Entre les lignes (49): Le Testament des Solitudes

.

Par Dominique LANCASTRE

.

Le Testament des solitudes n’est pas un roman comme les autres. La façon dont l’autrice raconte cette histoire nous interpelle et nous invite à nous poser des questions. Il est vrai que le monde est en mouvement et les déplacements sont perpétuels. Emmelie Prophète prend l’aéroport comme espace temporel pour nous livrer son message. On dit que les aéroports sont à la croisée du monde. Des peuples y transitent, se croisent, échangent sans parfois jamais se parler. C’est un lieu où le regard a son importance, où observer est très présent. Et dans ce roman, c’est un catalyseur.


Le peuple noir, comme beaucoup d’autres, semble toujours vouloir fuir quelque chose. Partir, partir loin, trouver ailleurs ce qu’on n’a pas là où on se trouve car la vie est trop difficile à supporter, trop difficile à vivre, ce qui est encore plus vrai quand on vit à Haïti.


Le testament des solitudes nous parle de solitude, bien entendu, comme le titre le suggère, mais aussi de silence, de personnes qui ont tellement de choses à se dire qu’elles ne se disent plus rien car il n’y a rien à dire, car c’est toujours la même chose et ces personnes tournent en rond au quotidien. La solitude, le silence ne sont rompus parfois que pour faire étalage de banalités mais aussi de souvenirs qu’on se serait bien gardé de faire remonter.


L’autrice est haïtienne et elle parle de la Floride à juste titre car il ne faut pas oublier qu’en Floride, il y a une très grande communauté haïtienne, notamment à Miami. Donc, entre Port-au-Prince et Miami, c’est un véritable ballet de gens qui partent et qui rentrent car il y la famille à voir. Mais rentrent-ils parce qu’ils ont envie de rentrer, parce qu’ils savent ce qu’ils ont laissé derrière eux il y a déjà bien des années, lorsqu’ils ont fui et alors que rien n’a changé ? L’exil devient dès lors une forme de souffrance, le retour est un supplice que l’autrice peint d’une façon remarquable et au fur et à mesure qu’on avance dans ce roman particulier qui parfois nous fait perdre la tête, on comprend mieux où Emmelie Prophète veut en venir avec ces trois femmes : trois femmes, trois solitudes, trois destins qui se rencontrent.


L’écriture est belle, le regard que l’autrice pose sur la notion d’exil et l’errance est très bien mis en avant. La dernière partie souligne bien que l’autrice est aussi poète. Une lecture à voix haute nous le fait bien ressentir.


Le testament des solitudes est une réédition par les Éditions Mémoire d’Encrier au Canada. Le roman sort le 6 septembre en France. Bonne lecture.

.

J’ai gardé l’amitié de certains chemins enfermés dans l’odorat de la nuit, poison irréel disséminé dans le regard des passants. Je reviens en silence pour raconter entre passion et désespoir, pour coller une route floridienne à un sentier de la province bleue, à une route dégradée d’un quartier de Port-au-Prince. Moi qui ne suis ni magicienne ni alchimiste, mais qui n’ai pas de talent.

Quand je débarquerai à Port-au-Prince, j’irai trouver directement ma mère avec la même envie que j’ai de m’enfuir depuis vingt ans, je verrai sa machine à coudre installée sous la galerie comme pour accueillir les gens, la vieillesse.

J’ai les bras qui tombent de ces manches qui dépassent. La banalité sait réconforter heureusement. Un signet dans une page blanche pour marquer l’absence d’histoire, de mots et la fatigue.

.

Née à Port-au-Prince, Emmelie Prophète est romancière poète, et journaliste. Son œuvre est publiée aux éditions Mémoire d’encrier. Elle y a publié Le testament des solitudes, qui lui a valu le Grand Prix littéraire de l’Association des écrivains de langue française (ADELF) (2009), Le reste du temps (2010), qui raconte sa relation particulière avec le journaliste Jean Dominique, assassiné en 2000, Impasse Dignité (2012), Le bout du monde est une fenêtre (2015) et Un ailleurs à soi (2018). Les villages de Dieu est son plus récent roman (2020). Elle a reçu en 2021 le Prix du rayonnement de la langue et de la littérature françaises, décerné par l’Académie française. (Source Editions Mémoire d’Encrier)

.

Dominique LANCASTRE

Pluton-Magzine/2022/ Paris 16.

Laisser un commentaire

*