de richesse de la terre au profit de la même minorité depuis des siècles, de génération en génération. Nous continuons chaque année à sortir des chiffres alarmants et à brandir le jour du dépassement de la terre comme un record à faire rentrer dans le livre des Guinness. Brandir ce slogan aujourd’hui est comme brandir une grosse arête de poisson. Sept mois de guerre en Ukraine, avec les conséquences que subit une partie du monde dans la vie quotidienne, ont suffi pour faire sortir le lapin du chapeau. On peut se demander si le magicien est vraiment bon, car, où en serait-on s’il n’y avait pas cette guerre ? La question de l’abondance se serait-elle posée ? Le peuple a toujours fait valoir son mécontentement à la classe politique par des manifestations,  des grèves sur ces mêmes problématiques économiques. En 2018, la crise des Gilets Jaunes a pointé du doigt les conséquences de l’abondance sur les minorités pauvres. Les revendications se passent de commentaires : changement de politique fiscale, amélioration du niveau de vie des classes populaires et moyennes, référendum d’initiative citoyenne, rétablissement de l’impôt sur la fortune… allant jusqu’à demander la démission du gouvernement qui n’a pas solutionné les mêmes problèmes qui s’amplifient aujourd’hui.

Pour qui la facture ?

Généralement, on paye à celui à qui on achète. C’est la règle commerciale que chacun de nous a intégrée dans son fonctionnement de vie et qui est devenue la loi économique. Nous achetons des choses de bonne facture mais aussi des produits de piètre qualité. Nous le faisons en notre âme et conscience comme nous pouvons tout aussi bien être escroqués par notre fournisseur. Puisque nous sommes les consommateurs, il est alors normal de payer. C’est la règle commerciale qui s’impose à nous, qu’on le veuille ou pas. Cependant, tout ce que nous achetons de notre fournisseur est un objet ou un service sur lequel on ne nous a pas demandé notre avis, quant à la fiabilité ou la dangerosité, ou pire encore, sur ses conséquences sur notre environnement physique. Dans ce cas, on ne peut pas incriminer le consommateur en lui faisant porter un sombrero trop grand et trop lourd. Notre vendeur a une grande part de responsabilité, car il sait qu’en surmultipliant ses ventes, il augmente aussi de façon exponentielle tous les effets néfastes de son produit à l’échelle mondiale. Il est le premier punissable, car il fournit l’arme du crime et en fait la promotion par un marketing agressif et persuasif souvent peu scrupuleux de l’âge de sa cible. Contre toute logique, c’est la croissance économique qui reste l’intérêt principal. La classe politique continue de soutenir cet intérêt. Toutes les mesures prises ne doivent jamais porter atteinte à celui-ci.  Nous comprenons pourquoi les choses demeurent en l’état et finissent pas se dégrader jours après jour. Les efforts demandés aux consommateurs permettent tout simplement de réguler et maintenir cet intérêt en bon état de fonctionnement. La sanction et non la pédagogie est le seul moyen d’y parvenir ; contraindre et non convaincre. Tout est devenu un business pour faire entrer des sous. Prendre ce qui manque déjà cruellement à l’autre, c’est honteux et irresponsable.

Faire payer la facture aux industriels pour les pousser à se montrer plus responsables et respectueux devrait être le premier levier pour freiner le drame qui se joue plus bas. Mais qui  les fera payer, les politiques ? Ne nous leurrons pas. Ce sont les industriels qui dirigent le monde et sa scène économique. La classe politique n’a aucun pouvoir sur eux. Bien au contraire, ils tirent les ficelles en coulissent et la classe politique brandit ses mesures déjà concertées à l’avance comme des sanctions que certains ne se donnent même pas la peine de respecter.

Ils peuvent tout faire parce qu’ils contrôlent le marché, ils contrôlent les emplois, ils contrôlent la bourse… et finissent aussi par contrôler la mort en détruisant la santé. Ils sont intouchables. Il faudra réduire le chauffage, économiser le gaz. Quelle logique y a-t-il de demander aux entreprises de réduire de 10 % leur consommation d’énergie sans toucher à la baisse de leur production ? Plus on produit, plus on consomme, c’est une simple équation. On veut le beurre et l’argent.

Abondance et insouciance

Vivre et inciter les gens à vivre dans l’abondance a créé une forme d’insouciance, souvent fortement colmatée par l’égoïsme. L’abondance est présentée comme facteur de sécurité. Cela donne l’impression qu’on sera à l’abri dans les jours sombres, et ce sentiment fait du bien et pousse encore au matérialisme accru. Quand on a tout, on ne pense pas à ceux qui n’ont rien.  Et si nous le faisons, nos bonnes actions ne sont pas assez généreuses pour renverser la balance.

Le train de vie de la classe politique est sérieusement discutable dans ce domaine. On se croirait encore au temps des rois. Changer la politique sur les trains de vie et les charges gouvernementales, les communiquer rendrait plus crédibles ces discours moralisateurs adressés au peuple. Un moyen efficace de fédérer au lieu d’imposer. L’insouciance semble aussi avoir gagné cette strate car les maigres mesures votées en faveur du peuple le sont toujours après l’expression d’une contestation. On cherche seulement à calmer et non à favoriser. On ne peut encore une fois que se demander : est-ce que de telles mesures auraient été prises si aucune voix ne s’était fait entendre ?  C’est une politique de retardement et non de prévention. Une bombe qui finit toujours par exploser.

Des conséquences irréversibles

 À force de vivre dans l’abondance, nous sommes devenus abondamment nuisibles, dangereux et menaçants pour nous-mêmes. Ce mode de vie nous pousse à puiser dans nos ressources limitées à un rythme effréné. Et par-dessus tout, nous gaspillons notre énergie, notre eau et notre nourriture, que nous souillons par la même occasion. Nous nous sommes fragilisés aux dépens de ces énergies. Nous ne supportons plus le froid ni le chaud car il est plus facile de se tourner vers nos appareils, que nos industriels nous ont créés et qu’on nous demande à présent d’utiliser avec parcimonie.

C’est vrai, il faut faire quelque chose, même une parade, tout est bon à prendre. On ne peut pas reprocher aux politiques d’essayer de prendre des mesures pour nous sortir de ce bourbier. Mais, limitées et inefficaces, elles ne font que retarder les problèmes, les aggraver, au lieu de les résoudre. Elles arrivent trop tard. Nous sommes de fins mathématiciens en prévisionnelles économiques, mais quand il s’agit de prévoir nos scénarios catastrophiques, nous fermons les yeux. Nous fermons certainement les yeux non par ignorance ou naïveté, mais parce que nous savons déjà à l’avance les conséquences de nos actions.  Et nous, pouvons-nous faire mieux ?  Une analyse de nos choix et la compréhension de leurs impacts pourrait bien nous faire gagner en qualité de vie, aujourd’hui et demain. On pourrait aussi continuer à nous accrocher aux promesses mercantiles, politiques et économiques, et mentir à nos enfants en prétendant qu’ils auront un demain meilleur que le nôtre. Mais au fond, si nous n’avons rien fait maintenant comment demain pourrait-il  être le fruit de notre travail ? Il semblerait que nous ayons tous été piégés, de force ou de plein gré.

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Rédacteur Georges Cocks

©Pluton-Magazine/2022/Paris 16e

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Écrivain- Éditeur-Poète-Romancier

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